Ce fil est en édition sur Plume depuis le dim, 01/03/2015 - 07:26

L'impulsion du chef d'établissement, pour faire dialoguer les disciplines

Le Lycée de Haute Auvergne que Daniel Comte intègre comme proviseur adjoint est en totale restructuration. Depuis quelques années, le lycée professionnel et le lycée général et technologique sont devenus un lycée polyvalent. La Région vient d'engager d'importants travaux matérialisant cette unité : une rue intérieure de près de cent mètres relie les différents éléments des anciens établissements. Il lui semble donc important d'impulser rapidement un projet réunissant les deux filières de la Section d'Enseignement Professionnel : tertiaire et industriel.

 

L'interdisciplinarité existe au lycée dans un certain nombre de dispositifs, inscrits dans les programmes ; le proviseur n’a alors qu’à vérifier la bonne application des textes et à assurer par exemple l’organisation des TPE. Bien sûr si au lycée cette rencontre se limite aux seules injonctions institutionnelles, c’est bien peu pour l’élève, à peine dix pour cent de son temps de cours.

J’ai été proviseur adjoint d’un lycée polyvalent cantalien pendant quatre ans et c’est toujours par la mise en œuvre de projets que j’ai favorisé de nouvelles rencontres de disciplines. C'est en effet le meilleur moyen pour faire adhérer les élèves à une démarche, pour faire d'eux des acteurs qui s'engagent et se reconnaissent dans ce qu'ils produisent.

 

Au départ, des élèves, des enseignants et des disciplines ... bien à distance les unes des autres

Des hommes qui enseignent à des garçons dans un atelier industriel où sont installées des machines dans la partie extrême du bâtiment, tout au bout de la rue intérieure et des femmes qui occupent avec leurs élèves filles une salle entreprise équipée d'open space avec ordinateurs, espace de réunion et guichet d'appels téléphoniques dans une autre aile de l'établissement, c'est une réalité qui m'a surpris et choqué dès ma prise de fonction. Les semaines et les mois passant, j'ai mesuré le fossé entre ces deux mondes : la plus belle des rues intérieures ne pouvait les rapprocher tant les cultures étaient opposées. Les lycéens des deux filières ne se fréquentaient pas, les enseignants d'industriel passaient davantage de temps dans les bureaux de leur atelier que dans la salle des profs, il m'a semblé important, pour l'unité de l'établissement et le bien-être de tous, de bousculer l'ordre établi par la tradition.

C’est au mois de mai, après avoir bien analysé les clivages et les étanchéités entre les filières industrielle et tertiaire, que j’ai proposé à tous les enseignants d’animer une réunion debriefing avec leurs élèves de seconde (deux classes) pour faire surgir un projet commun.

Le scepticisme était présent, encore davantage parmi les hommes enseignant en « Maintenance des Equipements Industriels » (MEI) que leurs homologues féminines de secrétariat - comptabilité1. Peut-être la filière plus longtemps installée dans l'ancien lycée professionnel autonome ou les postures gentiment machistes des professeurs masculins de cet établissement expliquent-elles une certaine forme d'indifférence face à ma démarche.

Les filles sont entrées les premières dans la salle, elles ont occupé le deuxième rang et les côtés de la salle. Les garçons se sont placés au fond de la salle, à bonne distance de leurs camarades.

Alors que les trois professeurs de mécanique et de construction sont restés debout juste derrière leurs élèves, les enseignantes ont à peine franchi le seuil.

Seul maître à bord, j’ai dévoilé aux élèves surpris de découvrir un chef d’établissement prendre les rênes de la séance, l’idée de créer une entreprise dès septembre au sein du lycée : il y aurait un secteur de production mais également une gestion de clientèle, de commandes ... Il faudrait travailler ensemble et faire en sorte que l’entreprise fonctionne même si une partie des entrepreneurs se trouvaient en stage.

Restait à déterminer quelle entreprise ils souhaitaient créer et quel serait l’objet de production.

Les premières propositions sont venues de filles : fabriquer des sacs, des bijoux ... et ont déclenché les moqueries des garçons.

Après une sérieuse empoignade verbale avec les individus perturbateurs, le brainstorming a repris et la plupart des projets, notés sur le tableau blanc se voyaient rejetés parce qu’irréalisables.

Finalement, c’est un garçon qui a proposé de produire des briquettes pour le chauffage à partir de bois récupéré. Dans le Cantal, c’était une excellente idée, celle qu’avait d’ailleurs ébruitée parmi ses élèves le chef des travaux avec lequel j’en avais préalablement étudié la faisabilité.

 

Une aventure qui change le rapport aux savoirs

Le Conseil d’administration de juillet a validé l’acquisition d’une machine (« Briquetic ») qui serait utile pour la filière MEI, d’autant que le bloc hydro-pneumatique en fonction tombait en obsolescence.

A la rentrée de septembre, les élèves en classe de premières ont constitué six directions pour « Bric &’Co », avec un binôme de direction fille – garçon : communication, finances, production ….

Le soutien d’une association2 qui promeut la création de mini-entreprises a été bienvenu ; un parrain, entrepreneur de maçonnerie de la ville, s’est pris au jeu.

Très vite, les enseignants des deux filières ont demandé à mettre en place des groupes mixtes en accompagnement personnalisé (AP) face à deux enseignants. J’avais eu la prudence de construire les créneaux d’AP industriel et tertiaire en compatibilité.

Les enseignantes ont ainsi eu accès aux salles de lancement, derrière les ateliers industriels ; c’était nouveau.

Les professeurs et élèves du secteur MEI ont été accueillis en salle d’entreprise tertiaire où ils ont découvert les logiciels de bureautique.

Un garçon a eu l’initiative de créer un site pour Bric &’Co . Des bons « parts sociales » ont été édités et vendus : ce fut la trésorerie de départ.

La recherche de fournisseur de matière première a été plus longue que prévue : dans les scieries à l’entour, les copeaux de bois étant souvent stockés en plein air s’avéraient trop humides et les essais de combustion n’étaient pas concluants. Finalement, c’est un lycée professionnel du bois qui fournit la majeure partie de la ressource.

La production a commencé en janvier.

L’aventure a duré un an, conclue par un prix académique de développement durable en juin.

 

Le rôle essentiel du chef d'établissement

Dans un tel projet, le chef d’établissement est le chef d’orchestre, celui qui permet que chacun joue sa partition au moment voulu, dans une harmonie générale qui satisfait tout le monde.

Ce sont bien sûr élèves et enseignants qui sont aux commandes, ici de l’étude de marché et de la recherche de clientèle, là de production, plus loin de réception et de stockage de matière première.

Pour autant, l’implication de la hiérarchie, du chef d’établissement en l’occurrence, est essentielle.

Qui d’autre que lui aurait pu faire voter en Conseil d’Administration l’achat du matériel, qui aurait pu faire sauter le verrou qui clivait chaque groupe dans son espace fermé ?

Tout établissement a son histoire, et celle de l'Education montre que si elle a un sens au cours des douze dernières décennies, c'est celui qui part de la discipline vers la transdisciplinarité, de la transmission d'un savoir ancré dans une discipline vers le développement de compétences à croiser, à faire la triangulation de méthodes, de l'instruction vers l'éducation.

Ainsi au Lycée de Haute Auvergne, comme dans d'autres lycées, les filières professionnelles ont un vécu séparé, des lieux d'enseignement disjoints, et c'est bien le chef d'établissement qui peut changer le cours de l'histoire des pratiques dans son lycée, en rapprochant les filières, en instaurant le dialogue des disciplines dans une perspective de développement qui les englobe.

En interne, les besoins de rencontre entre les élèves et les enseignants, la nécessité de co-enseignement ont trouvé réponse dans l’aménagement ponctuel des emplois du temps qu’en temps que proviseur adjoint je gérais totalement.Ainsi sans qu’il ne se trouve jamais en premier ligne, le chef d’établissement me paraît être la personne-clé pour faire naître et aboutir un projet interdisciplinaire.

Daniel COMTE

Proviseur adjoint

LPO Bras Fusil

97400 Saint Benoît

1 Qui allait devenir « Gestion – Administration »

2 EPA : Entreprendre Pour Apprendre