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Le pôle Excellence scientifique du Collège Elsa Triolet de Vénissieux

Quatre enseignants de technologie, SVT, mathématiques et sciences physiques d’un collège Rep+ de la banlieue lyonnaise mènent depuis 2 ans un projet qui leur permet de vivre l’expérience de la co-intervention. 
A la fin de la 6e les élèves peuvent se porter candidats pour cette option de 5e. Ils sont sélectionnés sur une lettre de motivation et l’avis du professeur principal. 16 élèves de 5e se retrouvent donc chaque semaine pour un atelier de 2 heures coanimé par au moins deux enseignants sur une thématique annuelle commune, le Soleil. Ils construisent une serre, sont reçus au planétarium ou à l’université, accueillent des intervenants, mènent des expérimentations en laboratoire, établissent des comptes rendus sur tablettes et témoignent lors de la Fête des Sciences… L’objectif premier : développer le goût des sciences, favoriser la motivation et une orientation ambitieuse en seconde générale, encourager les vocations scientifiques, y compris pour les filles.

NB : D’abord pouvez-vous m’expliquer dans quelles conditions vous préparez et animez cet atelier ensemble ? Coanimation ou coconception ?

Nous planifions à quatre la période qui va de vacances à vacances au cours d’une réunion de travail de 2 heures. Nous décidons du titre des séances, nous définissons le cadre, nous amorçons la construction du contenu et nous nous répartissons les tâches. Mais nous n’avons pas le temps de monter les séances ensemble, ou très rarement. Nous avons réussi à le faire 3 fois sur les 18 séances du semestre. Il faut compter une heure de préparation en commun pour 2 heures d’atelier, et encore en finissant individuellement chez nous. Nous n’avons pas trouvé de créneau commun pour nous retrouver, matériellement, nous ne disposons pas du temps nécessaire pour le faire régulièrement. A midi on peut gérer le train-train, il y a énormément de choses à faire, on n’a pas l’esprit libre pour créer, il faut avoir du temps devant soi et se poser.
Comme nous sommes accompagnés par le CARDIE, nous avons profité d’un regroupement des équipes pour élaborer la séance sur l’énergie à quatre, c’est une de nos préférées. Chacun a amené ses idées, on a échangé, pesé le pour et le contre, c’était génial, ça s’est fait tout seul, une efficacité naturelle surprenante.

A votre avis, pourquoi ça se passe si bien quand vous arrivez à le faire ?

Il faut reconnaître que nous sommes dans les meilleures conditions possibles pour faire l’expérience de la coanimation. Nous sommes hors programme puisque l’atelier vient s’ajouter aux cours « normaux » des quatre matières et non s’y substituer. Donc nous travaillons pour le projet commun et à aucun moment nous ne « défendons » notre matière pour pouvoir caser « nos » contenus. On ne fait pas un cours, on organise un atelier. En plus, on se connaît bien, on se fait confiance, on a des habitudes de travail ensemble. On connaît aussi nos élèves et leurs besoins, leurs attentes parce que nous sommes là depuis 3 à 8 ans. On est dans un cadre souple, on fait ce qu’on a envie de faire, il n’y a pas de contraintes extérieures, on se sent libre. On coanime le même groupe restreint sur toute l’année, un groupe interclasse de volontaires, on s’amuse, ça nous intéresse vraiment.

Quels bénéfices en retirez-vous, concrètement, sur le plan professionnel ?

Nous pouvons échanger, nous former mutuellement, celui qui maîtrise GeoGebra ou  SolidWorks ou Robopro initie les collègues. Celui qui connaît mieux les tablettes aide les autres. L’un d’entre nous lance une idée, un autre rebondit, on réfléchit à deux, à trois, à quatre, chacun amène sa contribution et du coup après, on est beaucoup plus à l’aise pour coanimer. On confronte nos idées, c’est vraiment très important, très enrichissant. Sinon, quand on prépare chacun de son côté, celui qui a préparé anime et l’autre l’assiste mais ce n’est pas pareil. C’est toujours celui qui prépare qui mène la séance, la coconception permet un réel équilibre dans la coanimation.

Si je fais l’hypothèse qu’en dehors du temps qui manque pour se retrouver plus souvent, il y a aussi forcément des freins d’un autre ordre, vous me dites quoi ? Si je vous demande d’évoquer les difficultés de l’exercice…

Là ça se passe bien parce que nous nous sommes choisis en quelque sorte, nous ne savons pas ce qui se passera si l’un d’entre nous part et est remplacé, ça ne fonctionnera pas forcément. Et puis la conception de séance, une fois que le cadre général est défini, ce n’est pas la plus grosse partie, ce n’est pas le plus difficile. Dans ce cadre de projet en dehors des cours habituels ça ne pose aucun problème. Ce serait autre chose si nous devions le faire pour les cours « normaux ». Etendre à d’autres cours ça nous intéresserait mais pas faire que ça quand même.

Est-ce que vous êtes certains de ne jamais ressentir une certaine gêne par moment ?

Oui, bien sûr, on peut dire que chacun a son style d’animation, sa relation personnelle avec la classe, en l’occurrence ici le groupe. Par exemple c’est plus confortable si on vouvoie ou si on tutoie tous les deux les élèves. Tu ne changes pas non plus complètement de posture, tu fais un petit bout de chemin vers l’autre et si ça se passe bien tu continues. En plus, ce groupe on ne l’a que dans ce cadre-là, on ne se retrouve pas après seul avec eux. C’est vrai que la tolérance au bruit, aux déplacements dans la classe, la sensibilité au risque, le degré d’exigence sont différents. Par exemple moi en tant que prof de maths je ne fais jamais de TP en labo, du coup je m’inquiète plus facilement du risque avec certains produits, ça me met chaque fois dans un état de nerfs… On n’a pas tous la même perception du bruit, pour certains il est pédagogique, c’est le signe que l’expérimentation en cours fait jouer le conflit sociocognitif. Pour l’autre, ça gêne la concentration et le calme nécessaires aux apprentissages.  Alors on peut être plus ou moins cadrants, il y en a qui sont plus dans le relationnel. C’est comme les flics, il y a le gentil et le méchant ! (Éclat de rires).
En fait, le prof a malheureusement un travail solitaire. Certains trouvent que c’est très bien comme ça mais d’autres dégagent beaucoup d’énergie pour aller contre cet état de fait et porter un travail à plusieurs. Ce qu’on lui demande c’est de tenir sa classe, de faire son programme, pas de travailler vraiment à plusieurs. Les inspecteurs viennent voir un prof devant une classe, ils te jugent sur ce qu’ils voient de toi pendant 50 minutes devant ta classe. Ici nous n’avons jamais vu d’inspection d’équipe.

Mais est-ce que cette expérience change quelque chose à votre pratique ? Est-ce qu’elle modifie votre style d’animation dans vos autres cours ?

D’abord elle nous permet de faire référence aux cours des collègues. Les élèves ont énormément de mal à réfléchir au-delà du cloisonnement des matières. Là on peut initier le lien nous-mêmes parce qu’on sait ce qu’ils font dans les autres disciplines. Ils se rendent compte que pour construire une serre il faut des maths et puis de l’info et puis des notions de SVT qui rejoignent la chimie… Ca donne du sens à ce qu’ils font. Ils réalisent que les matières ne sont pas pertinentes sur une tâche complexe ou dans la vraie vie.

Ensuite ça nous permet d’interroger notre propre pratique par comparaison. Tiens, lui il fait ça, moi je n’y pensais même pas. Ca ne change pas forcément ma façon de faire mais je comprends mieux ce que je fais et pourquoi je le fais.

Et pour les élèves ? Si vous deviez lister les points positifs et négatifs de ce mode de fonctionnement ?

La première chose qu’ils disent tous c’est « on s’occupe mieux de nous ». Ils sont contents d’être peu nombreux, avec plusieurs enseignants, dans un cadre moins scolaire. Ils apprécient de pouvoir choisir celui à qui ils vont demander de l’aide quand ils en ont besoin et que les profs soient plus disponibles, deux pour 16 élèves.

On montre que les matières sont imbriquées, qu’il n’y a pas de barrières entre les disciplines. Ils apprennent à mobiliser leurs compétences pour réaliser une tache complexe. Ils ne savent pas à l’avance quels sont les deux profs qui vont intervenir chaque mardi. Quand ils me voient arriver ils disent « Ah ! Vous êtes là Madame, alors il va y avoir des maths aujourd’hui. » Alors que pas forcément. Ils associent les profs et les salles aux matières et cloisonnent tout. Nous devons aller plus loin pour nous affranchir des a priori, en particulier vis-à-vis des mathématiques. L’étiquette math a mauvaise presse, même si après ils sont contents d’avoir réalisé le travail. Ils ont demandé l’option Sciences pour manipuler, pour faire des expériences, les maths « papier-crayons » ils n’en veulent pas, ça va mieux quand c’est avec l’info.  Il y a des élèves qui pensent que les sciences ne sont pas pour eux parce qu’ils n’aiment pas les maths, je veux leur montrer que c’est un outil pour faire de la physique chimie. En fait l’idéal serait qu’ils fassent des maths sans s’en rendre compte sur le coup et qu’après on leur montre tout ce qu’ils ont réussi à faire : du français, de l’info, des maths, des sciences…

Notre choix pédagogique c’est de ne pas mettre de cadre comme dans un cours mais cela peut aussi les déstabiliser parfois. Il y a moins d’exigences, déjà parce qu’ils sont moins nombreux et aussi parce qu’on est sur un projet hors programmes. Il n’y a pas de régularité, des binômes de profs, des activités. Il n’y a pas d’interrogations, de notes pour signifier leurs acquis. En fait nous évaluons les compétences mais nous allons devoir trouver un moyen de leur faire prendre conscience de leur évolution. Pour l’instant, ils ne se rendent pas bien compte de ce qu’ils ont appris. On va vers davantage de traces écrites pour les aider à expliciter les retombées en termes d’apprentissages. Il faut qu’on développe tout ce qui pourra leur permettre d’apprécier le chemin parcouru en fin d’année.

Le bilan de l’année dernière a quand même montré qu’ils étaient contents. Ils ont plébiscité les sorties, les expériences et se sont sentis valorisés par l’atelier et par le fait qu’il y avait plusieurs profs pour s’occuper d’eux. « Tout le monde n’a pas la chance de faire partie de ce groupe. On prend de l’avance par rapport aux autres pour la 4e. Je vois que j’ai les réponses aux questions que posent les profs dans les autres cours. On est fier de montrer ce qu’on sait faire aux autres même si c’est un peu difficile par moments. Les profs visent l’excellence d’accord, mais des fois ils sont un peu trop ambitieux pour nous. » 

Des profs qui se mettent à 4 - et en 4  - pour intéresser et faire réussir leurs élèves, pour proposer l’excellence en établissement Rep+, font en effet preuve d’une ambition revigorante en ces temps moroses.

 

Propos recueillis par Nicole Bouin
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