Ce fil est en édition sur Plume depuis le dim, 01/03/2015 - 07:19

Le rôle du chef d’établissement dans le dialogue des disciplines

Entretien avec Pascal Thomas, CE au collège Jean Macé de Calais

Propos recueillis par Céline Walkowiak et Francis Blanquart

 

1) Qu'est-ce qui vous frappe le plus, dans la juxtaposition des disciplines actuelle, vous qui êtes chef d'établissement ?

Selon moi, il existe deux niveaux de réponse à cette question :

Premier niveau : celui des adultes :

La juxtaposition dont vous parlez est générée en grande partie par l'institution (qui tente de lutter contre ce qu'elle génère d'ailleurs avec les IDD, l'HDA, les TPE et tous ces dispositifs qui créent de l'interdisciplinarité de manière un peu artificielle).
Le principe des 18 heures hebdomadaires face aux élèves, le fait que les emplois du temps soient construits en fonction de directives nationales hebdomadaires (un élève de 6ème doit avoir 4H d'anglais par semaine ...) conduisent à ce que les matières se suivent les unes derrière les autres tout au long de la semaine; tout au long de l'année.

De plus, les enseignants sont "experts" d'une discipline précise. Cette expertise est, elle-aussi, institutionnellement cadrée par le référentiel et par le programme. Ce qui induit que la liberté pédagogique de l'enseignant se confronte en permanence avec le programme national.

Cette exigence institutionnelle (louable dans son esprit) génère parfois de réelles angoisses pour les collègues. Combien de fois ai-je entendu "je ne vais pas réussir à boucler le programme". Si l'on prend en compte les matières évaluées en contrôle ponctuel, c'est encore pire. Imaginer que les élèves "tombent" sur une question non étudiée en classe relève de l'impensable pour les enseignants concernés. Les IPR peuvent d'ailleurs être eux-mêmes très attachés au programme et à leur discipline. Du coup, l'objectif de la réussite des élèves (et l'évaluation des professeurs par extension) est très liée au "bouclage" de programme. Le programme, dans l'état actuel, ne favorise donc que peu les échanges pédagogiques entre disciplines différentes. La dernière version du socle commun proposée par le CSP va, de ce point de vue, dans le bon sens. Les domaines et les principes d'évaluations devraient pouvoir favoriser l'interdisciplinarité et le travail collaboratif.

Quand on y regarde de près, tout est fait en réalité pour favoriser la juxtaposition des disciplines. Formation, programme, emploi du temps, habitudes, crainte du regard de l'autre contribuent à ce que cette juxtaposition perdure.

Plaçons nous maintenant au niveau de l'élève. Une journée de cours s'articule autour de cette juxtaposition des disciplines. Les cours s’enchaînent les uns derrière les autres en fonction des impératifs et des contraintes des adultes. Pour un élève qui ne rencontre pas trop de difficulté en classe, la question du lien entre les cours n'est pas problématique. Les liens sont évidents ou seront construits plus tard. En revanche, pour l'élève en difficulté, c'est une autre histoire.

Cette juxtaposition va d'ailleurs générer un effet surprenant pour les élèves. Si vous leur donnez une tâche qui met en jeu plusieurs disciplines sans qu'elles soient clairement identifiées dans l'exercice, les enfants sont perdus (même de très bon élèves d'ailleurs) et peinent à réinvestir ce qu'ils ont pourtant appris.    

        

2) Avant de devenir chef d'établissement, vous étiez CPE. Quelle pédagogie est possible, en dehors des disciplines, ou à leur croisée?

Je connais tout un tas de CPE (moi le premier quand j'en étais un) prêts à investir le domaine pédagogique. Le fait d'être dégagé d'un domaine pédagogique spécifique permet de se dégager de certaines contraintes et permet d'apporter un regard complémentaire autour de l'élève.

J'ai souvent été étonné par ces élèves en grande difficulté scolaire mais capables de montrer de réels savoir-faire dans des activités mettant en jeu des compétences non exclusivement scolaires (je me souviens notamment de cet élève « poil à gratter » en classe qui s'est révélé être un comédien hors pair et un jongleur exceptionnel lors d'une représentation d'un spectacle vivant).

Valoriser les pôles d'excellence des élèves peut parfois permettre de les raccrocher. Une collaboration éclairée entre les enseignants et les CPE peut donc constituer un réel plus pour la réussite des jeunes. D'ailleurs le socle (l'ancien comme le prochain) fait une large place aux compétences citoyennes. La formation des délégués de classe, les animations éducatives (comme un spectacle de fin d'année) permettent d'évaluer les élèves sur ce type de compétences. Le CPE, en collaboration avec les enseignants, peut se positionner réellement sur ce travail d'évaluation.

 

3)En quoi des pratiques interdisciplinaires, croisées ou partagées vous semblent-elles être une réponse appropriée à certaines difficultés des élèves? 

En tant que chef d'établissement, je me suis vite aperçu que le travail interdisciplinaire faisait immanquablement réfléchir sur la pratique individuelle.

Je pense que le croisement des regards de plusieurs adultes lors d'une réalisation collective permet toujours de trouver des réponses à des difficultés d'élèves.

Le projet collectif permet de s'éloigner de la contrainte uniquement disciplinaire. Dans mon établissement actuel, nous organisons une semaine des arts et de la culture. Une douzaine d'enseignants ainsi que le CPE travaillent sur ce projet. Les élèves qui y participent sont évalués à la fois sur des points de programme disciplinaires mais aussi sur des compétences transdisciplinaires. Notes et évaluation de compétences du socle cohabitent et fonctionnent de manière complémentaire.

 

4- Qu'est-ce qui freine le plus le dialogue des disciplines dans un établissement?

Je pense qu'il y a deux facteurs majeurs : les habitudes et points de vue de quelques collègues (souvent peu nombreux mais qui peuvent avoir une certaine influence en salle des professeurs) et le manque de vision pédagogique du chef d'établissement.

 

5) Comment est-ce qu'un CE peut l'impulser très concrètement au sein de son établissement?

Dans un premier temps, je pense qu'il est important d'observer les équipes. Il faut rencontrer les collègues, se faire expliquer les différentes actions, les fonctionnements. Cette rencontre permet de repérer ce qui se fait dans l'établissement et de le valoriser. Il est nécessaire que les personnels puissent savoir ce qui se fait et  ainsi disposer d'une réelle lisibilité des actions menées. Le chef d'établissement a alors à repérer ce qu'il est possible de mettre en perspective. La rencontre avec les équipes permet aussi de repérer des leaders positifs ainsi que les complémentarités possibles.

Dans mon fonctionnement, j'essaie aussi de donner une place réelle à l'ensemble des disciplines ; une place à tous les personnels (même non enseignants). Par exemple, lors des réflexions autour du projet d'établissement, je veille à constituer les groupes avec professeurs, agents de service, assistants d'éducation, assistante sociale, infirmière …

De mon point de vue, le chef d'établissement doit avoir une vision pédagogique à long terme. Il doit repérer les points de progression et amener les équipes à réfléchir autour de deux ou trois problématiques annuelles intégrées aux axes du projet d'établissement. Le projet est un moteur de la réflexion et permet de donner une visibilité supplémentaire aux actions menées.

Il faut pouvoir dégager du temps pour favoriser la réflexion. A Loos en Gohelle puis à Calais, j'ai instauré une heure blanche dans l'emploi du temps des élèves et des professeurs. Durant ce créneau horaire, je réunis trois ou quatre fois le conseil  pédagogique au cours d'une année pour  alimenter la réflexion. Souvent, les collègues s'emparent de ce créneau pour travailler ensemble autour de projets communs. Cette heure blanche permet aussi de réunir plusieurs enseignants et plusieurs élèves (parfois de classes ou de niveaux différents) pour des cours interdisciplinaires.

Au delà de cette heure blanche, la constitution des emplois du temps doit elle-aussi donner la possibilité aux collègues qui le souhaitent d'intervenir en même temps.

La priorité est donc donnée aux demandes pédagogiques (sans pour autant massacrer les emplois du temps des élèves et des enseignants, bien entendu). Il y a une constante assez amusante à propos de cette confection des emplois du temps. Le travail interdisciplinaire se propage ! Au début, c'est facile parce que les demandes de ce type sont minimes. Au bout de trois ans, la réalisation des emplois du temps devient ultra-complexe parce que les demandes sont beaucoup plus nombreuses (sûrement parce que les résultats des élèves suivent).

Les dispositifs doivent être évalués annuellement. Ce n'est pas parce qu'une expérimentation n'a pas donné tous les résultats escomptés qu'il faut nécessairement l'abandonner. Elle aura besoin d'être débriefée et devra probablement évoluer. Le chef d'établissement doit être à la manœuvre pour accompagner les équipes vers cette évolution.

Enfin, je pense qu'il me faut trouver des marges de manœuvre pour financer les expérimentations et le dialogue des disciplines, même si souvent, les collègues sont rétribués bien en deçà de leur investissement personnel.

J'essaie toujours de lier l'utilisation des moyens au projet d'établissement. L'utilisation des marges de manœuvre est donc liée directement aux projets menés par les collègues et fait l'objet d'une validation collective.

Finalement, le secret de la coopération entre les disciplines ne serait-il pas de faire dialoguer les personnels autour de la réussite des élèves ?

 

Rebond 1

Tres intéressant,

j'aimerais cependant voir l'allure des emplois du temps de 2 collègues qui travaillent sur un même projet, pour voir l'heure blanche et les plages ou ils peuvent travailler en interdisciplinarité. Merci

Bonjour Roselyne

 

Est-ce que tu vois ce cercle parce que tu es responsable des cercles?

Parce que normalement, c'est un cercle privé pour la préparation de notre dossier.

C'est juste pour vérifer que tout le monde n'y a pas accès

 

Céline

Céline Walkowiak Enseignante de lettres au collège, dans le Pas-de-Calais, le 9 Novembre 2014 à 10:09

Effectivement, c'est du fait de mon statut d'administratrice, et en fait j'ai cru que c'était un fil de ton autre cercle, excuses

Roseline Ndiaye Présidente du CRAP-CahiersPédagogiques, Enseignante, SVT, Paris, le 9 Novembre 2014 à 22:02
Remonter