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Envie d’étirer le cadre…

 

Professeure des écoles en charge d’une classe de CM2 pendant six ans; j’ai rejoint le collège en tant que coordonnatrice du niveau 6e il y a maintenant quatre ans. Cette découverte du collège, de l’intérieur, s’est accompagnée de surprises plus ou moins heureuses et de constats souvent pessimistes, notamment sur la rigidité du cadre. Si je me suis parfois sentie « lost in translation », la rencontre de certains collègues et le travail engagé avec eux m’ont permis de m’acclimater. Des avancées se sont dessinées, le champ des possibles s’est un peu élargi et la nécessité de penser l’accueil et l’accompagnement des élèves de 6e s’est affirmée.

 

La liaison CM2-6e : l’arbre qui cache la forêt?

     J’étais depuis plusieurs années impliquée dans la liaison CM2-6e. La problématique de la transition traçait une ligne de fuite qui dessinait une perspective singulière : préparer mes élèves à partir. La question de l’inter-degrés, est souvent  abordée sous l’angle des actions, des projets qui jouent alors une place de piliers là où ils devraient œuvrer comme un étayage de changements pédagogiques et structurels pensés ensemble. J’y ai vu pendant longtemps l’essentiel de la liaison mais peu à peu s’est dessiné une autre ligne plus profonde, une ligne qui fait bouger les autres lignes. Vouloir bâtir une continuité école-collège plutôt que d’agir autour de la liaison CM2-6e, c’est opérer un glissement de niveau qui fait apparaître des enjeux d’évolution plus profonds. Le cœur de la continuité école-collège réside, je le crois aujourd’hui, dans des changements de pratiques et d’approches pédagogiques et professionnelles qui touchent élèves et personnels au cœur de leur identité. L’entrée au collège constitue un moment particulier dans la scolarité durant lequel s’ouvre une brèche chez les élèves les plus fragiles et dans les fondations de notre système. Cette étape agit sans doute comme un révélateur des failles de notre système. Comment pourrions-nous tirer profit de cet éclairage pour interroger la notion de continuité ?

 

Trois souvenirs

Réunion pour un projet inter-degrés. Après avoir exprimé son atterrement face au niveau des élèves de 6e (« mais que leur a-t-on appris à l’école? »), une professeur de français en vient à parler d’une de ses élèves qui « ne sait pas lire !». Mes oreilles sifflent et je lui suggère de demander à cette élève de lui apporter son carnet de lecture rédigé l’année précédente alors qu’elle était dans ma classe de CM2.  Ce carnet empli de notes de lecture personnelles, riches et spontanées qui témoignaient non seulement d’une maîtrise de la lecture mais du goût pour celle-ci!

La même année, j’apprends que l’élève qui avait obtenu plus de 80% de réussite aux évaluations nationales de CM2 redouble sa sixième. Il sera ensuite exclu de l’établissement.

J’aimerais voir en ces souvenirs, non pas l’occasion de dénoncer un collège qui échouerait à maintenir les élèves dans une spirale de réussite mais un point de départ pour nous remettre en question, ensemble. Ce que je pensais avoir construit avec eux était donc si friable? Avais-je nourri un malentendu par des attentes mal ciblées? Comment en quelques mois les regards portés sur ces élèves avaient-il pu tant changer? Comment leur attitude avait-elle pu se dégrader à ce point et leur envie d’apprendre s’évaporer? N’avais-je pas su prévenir ou soupçonner un décrochage futur?

Autre année, autre souvenir : ma nomination au collège étonne ceux qui n’y comprennent pas la place d’un « professeur de pâte à modeler ». Ce propos, bien qu’isolé peut néanmoins trouver un écho chez ceux pour qui le degré de qualification est mesure des contenus disciplinaires maîtrisés. Comment construire ensemble une école si la professionnalité de chacun n’est pas justement reconnue? Comment permettre aux élèves de ne plus regarder passer le train de leur scolarité vécue comme un chemin fractionné et d’entrer dans une logique de parcours qui se construit avec des étapes qui font sens ?

 

Le collège : un cadre étriqué à étirer

      Entrer en 6e, c’est entrer dans un monde beaucoup plus bureaucratisé, où le poids du structurel apparaît parfois comme écrasant. Le quasi incontournable « une heure = un professeur = une classe = un cours » renforce un rapport aux apprentissages peu fécond et des postures passives. Cela fait reposer sur l’élève la responsabilité d’articulation et de mobilisation des savoirs pour penser et induit donc de fortes inégalités. Ne voyant pas avant le poids induit par ces cases, j’ai moi-même essayé de calquer ce cadre dans ma classe influencée par la légitimité du second degré et la peur de jouir pleinement de la liberté donnée à l’école quant à l’organisation du temps. Ce n’est que tardivement que j’ai pris conscience de l’intérêt crucial de la polyvalence.

Travailler au collège au quotidien m’a permis de prendre conscience que certaines de mes conceptions étaient erronées. J’avais comblé ma méconnaissance de cet univers par mon expérience d’élève. Cela peut souvent constituer un frein dans la recherche de continuité car les acteurs de chacun des degrés pensent avoir une connaissance réciproque mais celle-ci est bien souvent construite sur le même malentendu que celui que j’évoquais. C’est donc un regard de professionnel qui est à poser avec une connaissance mutuelle reconstruite, une expérience relue et une découverte d’un collectif nouveau.

Avec le travail d’équipe engagé, nous avons tenté d’étirer un peu le cadre, de faire vivre au mieux l’existant (les instances de liaison, les circulaires…), nous avons agi sur le périphérique sans pouvoir toucher le cœur. L’organisationnel laisse peu d’espace au sens et l’équilibre est difficile à trouver entre l’explicitation du formel et la mise en avant des enjeux réels. Des liens sont créés entre les différents acteurs, reste à les tisser dans un maillage plus étroit qui n’ignore personne.

 

     L’horizon du conseil école-collège, du cycle de consolidation et de ses nouveaux programmes, représente sans doute l’opportunité de déstabiliser nos représentations. De la réflexion partagée émergeront peut-être peu de réponses immédiates mais les questions de chacun laisseront place à de nouvelles questions communes. La continuité pourrait s’y dessiner en filigrane avec en son centre une interrogation : accompagner l’élève qui tourne la page et aborde chaque nouvelle année comme une page blanche afin que ses apprentissages prennent sens et qu’il en écrive l’histoire.

Si vue du collège, l’école primaire m’est quelques fois apparue comme un paradis perdu, il est sans doute plus juste et plus fertile de se tourner vers l’école qui vient où tout est à construire sur le terreau du socle commun.