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Dans son « Introduction à l'histoire des faits éducatifs » (PUF, 1980), Antoine Léon a consacré un chapitre entier à la question des disciplines, un chapitre intitulé de façon tout à fait significative : « Des disciplines majeures et des disciplines mineures ».

 

Le cheminement qui l'a conduit à cette question ne manque à l'évidence pas d'intérêt pour « l'élève à la croisée des disciplines ». Antoine Léon souligne en effet que « la volonté, fréquemment proclamée, de décloisonner les disciplines, d'organiser un enseignement interdisciplinaire ou de mettre en place des équipes éducatives, se heurte à des obstacles qui tiennent entre autres, à la hiérarchisation implicite ou explicite des matières enseignée, au fait que certaines disciplines sont considérées comme majeures et d'autres comme mineures ».

Il est significatif qu'Antoine Léon a été amené à prendre en compte la notion de ''discipline'' parce que celles-ci peuvent être un obstacle dans la mesure où elles apparaissent comme des entités fortement délimitées, ''auto-suffisantes'', clôturées sur elles mêmes et hiérarchisées entre elles. Et Antoine Léon cherche alors à savoir « quelles sont les sources, les formes et les critères de cette hiérarchisation ».

 

Mais de quoi parle-t-on lorsqu'on parle de ''disciplines'' ? Pour Antoine Léon, « la discipline peut être définie comme un ensemble de connaissances ou de savoir-faire dont l'unité, réelle ou supposée, est fondée sur un ou plusieurs critères : communauté d'objectifs ; liaison intrinsèque, d'ordre logique ou chronologique, entre les différents éléments ; similitude des méthodes de production des savoirs ; similitude des méthodes d'enseignement ».

 

Plus important encore pour la question posée : le ''statut'' de chaque discipline. Antoine Léon en donne la définition suivante : « on parlera du statut d'une discipline scolaire pour désigner un réseau de relations qu'il s'agit d'analyser du triple point de vue scientifique, pédagogique et social. D'une manière plus précise, le statut d'une discipline scolaire repose non seulement sur les rapports que cette discipline entretient – sur les plans scientifiques et pédagogiques – avec les autres disciplines, mais aussi sur les caractéristiques sociales des personnes et des groupes qui participent à la production, à la diffusion et à l'utilisation des savoirs ou des savoir-faire considérés. Songeons, par exemple, à tout ce qu'implique, du point de vue psychologique, sociologique, et pédagogique, l'enseignement du latin ou l'initiation technologique ».

 

A cet égard on ne sera pas autrement surpris de l'ordre d'apparition des différentes agrégations ( un passage supposé à la reconnaissance d'une certaine excellence) qui donne à voir chronologiquement une certaine hiérarchie disciplinaire qui tend à perdurer.

En 1766 sont créées les agrégations de lettres et grammaire (gréco-latines) ; en 1821, celle de ‘’sciences’’ ( toutes catégories confondues, avec les mathématiques ). Suivent celle de philosophie en 1825 puis d’histoire en 1831. En 1849, apparitions d’agrégations de langues vivantes, allemand et anglais. L’agrégation de sciences se dédouble en agrégation de mathématiques et agrégation de sciences en 1841 ( qui se scinde elle-même en agrégation de sciences physiques et agrégation de sciences naturelles en 1885 ). Suivent celles d’espagnol et d’italien en 1900, d’arabe en 1907, de russe en 1947. Il faut attendre 1960 pour que soit décidée une agrégation de lettres modernes.

En 1962, création d’une agrégation de techniques économiques et de gestion ( transformée en 1980 en économie et gestion ). Suivent celles de mécanique en 1968 ; de génie civil, de génie électrique, de génie mécanique en 1975. L’agrégation d’éducation musicale apparaît en 1974, celle d’arts plastiques en 1975. En 1977 est créée une agrégation de sciences sociales. L’éducation physique et sportive ferme la marche de la reconnaissance des excellences disciplinaires en 1982 ( si on ne prend pas en compte la création de quelques autres agrégations de langues vivantes telles que le portugais en 1973, l’hébreu moderne en 1977, le polonais en 1978 ou le japonais en 1984 ).

Finalement, on a sommairement le feuilleté historique suivant : d’abord les disciplines des ‘’humanités classiques’’ ( lettres classiques, philosophie et histoire ) ; puis celles des ‘’humanités modernes’’ ( mathématiques, sciences, langues vivantes ) ; suivent, avec beaucoup de décalage, les matières ‘’nobles’’ de la ‘’technologie’’ ( techniques économiques et de gestion, puis mécanique, génie civil et électrique ) ; et enfin les disciplines de ‘’pratiques’’, artistiques ou physiques ( musique, arts plastiques, éducation physique et sportive ). Les agrégations du domaine des sciences sociales ou humaines restent finalement évanescentes.

Au terme de son étude sur les « disciplines majeures et mineures », Antoine Léon propose une « Grille pour l'analyse du statut d'une discipline » qui peut encore contribuer à l'orientation de la réflexion dans ce domaine toujours aussi peu exploré véritablement, mais ouvert. Et cela en fonction des trois composantes qu'il a énumérées : selon son statut scientifique (relations entre telle discipline comme objet scientifique et, d'une part, la même discipline comme objet d'enseignement et, d'autre part, les autres disciplines comme objets scientifiques), selon son statut pédagogique (influences et déterminations diverses), enfin selon son statut social (aspects ''subjectifs'' – représentation de la discipline chez les différents groupes concernés par l'enseignement – et aspects ''objectifs'' – valeur sociale de la discipline et statuts sociaux des personnes appelées à utiliser la discipline dans leurs activités professionnelles).