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Benjamin Paul, principal du collège de Vic-Fezensac

Le rêve en matière de liaison, c'est l'entrée magistrale : la bibliothèque commune de compétences, des outils méthodologiques partagés ou une réflexion et des actions globales sur le travail donné à faire à la maison. Mais il y a la réalité, le contexte,  les singularités et le facteur temps. Récit d'une aventure qui dure- comme parfois l'amour - depuis 3 ans dans un contexte singulier d'écoles rurales avec un collège de secteur sans note. Deux ans à s'apprivoiser, à mieux se connaître et une mise en œuvre plus effective depuis que nous consacrons 3 heures à travailler avec les écoles toutes les semaines ou presque...

Arrivé il y a 3 ans en responsabilité au collège de Vic-Fezensac qui expérimente l'évaluation sans note de la 6° à la 3° (Cahiers Pédagogiques n° Ce qui fait changer un établissement), je me suis intéressé aux liens qui existaient entre ce collège rural gersois de 280 élèves et ses 6 écoles de secteur disséminées sur 28 communes. Dans ce contexte, seules 2 classes sont des CM2 "classiques", les autres écoles fonctionnant en école de cycle 3. Les réunions de liaisons se tenaient de façon biannuelle comme très souvent avec une co-animation d'un conseiller pédagogique ou de l'IEN avec le Principal. La première journée en automne avec pour thème -souvent imposé à la circonscription entière- les items qui posent problème en français et mathématiques ("les inférences" et "la proportionnalité", thèmes que j'avais traité dans un département voisin les années précédentes dans un contexte pourtant très différent ).  La seconde au printemps, 2 heures une fin d'après midi pour passer le témoin et travailler à l'accueil des futurs 6°.

J'ai observé d'emblée avec beaucoup de plaisir, l'excellent état d'esprit qui animait les enseignants : une professeure de français du collège soulignant les efforts manifestes des instituteurs en matière de maîtrise de la langue qui avaient des effets visibles sur les 6°, les professeurs du primaire soulignant immédiatement qu'ils avaient fait des choix au regard des réunions précédentes et qu'il y aurait sans doute des incidences sur les supports utilisés -parfois moins diversifiés du coup - du côté de l'histoire géographie par exemple. La professeure concernée rassurant ses collègues dans un grand sourire et valorisant les effets bénéfiques d'une bonne maîtrise de la langue. Bref, un travail de réflexion était engagé et sa forme montrait une volonté manifeste de tisser du lien. Nous n'étions pas dans le jugement, le règlement de compte mais dans l'envie de faire quelque chose d'utile dans le cadre de ce trop bref exercice imposé. J'ai donc décidé de "surfer" sur cette envie réciproque. Dès la première réunion, nous avons modifié l'ordre du jour "imposé" pour accueillir les professeurs des écoles en classe au collège afin de présenter le projet "Envie d'Apprendre" qui nous conduisait à généraliser progressivement l'évaluation sans note. Les priorités de travail proposées à la circonscription ont été traitées le matin et le reste de la journée de liaison a été consacré à se connaître mieux en allant en classe avec des élèves de 6° autour d'un projet, son pourquoi, son comment, nos questions et nos doutes.

Des limites à dépasser

La deuxième année, nous avons fait la même chose mais en sens inverse, les professeurs des écoles accueillant ceux du collège dans leurs différentes classes et leurs différentes réalités. Bien sûr, dans la continuité du travail entrepris, nous avions 3 axes de travail (Travail sur les outils méthodologiques, carnet de lecture avec la plupart des écoles et 2 écoles avaient même demandé à expérimenter l'utilisation d'un logiciel d'acquisition de compétences qu'utilise le collège avec l'expertise de notre CPE). Comme dans de nombreux endroits, les "projets" étaient réels mais très liés aux relations intuitu personae des enseignants. La distance géographique, la difficulté de trouver du temps au milieu des programmes et les moments restreints consacrés institutionnellement à cette liaison nous conduisaient à avoir une ambition pour ce travail tout en étant indulgents avec nous même sans jamais pouvoir généraliser une opération à l'ensemble des écoles. Pour couronner le tout un professeur des écoles, nouvellement nommé sur un CM2, mettait des notes aux élèves qui n'en avaient jamais eu et qui arrivaient dans un collège sans note. Bref, 2 ans d'un beau travail de liaison avec beaucoup de bonnes volontés, un zeste d'inertie et ce que l'on sait tous d'un système qui empile les contraintes -parfois les contradictions- pour faire avancer le schmilblick sans décider vraiment de retirer ce qui est devenu superflu au risque que cela ne manque à quelqu'un...

En février 2013, Le Directeur Académique a décidé d'attribuer 3 heures dans la dotation hebdomadaire des collèges gersois à compter de la rentrée pour développer les projets de liaison. Et nous voilà partis dans l’esprit de « l’école du socle ».

La "stratégie", la volonté de l'équipe impliquée en conseil école -collège a été de proposer différentes actions, très ouvertes, très différentes avec une -commune à toutes les écoles- mais beaucoup de place et de liberté pour laisser faire l’envie, laisser la place à tous de s’exprimer.

Bizarrement, ce sont certains enseignants du collège-toujours un peu les mêmes déjà fortement impliqués par ailleurs- qui ont manifesté leur envie, ont monté des projets ou se sont rendus disponibles pour commencer dès l'automne; ceux des écoles étant plus dans l’expectative. Au fil des semaines, des demandes ont émergé du premier degré.

Trois pistes ont été retenus :

  • un conte tournant où toutes les écoles sont concernées par la production d’un écrit commun. L'ensemble aboutissant à une représentation par les élèves du club théâtre du collège lors de la journée de découverte de la 6° par les CM2.
  • des « partages » disciplinaires, à 2 enseignants pour une classe de primaire CM1 et/ou CM2 (et parfois même CE2 ou CE1) sur des choses « importantes » ou « difficiles » : difficiles pour les élèves ou pour les enseignants; la symétrie ou la proportionnalité en mathématiques, l'électricité en sciences... ou sur des thèmes plus fédérateurs (un projet « cirque » ou natation avec un professeur d’EPS).
  • -un travail sur des compétences précises et sous une forme originale. Ex:  développer l'esprit critique à travers une situation problème. Voir encadré.

Le lien essentiel, la condition sine qua non à ces 3 types d'actions a été la volonté d'être en co-animation : un professeur des écoles étant obligatoirement associé le jour j à un du collège.

Concrètement sur 3 heures hebdomadaires, une a été donnée en HSA sur l'année (le projet commun  de conte tournant) et les autres ont été annualisées en 72 heures à consacrées aux 6 écoles et réparties à la demande.

Petit inventaire de nos richesses

Dans les faits, chaque école a participé au conte tournant sur un format variable de 3 fois 1h30 par classe ou d'une demi journée. En effet, difficile de comparer le travail à faire avec une classe de 26 CM2 et une classe de cycle où les élèves de différents niveaux ont été associés à la rédaction du conte. Le travail de préparation en amont a été important (choix proposés pour guider les élèves dans l'écriture du conte, travail de mise en forme puis réécriture pour pouvoir le transformer en saynètes) les professeurs des écoles ont accepté de jouer le jeu de la co-animation sans y être tous forcés. Un premier bilan montre que c'est un projet intéressant car fédérateur et qui mobilise les compétences de production d'écrit mais qu'il est un fusil à un coup : revenir l'an prochain dans les écoles de cycle et demander aux élèves de travailler sur une même action n'est pas envisageable. Alors, l'enseignante, toujours pleine de ressources, proposera l'élaboration d'un magazine commun à toutes les écoles, histoire que la production d'écrit reste l'action commune.

Suite à ces actions, on entend dans la bouche des enseignants "les exigences des programmes de l'école primaire sont hallucinantes et je comprends mieux pourquoi certains élèves s'ennuient lorsqu'on commence certains chapitres en 5ème" ou "quelle hétérogénéité dans ce groupe et quelles exigences en CM1, comment faire pour que certains sortent au moins avec l'essentiel"  ou encore "les professeurs n'envisagent pas le contenu de leur cours de manière uniforme comme nous le faisons en collège et la différenciation est davantage présente dans leurs façons de faire". On ne se connait pas encore vraiment, mais on s'estime encore davantage après ces séances, parfois ces séquences. On s'envie : les enseignants du secondaire appréciant la polyvalence, le temps pour revenir sur l'essentiel avec un groupe et la différenciation pédagogique nécessaire aux professeurs des écoles. Et réciproquement les enseignants du secondaire enviant souvent la notion d'équipe avec en plus la présence d'un CPE ou d'un professeur documentaliste, le matériel du collège (au delà même du parc informatique) et l'expertise disciplinaire des enseignants du second degré "spécialistes". Des "pépites" à exploiter en conseil école-collège...

Autre richesse, envisager les choses différemment, lors du travail sur l'outil d'acquisition des compétences par exemple : pouvoir pleinement utiliser le palier 2 avec ses 7 compétences, y compris comme support de communication des résultats aux parents contrairement au bulletin par discipline utilisé en collège.

Prendre 3 heures et beaucoup de liberté a eu des effets bénéfiques et a été un accélérateur de projets. L'enjeu est bien aujourd'hui de réguler à plusieurs niveaux pour exploiter nos forces, nos ressentis, nos difficultés et construire une cohérence plus grande entre 6 écoles - toutes différentes - et un collège.  Deux limites dans cet exercice : il est très difficile en zone rurale de déplacer les élèves au regard du coût des transports, alors ce sont les enseignants (sauf pour 2 écoles qui peuvent venir à pied) qui ont fait le chemin sans qu'aucun financement de ces déplacements ne soit prévu. Dans le même ordre d'idée, quid de la pérennité de ces 3 heures dans un contexte où les enveloppes des dotations horaires globales sont parfois très différentes d'une année à l'autre ? Plusieurs choses importantes vont nous guider pour la suite : désormais la "liaison" va s'éteindre -ses jours sont comptés- car son objectif est de faire naître une cohérence dans le cycle de consolidation, c'est pour moi le sens de l'existence de conseils école-collège. Ces conseils auront des objectifs communs en relation avec le collège de recrutement et les projets reposeront davantage sur un diagnostic que les IEN et Chefs d'établissement devront faire partager. Cela permettra de piloter ce rapprochement au plus près des enjeux locaux.

Fort de cette expérience, je garde à l'esprit que le plaisir doit être présent dans les actions que nous menons, il faut sans doute commencer par ce qui fait du bien. Et puis consacrer du temps, davantage encore, à partager nos regards pour briser la glace et sauter le pont... Danser sur notre frontière.