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Qu'en sera-t-il des élèves de SEGPA dans le cadre de l'école du socle? Un enjeu décisif pour la construction d'une école commune. Parviendra-t-on à restaurer chez ces élèves à la marge de l'enseignement traditionnel la confiance dans les apprentissages et à assurer l'indispensable des connaissances et compétences? Un révélateur sans aucun doute.

Réfléchir sur cette question est indispensable, puisqu'il s'agit bien de les intégrer à une école commune, mais pas n'importe comment. Au fond, ce qui est en jeu avec les SEGPA est Une réflexion sur les élèves de SEGPA, pour qui iI importe de recentrer les enseignements sur les expériences et les apprentissages culturels, de rendre plus simples et explicites les contextes et les attendus, d'évaluer avec bienveillance en encourageant et de savoir différencier les activités et compenser les écarts en matière d'expérience sociale. C'est à ce prix que se restaure la confiance dans les apprentissages.

Les élèves de SEGPA sont devenus les habitués de l'erreur, les rompus de la faute, les abonnés des mauvaises notes. N'ayant pas beaucoup de connaissances d'ordre scolaire ou culturel et faisant dépendre le peu qu'ils possèdent d'un certain champ d'application et d'utilisation, ils ont collectionné les appréciations disqualifiantes, les notes infamantes et les jugements décourageants. Comment leur redonner confiance dans les apprentissages avant le collège et comment mieux les accompagner après ?

Comment ne pas figer les destins?

Il est fréquent d'imaginer la relation cours moyen/SEGPA comme un processus de préorientation. Il s'agirait alors de mieux identifier très en amont les élèves qui pourraient y prétendre, histoire de remplir la structure et de préparer les familles à l'inéluctable. Cela suppose une grande stabilité de jugement que l'on obtient aisément en figeant les destins, celui qui n'est pas encore capable de faire devenant celui qui est incapable de faire.

On hiérarchise entre ceux qui ont une pensée réversible (si A est plus petit que B, alors B est plus grand que A), un sens de l'abstraction (savoir appliquer la formule et reconnaître sa présence sous-jacente en situation) et ceux qui ont une pensée dépendante du contexte (importance du geste, du vécu et difficulté à penser autrement que la manière usuelle de penser).

On considère que les jeux sont faits au point que l'on s'impatiente parfois en proposant à des élèves qui n'ont pas une seule année de retard de faire le pas. Les élèves ne sont plus aidés à construire leurs compétences, mais incités à quitter la route ordinaire dans l'attente d'un nouveau chemin jugé miraculeusement plus fécond.

Une radio pour conquérir le savoir-dire

Prenons l'exemple de la maîtrise de la langue orale. Comme tous les élèves jugés en difficulté, les collégiens de SEGPA ont intériorisé l'idée que l'école est un lieu où l'on répond aux questions que l'on vous pose et pas nécessairement un lieu où l'on se pose à soi-même des questions. Le jeu scolaire avec son rituel a produit l'incapacité à s'interroger sur l'acquisition des connaissances ou à reformuler les demandes. Le plus souvent c'est l'adulte lui-même qui fait le lien entre les différentes questions. D'où l'intérêt de leur donner des tâches qui les contraignent à créer des liens pour faire sens en dépassant les échanges verticaux adultes/jeunes et en favorisant le travail en groupes de pairs sous la forme de présentation de documents, de livres, de films, de panneaux ou d'exposés. Cela suppose que le professeur sache écouter ce que les élèves disent ou du moins veulent dire, qu'il se garde de juger de la validité de la réponse, qu'il demande au contraire à l'élève de reformuler lui-même ou de préciser ses propos.

Nous avons pu observer dans un collège lorrain relevant de l'éducation prioritaire l'impact d'un projet de réalisation d'une émission radio sur les apprentissages des élèves de 4ème et 5ème de SEGPA. Émettant tous les jeudis avec l'appui d'une équipe de professeurs des écoles spécialisées et de collège, les élèves ont pu apprendre à prendre la parole, à maîtriser l'émotion du direct, à mesurer les effets de leur discours, à réajuster leurs propos, à organiser leurs interventions, à écouter les autres et eux-mêmes. Sur le plan cognitif, ils ont développé leur attention à la réalisation d'une tâche, leur anticipation des divers temps d'une émission, leur mémorisation des textes lus et l'exigence d'une relecture et d'une réécoute. Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture est devenu concrètement accessible les incitant même à organiser leur propre travail et à s'approprier une grammaire faites de phrases simples et courtes, un lexique de mots concrets décrivant pour l'auditeur le non-visible. Il va sans dire que ces élèves ont pu aborder la soutenance du dossier de stage au certificat de formation générale (CFG) en maîtrisant beaucoup mieux la langue et leurs émotions.

Ils obligent à penser l'après du collège

Pour les élèves de SEGPA le chemin vers le socle ne s'arrête pas au collège. Ces élèves « extraordinaires » débordent du cadre de l'école du socle. Ils obligent à la penser au-delà du collège dans une continuité qui demeure si difficile à construire et dans un système éducatif féru d'évaluations et soucieux de résultats d'examen, comme si l'après comptait si peu. On est loin du concept de « formation tout au long de la vie » qui a pourtant plus de quarante ans d'âge.

La question de ce qui est à construire ensemble demeure encore ouverte. Un cycle commun école/collège amorce une réelle évolution qu'il faudra étendre à l'ensemble en faisant du socle le trait d'union entre le collège et le lycée. En articulant le culturel et le professionnel, l'enseignement général au technologique, la SEGPA incluse dans le collège ne cantonne plus l’enseignement à la répétition de gestes habilement reproduits, elle fait appel à des savoirs aussi bien logiques que mathématiques, linguistiques que techniques tandis que les compétences du socle sont à l’œuvre dans le croisement de ces enseignements. Elle constitue une bonne manière de préparer l'accès à une qualification en lycée professionnel. Gageons toutefois qu'une plus grande implication de l'élève en amont et en aval du collège dans l'élaboration des savoirs puisse lui insuffler l'ambition du lycée, lui redonner confiance et lui donner conscience des obstacles rencontrés en réduisant sa crainte de l'inconnu, de l'imprévu et de l'erreur.

IA-IPR Etablissements et vie scolaire à Nancy (auteur de Libérons l'avenir de l'école, l'Harmattan, 2013.)