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Des démarches...pas toujours perçues par tous les élèves

 

Béatrice Legrand est enseignante de technologie dans un collège du Pas-de-Calais. Elle a travaillé aussi parallèlement à cela avec le laboratoire Théodile de Lille 3. C'est dans ce contexte qu'elle a été amenée à interroger des élèves sur leurs représentations des différentes démarches scientifiques et technologiques.

Est-il possible en effet que cette "pratique" puisse être commune à ces quatre disciplines et revêtir un caractère pédagogique qui lisserait toute spécificité disciplinaire ?

 

Recueillir les données

150 collégiens de trois collèges de l'académie de Lille ont été interrogés par questionnaire. Ils diffèrent par leur milieu social ou leurs performances scolaires et sont issus d'un collège "ordinaire" où de multiples projets leur sont proposés, d'un établissement de milieu favorisé et notamment d'une classe bi-langue, ou encore d'un collège classé en dispositif ECLAIR. Ils ont été questionnés, par exemple, sur les activités ou les conditions de réussite qu'ils identifient dans les disciplines ou sur les composantes d'une démarche d'investigation (hypothèse, expérience, structuration)... Sept de ces collégiens ont ensuite fait l'objet d'un entretien et, d'Arnaud (élève "décrocheur") à Mathys (collégien "brillant"), tous ont contribué, par la richesse de leurs propos, à approfondir les résultats de l'analyse des questionnaires.

 

Des mots communs pour des conceptions différentes

Les recherches que j'ai été amenée à réaliser indiquent une tendance : ces démarches nécessiteraient de prendre en considération la discipline elle-même car elles portent sur des activités disciplinaires et visent des savoirs spécifiques à des disciplines scolaires. C'est ainsi qu'en technologie nous n'agissons pas dans la même rationalité que nos collègues scientifiques : ils cherchent à résoudre un problème dans l'absolu alors que nous cherchons une solution efficace, qui correspond à un certain nombre de critères relatifs. Au contraire des sciences, nous acceptons une certaine forme de créativité, mais une créativité "raisonnée", ce que Combarnous1 nomme "une manière de réflexion et de construction d'idées incluant des raisonnements". Si nos collègues de SPC sont à la recherche de "preuves", nous sommes à la recherche de "solutions".

À la lumière du discours des collégiens, il apparait que la fréquence de mise en œuvre de cette démarche et l'importance de l'autonomie qui leur est laissée ont un impact sur la clarté avec laquelle ils donnent du sens aux apprentissages et reconstruisent l'image de la discipline, c'est-à-dire quelles caractéristiques ils donnent à ses contenus, ses finalités ou aux activités réalisées.

À l'aune des réponses des élèves, en mathématiques, la démarche devient pour eux une activité préparatoire à la leçon, très limitée dans le temps, et qui les amène à la découverte de propriétés de géométrie. En sciences expérimentales, ils définissent l'expérience de la même manière dans les 2 disciplines : elle nécessite un dispositif témoin et le résultat obtenu doit correspondre au savoir validé par la communauté scientifique. En technologie, la démarche prend la forme d'une résolution d'un problème ouvert pour lequel les hypothèses sont des explications ou des propositions de solutions techniques.

 

Des démarches mieux comprises par les élèves performants

Malgré ces différences, un point est cependant commun : le sens attribué aux différentes activités dépend en grande partie du niveau de performance scolaire des élèves.

En mathématiques, les collégiens les plus performants du point de vue des résultats scolaires disent commencer un chapitre par une activité "qui les amène à la découverte de propriétés". Pour les élèves en difficulté, c'est un simple exercice et l'aspect "recherche" de cette activité ne leur est pas perceptible car ils n'ont guère le temps de chercher réellement et les moments pendant lesquels ils cherchent, copient la leçon ou réalisent les exercices sont mêlés et peu identifiables.

Dans les trois autres disciplines, la clarté avec laquelle les élèves perçoivent les démarches est également liée à leur niveau de performance. En effet, pour les élèves en réussite, les expériences en sciences ont pour visée la mise à l'épreuve des hypothèses par empirie et ils accordent une grande importance à la conclusion qu'ils rédigent. En technologie, la situation initiale est qualifiée de "vrai problème" et leur permet d'émettre des hypothèses, terme auquel ils confèrent un statut disciplinaire. Ils disent y réaliser des "structurations", qu'ils différencient des "leçons" données dans les autres disciplines.

Pour les élèves en difficulté, les hypothèses sont "des idées ou des exemples", quelle que soit la discipline et, au contraire des élèves performants, les différents moments des démarches se succèdent sans qu'ils parviennent à construire un lien entre eux. Ils ne discernent pas la finalité des expériences en sciences : au mieux, elles permettent de "voir" et de "mieux comprendre la leçon", au pire "ça sert à rien". En technologie, la situation problématique est perçue comme un simple "travail donné" et, s'ils parviennent à identifier la finalité des moments pendant lesquels ils exposent leurs travaux à leurs pairs, à l'issue d'une démarche il y a une "leçon, comme dans les autres matières".

Rendre nos activités plus significatives, leur permettre de percevoir les spécificités disciplinaires et les liens entre les étapes ces démarches, co-contruire les structurations, voici peut-être quelques pistes qu'il nous faut développer afin que ces élèves en difficulté puissent faire dialoguer les disciplines et entrer dans les différentes cultures scolaires que nous leur proposons. Les élèves en réussite, quant à eux, y parviennent visiblement sans nous.

 

1 Maurice Combarnous, ingénieur des Arts et métiers, enseignant et chercheur dont les travaux ont contribué à définir l'activité technique.