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Christèle Thiriet, professeure de français au collège de Vic-Fezensac

Développer l’esprit critique est normalement au cœur de l’enseignement de l’Histoire. Pourquoi dès lors ne pas y travailler en commun, depuis l’école primaire ?

J’ai proposé cette année à une collègue  de primaire de co-animer une démarche dans sa classe de CE1-CE2 et CM, autour de la Préhistoire et de l’origine de l’espèce humaine, en tenant compte de l’âge des élèves, bien sûr. Je me suis inspirée d’un travail proposé par des militants du GFEN à partir d’une situation-problème[1].

Représentations, entre mythes et science

Le premier temps de la démarche consistait, comme dans toute situation-problème, à faire émerger les représentations des élèves sur les origines de l'homme. Une question simple leur a été posée : « Comment, d'après vous, les premiers hommes sont apparus sur la terre ? ». Les plus grands devaient l'expliquer dans un petit texte, les plus petits par un dessin. Les textes étaient ensuite lus et les dessins expliqués par leurs auteurs pour que tout le monde puisse en prendre connaissance. Mais aucun commentaire n'était fait à ce stade de la démarche. Les enseignants incitaient les enfants à préciser leur pensée. Dans un second temps, les CM ont lu en lecture silencieuse des histoires extraites de mythes des origines provenant de civilisations différentes. Je leur apportais mon aide pour comprendre du vocabulaire ou le sens de certains mythes quand ils me le demandaient. Pendant ce temps ma collègue de primaire racontait aux CE les mêmes histoires et vérifiait que les enfants les comprenaient.  Puis nous avons formé des groupes de trois, mélangeant les petits et les grands. Ils avaient alors quinze minutes pour choisir ensemble le mythe qui, d'après eux, leur semblait le plus  « vrai », dans l'ensemble des textes proposés, et justifier leur choix par écrit, les CM étant chargés de prendre des notes. Cette phase là a été riche en discussions, les désaccords étant souvent nombreux au sein des groupes, obligeant les élèves à argumenter, à expliquer aux autres leur point de vue. Mais à aucun moment ma collègue et moi ne sommes intervenues pour trancher, « dire la bonne réponse », malgré les demandes parfois insistantes de certains enfants ! Chaque groupe a ensuite présenté et expliqué son choix au reste de la classe. Tous les avis ont été entendus et respectés et la discussion amorcée dans les petits groupes s'est poursuivie entre les enfants. J'ai terminé cette phase de discussions en expliquant que ces mythes étaient des réponses apportées par les hommes, à un moment donné, à des grandes questions qu'ils se posaient quand la science ne permettait pas de tout expliquer. La collègue a ensuite résumé les  connaissances scientifiques actuelles concernant les origines de l'homme, tout en précisant bien que nous ne savons que peu de choses sur cette époque, ce qui laisse encore la place aux mythes. Enfin, chaque enfant a écrit un texte ou fait un dessin pour répondre à nouveau à la question des origines , afin de mesurer l'évolution de ses représentations.

Invitation à penser par soi-même

Les représentations de certains enfants (et pas forcément les plus grands!) s'étaient transformées ou enrichies. D'autres restaient attachés à leurs premières convictions (souvent religieuses et chrétiennes). Mais chacun, dans cette démarche, s'est construit un jugement personnel sur cette question, en s'interrogeant sur ses croyances, en les comparant avec celles des autres, en questionnant des mythes. Nous, enseignants, n'avons pas apporté un savoir, ce qui a pu perturber parfois certains enfants. Mais nous leur avons donné la possibilité de réfléchir, avec leurs propres connaissances et en interaction avec les autres, à une question que tous les êtres humains se posent. Nous leur avons donné la possibilité de penser par eux-mêmes. L'année prochaine, je retrouverai les CM2 en 6ème dans mes classes. Nous travaillerons alors sur les mythes des grandes civilisations, égyptienne, grecque, romaine, chrétienne. Nous interrogerons ces textes  pour ce qu'ils peuvent nous apprendre sur les sociétés qui les ont écrits. Progressivement,  les élèves apprendront à porter un regard critique sur une source historique. Ils développeront peu à peu une attitude de mise à distance de l'information ou des points de vue, une attitude de questionnement des faits, des idées, des croyances...

Pour ma collègue de primaire et moi-même, cette co-animation a été l'occasion de poser une première pierre à cette formation à l'esprit critique de nos élèves. Pour cela, nous avons mis en commun nos propres compétences : la connaissance de la Préhistoire, l'habitude de s'adresser à des élèves plus jeunes pour l'une, la pratique d'une démarche de situation-problème et la formation à l'analyse des sources pour l'autre. Cela a aussi été l'occasion pour chacun, enseignants et élèves, de travailler autrement et surtout un vrai moment de bonheur partagé par tous, adultes et enfants !

[1] Alain Dalongueville et Michel Huber , Situations-problèmes pour enseigner l'histoire au cycle 3, Hachette Education, coll. « Pédagogie pratique à l'école », 2000