Ce fil est en édition sur Plume depuis le dim, 01/03/2015 - 07:38

Avant-propos

Céline Walkowiak et Francis Blanquart

 

Croisée des disciplines ? Etait-il vraiment nécessaire d'employer cette formulation plutôt que l'expression classique d'interdisciplinarité ou celles, oubliées aujourd'hui, de « thèmes transversaux » (Cahiers Pédagogiques d'avril 1989) voire de « coordination des disciplines » (Cahiers Pédagogiques d'avril 1962) ? Écarter ces dénominations ce n'est pas en écarter les héritages mais c'est tenter de renouveler le questionnement à partir de ce qui se passe et se joue dans les classes et les établissements plutôt qu'à partir des prescriptions, des injonctions.

Nous sommes allés chercher les croisées des disciplines dans les lieux les plus divers : à l'école, au collège, au lycée, au lycée professionnel,  dans l’enseignement agricole, dans des établissements expérimentaux, comme au collège Clisthène de Bordeaux ou au lycée auto-géré de saint-Nazaire en formation initiale (à l'ESPE), pour y trouver la même créativité et les mêmes questionnements.

Au fur et à mesure qu’arrivaient les articles, nous avons vu se creuser un écart entre deux approches. Une distinction assez nette entre d’une part les textes des chercheurs, plutôt sceptiques et prudents sur la possibilité de mettre en oeuvre une réelle pédagogie interdisciplinaire et de réussir à dépasser le cloisonnement de savoirs issus de disciplines universitaires, et d’autre part les articles des acteurs de terrain, enseignants du premier ou second degré, de la maternelle au lycée, de professeurs documentalistes et de chef d’établissement, qui sur le terrain avaient essayé et y avaient cru.
Et puis, d’autres articles sont arrivés, et les frontières entre ces deux camps se sont brouillées, sont devenues plus poreuses. Les auteurs « de terrain » interrogent leurs  pratiques interdisciplinaires, tandis que des travaux de recherche français et étrangers, interrogent le cloisonnement disciplinaire actuel et se mettre à la recherche d’une interdidactique à inventer.

Qu'avons-nous trouvé à la croisée des disciplines ? Des savoirs, des enseignants et des élèves.

Des disciplines : les « matières » scolaires sont-elles des constructions artificielles qui ne résistent pas à la confrontation ? Qui se diluent dès que l'on tente de les mélanger ? Nous observons plutôt l'inverse : c'est au carrefour que la question de ce qui définit chacune des disciplines se pose avec le plus de force et qu'elle s'affirme par conséquent. A la croisée des disciplines, nous avons trouvé une école qui se réinvente en investissant les marges qui existent autour des disciplines.

Des enseignants (mais aussi des chefs d'établissements, des formateurs, des professeurs-documentalistes...) : l'interdisciplinarité incite les acteurs de terrain à repenser, non seulement leurs pratiques pédagogiques, mais également, et certainement plus fortement, leur didactique disciplinaire et leur rapport au Savoir. Ils attendent de  la réforme à venir du collège et des programmes, les moyens d'accompagner ces changements.

Des élèves enfin ! Lorsque nous les plaçons à la croisée des disciplines, en tirent-ils bénéfice ? Les pratiques de classes dont témoigne ce dossier mettent les élèves au cœur des apprentissages et incitent les enseignants à expliciter leurs choix de contenus, d'objectifs d'apprentissage, de compétences plus finement qu’ils ne le font dans un cadre strictement disciplinaire. Cette exigence qu'impose la croisée des disciplines renouvelle, pour les élèves, l'exigence de sens qui constitue l'un des moteurs essentiels de la motivation et d'apprentissages durables. A la croisée des disciplines nous avons trouvé des élèves qui n’en comprennent que mieux les liens entre les savoirs et qui accèdent plus durablement à la conceptualisation.

A la croisée des disciplines, nous avons trouvé, des projets. Certains s'inscrivent dans des schémas institutionnels, d'autres  résultent d’un extraordinaire travail de réflexion et de créativité de la part des acteurs de terrain. La démarche de projet semble en effet presque naturellement associée au croisement des disciplines parce que le projet fédère les dynamismes et les apprentissages et qu'il est propice au dialogue entre enseignants.
A la croisée des disciplines, nous avons trouvé aussi des pratiques du quotidien des classes, au fil des jours, au détour des chemins, quand tout simplement des élèves poussent la porte d’un CDI, quand deux enseignants décident de porter un regard croisé sur un même objet d’étude, s’interrogent sur les représentations du monde qu’ils construisent dans leur discipline, ou pousse un coup de gueule en salle des profs.

A la croisée des disciplines nous avons trouvé des élèves, des enseignants et des savoirs qui dialoguent. Rien que pour cela, cela valait la peine d'essayer.