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Entretien avec Christine Carton, IEN

Dossier « L'élève à la croisée des disciplines »

propos recueillis par Céline Walkowiak

 

Christine Carton est IEN premier degré dans la circonscription de Douai Cuincy, dans le Nord. Elle a accepté de répondre aux questions que nous nous posions sur la polyvalence des professeurs des écoles.

 

On parle souvent de pratiques décloisonnées qui iraient de soi au premier degré. Qu'en est-il réellement des pratiques de terrain que vous observez?

 

Je vais vous parler essentiellement de ce que j’ai vu en circonscription. Ce qui est assez répandu, ce sont les échanges de service. Les décloisonnements restent des pratiques à la marge. Sachant que, quand je parle décloisonnement, je veux dire que l’on prend tous les élèves d’un même niveau (ou d’autres) et que les enseignants se les répartissent en fonction des besoins identifiés des élèves. Il me semble que c’est une pratique qui se développe davantage depuis les APC (Activités pédagogiques complémentaires). Dans certaines écoles, on analyse réellement les besoins des élèves et c’est à partir des besoins des élèves que la répartition pour les enseignants s’effectue. Cela enclenche parfois d’autres pratiques de classe comme la différenciation pédagogique.

 

 

Les échanges de service, cela signifie que l’enseignant qui se sent le plus à l’aise en histoire assure les cours d’histoire? Quel est l’objectif poursuivi? Exploiter au mieux les spécificités des enseignants?

 

Ou parfois pour préparer les élèves au collège. Pour moi, ces échanges de service peuvent gêner l’interdisciplinarité. Certains, par appétence pour une discipline, préfèrent prendre en charge son enseignement, d'autres pensent qu’en se spécialisant un peu, ils arriveront à faire un meilleur travail avec leurs élèves, ou pour gagner du temps de préparation. Pour d’autres encore, cela permet de respecter les horaires de travail dans toutes les disciplines puisqu’à une certaine heure, échanger les élèves: cela impose de faire des sciences, de l’histoire ou de la géographie.

Quand j’inspecte, je demande à ce qu’on interroge cette pratique d’échanges de service pour conserver la polyvalence des enseignants du premier degré. Les échanges de service entraînent une difficulté pour le travail transversal dans les cours ; par exemple, l’intérêt de faire de la production d’écrits en histoire ou en sciences, des mathématiques en géographie… On perd aussi les affichages didactiques dans les classes concernées : chaque enseignant n’a plus, dans sa classe l’ensemble des disciplines représentées. Il y a bien sûr les cahiers qui permettent ce lien, mais cela suffit-il à connaître les contenus enseignés par le collègue et y revient-on vraiment ? Je demande alors aux enseignants d’avoir les programmations des disciplines enseignées par ses collègues pour conserver la cohérence des apprentissages au sein de sa classe. Cette modalité demande une réflexion et un travail poussé en équipe pédagogique.

 

Que répondre à ceux qui pensent qu’il faut être expert d’une discipline pour pouvoir la transférer correctement dans les autres?

Quand on est très attaché à une discipline, on a l’impression que nos élèves doivent aussi y être attachés. Ce qui n’est pas toujours le cas. Je suis convaincue de l’intérêt de la transdisciplinarité, de l’interdisciplinarité… on finit pas ne plus savoir comment l’appeler on pourrait dire la transversalité des disciplines. Si on veut tout enseigner de manière très spécialisée, on n’a pas le temps de tout faire. Ce qui permet de s’en sortir, c’est justement la transversalité. On peut très bien imaginer la synthèse d’une leçon de sciences faite en production d’écrit ou une lecture de texte historique en français et en compréhension de lecture. C’est un gain de temps et d’énergie et ça donne du sens et de la cohérence à tous les apprentissages.

 

 

J'aimerais creuser un peu avec vous cette réflexion : il me semble à moi, professeur de français, que je suis mieux placée que mes collègues des autres disciplines pour identifier certaines difficultés de maîtrise de la langue de mes élèves dans les autres disciplines. Par exemple, il me semble qu'il est plus simple pour moi de comprendre que c'est l'antériorité des temps verbaux dans un protocole de SVT qui pose problème à mes élèves pour suivre ce protocole. Le collègue de SVT perçoit la zone de difficulté mais ne parvient pas forcément leur expertise fine. C'est dans cette optique d'identification des erreurs et du transfert que je me demandais si la polyvalence n'était pas parfois un obstacle à une certaine compréhension des processus d'apprentissage.

 

En effet, la didactique des disciplines n’était pas le point fort du premier degré et cela reste un une difficulté, mais il me semble que là aussi une avancée se fait. L’évolution s’impose du fait de l’évaluation des élèves, la validation des compétences et de la différenciation indispensable à la gestion de l’hétérogénéité des élèves. En quelque sorte la gestion de l’hétérogénéité impose une recherche en didactique et les enseignants du premier degré se mobilisent dans ce sens.

 

 

Comment les professeurs des écoles sont-ils formés à ces croisements disciplinaires ?

La formation dans le premier degré est pluridisciplinaire. C’est vrai qu’avec les nouveaux M2 nous arrivent des enseignants ayant davantage de facilités dans leur discipline d’origine. En Université, ils ont accès à une option « sciences de l’éducation » qui les ouvre à cette pluridisciplinarité. L’accompagnement à mi-temps de formateurs de terrain et la formation au sein de l’ESPE pallient à ce manque, de même que l’accès à des formations hybrides pour compléter leur formation.

 

Voyez vous parfois des choses qui relèvent en fait d’une fausse interdisciplinarité, c’est-à-dire que les enseignants sont persuadés d’en faire alors qu’en fait, ils n’en font pas.

 

Oui. je pense à quelqu’un qui voulait faire un travail d’écriture sur la personnification d’un objet, mais qui est parti sur un modèle de texte qui l’a obligé à faire de la lecture compréhension, étant donné la quantité d’implicite du texte. Elle l’a abandonné en cours de route et elle est partie sur un travail d’écriture en complet décalage avec le modèle de texte proposé au départ.

Les situations déclenchantes qui sont utilisées et qu’on voudrait interdisciplinaires ne le sont parfois pas du tout parce qu’elles demandent des pré-requis et un travail en amont qui n’a pas été fait. Il s’agit bien d’anticiper le travail, d’avoir une situation de départ adaptée à l’activité que l’on veut mener et d’avoir croisé les objectifs de plusieurs disciplines pour garder du sens et de la cohérence aux apprentissages.

 

J’ai remarqué qu’à l’école primaire, la lecture est très souvent associée à la créativité plastique. Au collège, ce sont deux disciplines très distinctes. On perd là une association disciplinaire très naturelle, finalement.

Récemment, j’ai vu une enseignante qui faisait une « dictée des arts ». C’est-à-dire qu’elle créait une dictée à partir de la découverte d’une œuvre d’Art réalisée en classe ce qui permettait ainsi de mettre en place la trace écrite en Arts Visuels. Et récemment encore, j’ai vu de l’EPS en langue anglaise.

 

Est-ce qu’il y a une question que je ne vous ai pas posée et que j’aurais du.

Je m’interroge sur l’arrivée du nouveau socle, avec des domaines disciplinaires qui ne vont plus être l’entrée prioritaire. Il va falloir travailler tout-à-fait autrement. Sans entrée disciplinaire une réflexion sur l’organisation du temps scolaire à partir des plages de vigilance des élèves et non plus à partir des disciplines devrait modifier les emplois du temps.

 

Vous pourriez me donner un exemple de plages de vigilance d’élève?

On sait que le matin, en 8h30 et 9h30, les élèves n’ont pas une capacité de vigilance très forte. On essaie donc d’y mettre plutôt des activités d’entraînement, de systématisation ou éventuellement les devoirs qu’on donnerait aux élèves le soir. De ce fait, on ne peut pas dire qu’on va faire du français ou des maths tous les matins en première heure : les activités qui demandent une plus grande concentration devraient prendre leur place dans la deuxième et troisième partie de la matinée. On travaille donc plus par type d’activités : les activités de découverte, de réflexion et on les place dans des plages horaires plus adaptées.