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Personnel de direction depuis trois ans, j’ai auparavant enseigné une dizaine d’années en établissements relevant de l’éducation prioritaire (PEP 4, RAR et ECLAIR). J’avais d’ailleurs eu l’occasion d’y mener des co-animations dans les classes des écoles de réseau.

Nommé adjoint au collège Clemenceau à Paris, établissement qui concentre un grand nombre d’élèves en grande fragilité sociale et scolaire (plus de 70% d’élèves boursiers, 20% de familles monoparentales, plus de 10% élèves bénéficiant de mesures protection de l'enfance), c’est donc assez naturellement que je me suis engagé avec les équipes à la mise en œuvre d’une continuité pédagogique inter-degrés, convaincu de l’importance de limiter les effets de seuil pour lutter contre le décrochage à l’entrée au collège.

 

Les points forts de la liaison

 

Trois axes de travail principaux ont été construits :

  • échanger les informations sur la scolarité des élèves du réseau pour assurer au mieux la continuité des parcours scolaires commissions de liaison mobilisant les équipes enseignantes, de vie scolaire et médico-sociale, PPRE-passerelle entamés en juin et poursuivis jusqu’à la fin du 1er trimestre, conseils de classes ouverts aux directeurs et aux professeurs des écoles),
  • préparer les élèves de CM2 à la vie au collège (accueil au collège par des pairs en juin, semaine d’accueil dédiée aux 6e pris en charge une semaine durant par leurs professeurs principaux, café des parents lors de la pré-rentrée),

- limiter des particularismes structurels du collège (salles de classes dédiées aux 6e, accompagnement personnalisé fléché chaque matin pour un accueil assuré par le professeur principal de chaque classe, changements de rythmes limités).

Ce protocole d’accueil dorénavant abouti a permis aux élèves d’être plus rapidement autonomes et d’entrer en « mode collégien » plus rapidement que les années précédentes.

La continuité pédagogique inter-degrés est également recherchée tant du point de vue des dispositifs (le dispositif lecture « R.O.L.L », l’enseignement intégré des sciences) que de l’évaluation (classes « sans notes » comme pour l’ensemble des écoles de la circonscription). Les échanges de pratiques enfin (« voyages pédagogiques » inter-degrés entre enseignants du réseau) tentent de mettre l’explicitation au cœur des apprentissages comme établi dans le contrat du réseau.

Aujourd’hui, si des difficultés demeurent pour mettre en œuvre des échanges de pratiques constructifs, je vais y revenir, un bref regard en arrière permet malgré tout de mesurer la quantité et la qualité du travail entrepris dans les réseaux d’éducation prioritaire alors que la liaison inter-degrés était quasiment inexistante avant la mise en place des réseaux ambition réussite en 2006. A l’heure où les conseils écoles - collège se mettent en place, les réseaux de l’éducation prioritaire ont de mon point de vue presque deux lois d’orientation d’avance, du moins « techniquement », sur la réalisation de l’école du socle.

 

Les limites, les difficultés, les champs de progrès

Ce qui reste préoccupant sur le collège, au-delà de l’arrivée croissante dans les classes de sixièmes d’élèves issus de familles paupérisées, c’est la difficulté à faire progresser les résultats des élèves y entrant. Le collège semble agir comme le révélateur de difficultés souvent affleurantes en primaire, qu’il peine à les résoudre.

Il ne les résout pas parce que les processus d’apprentissages ne font pas toujours sens (mais quelle part donnée à l’explicitation et à la capacité à mobiliser ses savoirs ?), l’erreur est encore bien souvent considérée comme une faute, la compétence résumée à une procédure, l’empêchement de penser et ses conséquences sur le décrochage scolaire souvent méconnus[1] et la différenciation pédagogique limitée.

De ce point de vue, l’école reste avant tout un modèle normatif « fonctionnant sur le principe d’homogénéisation qui s’accommode mal de l’hétérogène et ne peut que révéler de plus en plus ceux qui s’en différencient »[2].

 

Pour éviter un ancrage de pratiques inadaptées, il me semble qu’un accompagnement pédagogique de proximité et régulier lors des premières années d’une carrière d’enseignant serait à construire, un accompagnement par des pairs tuteurs certes, mais aussi et surtout par les corps d’inspection (inspections conjointes IEN / IPR par exemple pour le cycle de consolidation). La grande majorité des enseignants débutant leur carrière en éducation prioritaire, ce serait une mesure bénéfique pour l’ensemble du système : les professeurs bien évidemment, guidés et soutenus au moment où ils en ont le plus besoin, les établissements de l’éducation prioritaire qui bénéficieraient d’une image renforcée auprès des familles, les élèves encadrés par des enseignants confiants car légitimes et sûrs de leurs pratiques.

Refonte des pratiques donc, mais aussi réflexion sur la « structure » du collège dont la méthode simultanée et l’organisation de l’espace-classe restent depuis Jean Baptiste de la Salle un espace clos d’une « soixantaine de mètres carrés où sont alignés tables d’élèves en direction du pupitre du maître »[3].

Cette réflexion devra également casser des rythmes scolaires progressivement enkystés dans des apprentissages « taylorisés » (zapping disciplinaire 7 à 8 fois par jour) avec des emplois du temps à rallonge où le temps de remédiation est souvent délégué (relégué) à une heure tardive (où l’établissement est souvent presque vide mais où les élèves fragiles arrivés à 7h 45 le matin sont encore là pour compenser…) et engager enfin la mise en œuvre de l’annualisation du temps de travail des élèves (et donc des professeurs). Sur ce dernier point, l’évolution vers une véritable école du socle serait amplement facilitée par la remise aux chefs d’établissements de DHG annualisées et non établies, comme c’est encore le cas aujourd’hui, sur la base d’un fonctionnement hebdomadaire et cloisonné des disciplines. La révolution des mœurs pourrait alors s’opérer dans les conseils d’enseignement, pédagogique et d’administration du collège.

 

Des perspectives réjouissantes ?

L’optimisme de la volonté devant primer sur le pessimisme de la raison, il convient de constater malgré tout que des avancées majeures sont en marche pour permettre l’accomplissement de l’école du socle et la réussite du plus grand nombre :

- la scolarisation avant 3 ans sera une avancée considérable pour lutter contre la « catastrophe précoce »[4],

- les conseils écoles - collège et la mise en place du cycle de consolidation permettront de croiser les pratiques et d’assurer une cohésion pédagogique de réseau effective,

- la refonte de la politique de la ville associant les académies à la signature des prochains contrats de villes permettra de meilleures synergies des politiques publiques pour construire une « polyphonie professionnelle » [5] destinée à transmettre, éduquer, protéger, soigner et assurer la capacitation de nos élèves.

 




[1] Serge Boimare, Anti-manuel de pédagogie à l’usage des professeurs qui rencontrent des élèves décrocheurs

[2] Nicole Catheline, 2012, Psychopathologie de la scolarité, 3e édition, Elsevier Masson

[3] Les espaces scolaires, 2014, Revue internationale d’éducation, CIEP

[4] Betty Hart et Todd Risley, 2004, The early catastrophe

[5] Bertrand Ravon, sociologue à l’université Lyon II