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Les professeurs documentalistes et l'interdisciplinarité

Parmi les enseignants exerçant dans un établissement scolaire du secondaire, le professeur documentaliste est le seul à ne pas disposer d'une progression inscrite officiellement dans les emplois du temps. Il n'a pas de classes attitrées. Ce faisant, il est supposé enseigner à tous les élèves comme, bien souvent, les enseignants d'éducation musicale ou d'arts plastiques dans les petites structures. Généralement seul en collège, souvent en binôme en lycée, le professeur documentaliste est donc fréquemment amené à travailler avec les autres enseignants, à l'exception de projets ou séquences qu'il mène parfois seul sur des heures spécifiques ou sur des dédoublements de classes. Dans le cadre de son enseignement, il a pour mission, depuis la circulaire de 1986, d'assurer une « initiation et une formation des élèves à la recherche documentaire ». Ce champ s'est depuis élargi vers l'information-documentation : s'il comprend toujours des apprentissages associés à la recherche et à la production documentaires, le rattachement aux Sciences de l'information et de la communication est venu l'augmenter des notions polysémiques et complexes d'information et de média.

1) Le travail en collaboration des professeurs documentalistes 

L'enquête sur les apprentissages info-documentaires, réalisée en 2013 par la FADBEN (Fédération des enseignants documentalistes de l'Education nationale), dévoile un réel engagement des professeurs documentalistes dans le travail pédagogique en collaboration1. Les dispositifs existants, comme l'Histoire des Arts et les IDD en collège, ou les TPE et l'ECJS en lycée, sont particulièrement investis par les collègues, même si cela ne correspond pas toujours à un nombre d'heures hebdomadaire conséquent, par exemple dans le cas où l'apport se limite à un ou deux niveaux. Les itinéraires de découverte sont redevenus des projets informels, et on sait que les projets ponctuels menés en interdisciplinarité sont nombreux : recherche info-documentaire en histoire, géographie, éducation civique, SVT, sciences physiques, productions variées dans les mêmes disciplines, ou encore avec les langues vivantes, le français, etc.

En complément, beaucoup de professeurs documentalistes participent aux instances pédagogiques de l'EPLE, qui sont des cadres favorables au dialogue avec les autres disciplines, permettant de mettre en oeuvre cette volonté de travail collaboratif dans le but de développer de savoirs en information-documentation chez les élèves. Les professeurs documentalistes assurent une moyenne hebdomadaire de sept heures de séances pédagogiques avec des groupes-classes, pour une amplitude de 4 à 12 heures selon les collègues. On peut estimer que plus des deux tiers de ces séances sont menées en interdisciplinarité, en collaboration, avec la volonté de transmettre des savoirs par l'activité.

2) L'intérêt de la collaboration pour les professeurs documentalistes

Dans ce cadre, l'objectif des professeurs documentalistes est bien de transmettre des savoirs spécifiques à l'information-documentation, « à la croisée des disciplines », c'est-à-dire en contextualisant la démarche d'apprentissage. Ainsi, beaucoup de notions info-documentaires supposent cette démarche : le besoin d'information, la structure du document, l'outil de recherche, la requête, le mot-clé, la navigation arborescente, l'hypertexte, la pertinence, l'évaluation de l'information, la prise de notes, la production documentaire, la publication, etc.2 Prendre appui sur le chapitre d'un programme disciplinaire, dans une approche différente, ponctuelle, permet de faire sens auprès de l'élève pour développer des connaissances et compétences info-documentaires autrement plus délicates à assimiler. Prendre appui sur une thématique abordée en français ou en langues vivantes, sur un projet conjoint plus ou moins long, permet de mettre en avant des connaissances relatives aux médias, à la publication, tout en donnant les moyens à l'élève de faire lui-même pour mieux comprendre. La mise en activité ne suffit pas à elle seule, non plus que l'interdisciplinarité : on peut étudier les médias pour eux-mêmes, selon un angle info-documentaire, selon un angle relatif aux contenus écrits, à l'oralité, au discours... mais le travail collaboratif favorise, toujours avec la volonté de faire sens, une compréhension par la manipulation, tout comme on peut apporter des connaissances documentaires à travers une activité de recherche.

Il convient alors d'insister sur la compétence spécifique des professeurs documentalistes en ce qui concerne ces apprentissages de l'information-documentation, compétence qui n'est pas toujours effectivement installée dans les mentalités. L'enseignant documentaliste dispose pourtant des connaissances didactiques nécessaires pour savoir comment aborder, selon une progression raisonnée, ces différentes notions avec les élèves, tout en intégrant une approche critique de leurs compétences numériques et de leurs usages de la documentation et de l'informatique à des fins « scolaires » ou intellectuelles. Il apparaît clairement, si l'on prend par exemple l'activité de recherche, pour laquelle la compétence du professeur documentaliste est reconnue, qu'elle ne va pas de soi, et qu'on ne peut engager les élèves à « faire une recherche » sans apprentissages préalables. Il serait réducteur de ne considérer cette activité qu'en termes de compétences communes, alors qu'elle nécessite des connaissances et compétences spécifiques, réfléchies en termes de transmission pédagogique. C'est dans la mise en oeuvre de situations pédagogiques propices à l'acquisition de ces dernières que des activités transversales, construites en interdisciplinarité, montrent tout leur intérêt.

3) Limites identifiées et propositions pour une interdisciplinarité efficace

Si le travail des professeurs documentalistes en collaboration avec les autres enseignants est quasiment systématique dans le cadre de dispositifs institutionnels souvent investis pour la mise en place de projets conjoints, on peut toutefois observer plusieurs limites, entre contraintes et difficultés plus ou moins ponctuelles. Cette identification des limites permet de formuler quelques propositions, à destination, d'une part, de tous les enseignants, et d'autre part, de l'institution.

La question se pose d'abord de la ponctualité de ces projets interdisciplinaires, qui ne se pose pas pour les contenus des programmes disciplinaires. En effet, si la circulaire de missions des enseignants documentalistes formule une injonction à ce que les apprentissages info-documentaires soient systématiques, on s'aperçoit qu'il est difficile d'y répondre effectivement. On peut convoquer, pour l'expliquer, les arguments de l'insuffisance du nombre de professeurs documentalistes, ou de la diversité des modalités de leur recrutement. Mais la difficulté tient aussi à ce que l'interdisciplinarité ne prend pas un caractère obligatoire ; que le projet passe donc par un travail, parfois difficile, pour convaincre les collègues concernés. Cet état de fait empêche la systématisation de l'enseignement des savoirs en information-documentation ; il génère des difficultés accrues quand de nouveaux collègues arrivent dans l'établissement, impliquant de renouveler depuis le début la patiente démarche construite auprès de leurs prédécesseurs. Cet obstacle est d'autant plus important que l'information et la formation initiale relatives à ce travail interdisciplinaire avec les professeurs documentalistes sont très variables selon les ESPE, et selon les disciplines…

La collaboration ne va pas de soi, et la difficulté de sa systématisation rend difficile, voire impossible, la mise en oeuvre d'apprentissages info-documentaires satisfaisants et, surtout, déclinés selon une progression réfléchie. Naturellement complexe en ce qu'elle engage des rapports humains, elle peut encore être empêchée, dans le cas des professeurs documentalistes, par d'autres facteurs : par exemple, quand cette collaboration n'est pas, ou est mal présentée dans les programmes et dans les documents d'accompagnement, ou encore dans les formations. Il paraît pourtant essentiel de rendre la collaboration pédagogique effective, dans l'intérêt des élèves, en dépassant d'éventuelles mésententes individuelles, mais aussi en respectant les spécialités et spécificités des domaines d'apprentissage. Dans ce sens, toute importante qu'elle soit, la seule initiative individuelle d'un enseignant d'une autre discipline se rapprochant du professeur documentaliste pour engager un projet de recherche ou de production ne suffit pas, car elle ne répond pas au besoin de structurer l'ensemble des projets pour en gérer la systématisation et la progression des objectifs d'apprentissage, relevant du professeur documentaliste. Cet enjeu passe par une reconnaissance de la nécessité d'une démarche élargie de collaboration pédagogique, incluant le professeur documentaliste au-delà d'un simple apport documentaire ou logistique ; cette dernière peut, certes, passer par le niveau institutionnel, dans l'idéal, mais aussi par la formation de tous les enseignants, des chefs d'établissement, des inspecteurs, etc.

La réussite d'une telle collaboration en interdisciplinarité implique ainsi, et on sait que ce n'est pas toujours fait, de travailler ensemble, en amont et en aval de la séquence : il s'agit de la concevoir ensemble, construire une relecture mutuelle active, définir au préalable les rôles et les objectifs de chacun, les savoirs visés... Il s'agit aussi d'évaluer la séquence ensemble, en pensant cette évaluation partagée dès la conception, en prévoyant éventuellement un temps de travail commun, à la suite de la séquence, pour en formaliser l'évaluation sur une heure ou deux, afin de mieux comprendre les objectifs de chacun.

Conclusion

Le travail collaboratif dans les pratiques professionnelles des professeurs documentalistes est bien réel en 2015, en particulier dans le cadre de différents dispositifs dits « transversaux », ou dans des projets informels, au sein desquels ces enseignants transmettent des savoirs dans un contexte interdisciplinaire de mise en activité des élèves. Il n'en reste pas moins que ces croisements fréquents doivent avant tout favoriser le développement de savoirs définis, impliquant un questionnement sur ce qui est commun ou « transversal », ainsi que sur l'intérêt de l'interdisciplinarité. Les limites observées peuvent être dépassées, dans les recommandations institutionnelles et par les formations initiales et continues, mais aussi par une collaboration qui prend forme dans la conception et dans l'évaluation des activités pédagogiques mises en place.

Florian Reynaud et Gaelle Sogliuzzo

Bureau national de la FADBEN