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Contenus d’enseignement et école du socle

 

Imaginons que vous soyez contacté pour devenir responsable au niveau national des contenus d’enseignement et de leur mise en œuvre. Et imaginons, avec quelque imprudence mais beaucoup d’esprit d’abnégation que vous acceptiez. Et pour faire bonne mesure, ce défi serait à envisager dans le cadre d’une école du socle.

 

Pour assumer cette tâche démesurée en termes d’implication, mais cohérente en terme de responsabilités à examiner conjointement, vous vous poseriez sans doute de manière systémique trois séries de questions:

  • comment faire en sorte que les contenus à enseigner aient du sens pour les élèves ? Question aux contours politiques, universitaires, pédagogiques, didactiques pour choisir les contenus, les transposer et en viser l’apprentissage. De l’économie ou pas, du droit ou pas, les maths dans une approche spéculative ou davantage en lien avec leur usage, une initiation  philosophique dès la seconde… ?
  • comment former les enseignants à l’usage de ces contenus ? En vrac la formation des formateurs, un permis à points pour la formation, des décharges de classe, l’établissement comme organisation apprenante,... Le casse tête de la fin et des moyens pour la formation initiale et continue.
  • comment réguler les pratiques par du conseil individuel et collectif au niveau de l’établissement ? Questions de gouvernance locale et nationale aujourd’hui reposant sur  l’inspection et le chef d’établissement, demain sur l’auto-évaluation, des contrats d’objectifs, des préfets élus par disciplines… ?

Ces trois séries de questions seraient conjointes tant une synergie est à rechercher entre des propositions pédagogico-didactiques, des suggestions en matière de formation et des avancées en matière de gouvernance à condition que des principes d’action identiques prévalent dans ces trois sphères.

 

Nous nous intéressons dans cet article aux seuls contenus à travers la notion de curriculum (cf. notre article dans le numéro 507 des Cahiers pédagogiques ).

Curriculum visant pour les contenus à enseigner une mise en cohérence des finalités auxquelles ils répondent, des objectifs généraux qui les déclinent, de la nature qui les constituent, des méthodes qui en facilitent l’apprentissage, de leur planification, de leur évaluation, des aides pédagogico-didactiques à proposer aux enseignements et des aides formatives à produire pour la formation.

 

Trois sources de référence pour faire de bons choix

 

Première source : l’état actuel des savoirs savants correspondant aux disciplines scolaires constituées, avec la nécessaire transposition didactique et l’identification des concepts structurant la discipline.

Ensuite, les pratiques sociales de référence auxquelles les disciplines renvoient. Nous donnons quelques exemples ci-après qui nécessiteraient une transposition par niveau d’enseignement.

- En SVT, considérerait-on que l’important est de parvenir à garder des plantes d’appartement en bon état ou de récolter des radis ou des pommes de terre après les avoir semés, d’avoir des petits déjeuners équilibrés, de connaître ses capacités de résistance pour un effort long, de venir en aide à un accidenté, de reconnaître les symptômes les plus fréquents qui affectent des adolescents comme une angine, une otite, une entorse ?… 

- En histoire viserait-on en accord et en aide avec le syndicat de tourisme de sa ville en direction de touristes enfants, ou dans la cadre d’échanges avec une classe de correspondants, de proposer un document retraçant l’histoire de son agglomération ? En relation avec sa municipalité chercherait-on à baliser des parcours faisant connaître son patrimoine historique ?…

- En lecture à la suite de la lecture collective d’un conte, pourrait-on interviewer des personnes âgées afin de recueillir leurs vieilles histoires pour les retranscrire ? A la suite de la lecture d’un roman, pourrait-on non seulement retenir les trois idées essentielles de l’œuvre mais les mettre en perspective fictionnelle avec un roman de classe à fabriquer collectivement ?

Chacune de ces pratiques sociales vise l’action et simultanément nécessite un retour réflexif sur cet agir pour identifier les savoirs en jeu.

 

Enfin, la prise en compte de compétences transversales (nommées par le Ministère capacités).

Certaines compétences transversales (par exemple la curiosité, l’esprit critique, l’argumentation, la problématisation, l’autonomie, la coopération) seraient considérées comme référentes pour structurer enseignements et apprentissages.

Evidemment ces compétences transversales ne peuvent pas être objets d’apprentissage en soi. On ne peut envisager un programme de curiosité ou d’esprit critique.

 

Dès lors comment envisager une synergie entre ces trois sources de contenus possibles (disciplines académiques, pratiques sociales, compétences transversales) ? Réponse en les envisageant simultanément.

 

 

Mise en synergie

 

D’abord se demander quelles disciplines sont à prendre en compte. Aujourd’hui l’absence de contenus prenant en charge des questions qui relèvent du droit, de l’économie, de la philosophie ou de la psychologie, pour ne citer qu’elles, se pose.

Ensuite, postuler quelles pratiques sociales seraient à développer pour ces disciplines au niveau d’enseignement considéré.

Enfin, convenir des compétences transversales prioritaires à ce niveau d’enseignement pour les pratiques sociales privilégiées.

 

Ce schéma est évidemment à moduler car si certaines disciplines entretiennent des relations étroites avec des pratiques sociales (les pratiques artistiques ou l’EPS, voire les langues, à coup sûr la technologie) d’autres n’ont que peu de pratiques sociales de référence en dehors de la recherche (l’histoire par exemple, excepté une discipline connexe, l’archéologie).

 

Cette recherche de synergie pourrait facilement s’actualiser lors d’une pratique de classe où le maître pourrait justifier les priorités qu’il se donne en répondant aux trois questions suivantes :

  • quel contenu disciplinaire est enjeu (savoirs en termes de faits notions, lois, théorie ; méthode ; technique) lié à quel concept intégrateur ?
  • quelle pratique sociale est explicitement abordée, lorsque cela est possible ?
  • à quelles compétences transversales donne-t-on la priorité ?

 

Notons que l’écriture des contenus d’enseignement sous la forme de compétence facilite la synergie entre ces trois ensembles.

 

 

Deux bémols et trois réflexions

 

Certes Rodari et sa « grammaire de l’imagination », Erik Orsenna et sa « grammaire comme une chanson douce », Marc Campana et Florence Castincaud et leur « comment faire de la grammaire » constituent autant de ressources pour aborder la grammaire sous une forme ludique, mais cette discipline restera in fine comme un ensemble de savoirs disciplinaires qui ne peuvent être objets de découverte par des pratiques sociales qui les concerneraient seuls. Ils découlent d’activités autres.

Il y a des contenus à enseigner relevant de normes pré existantes qu’il convient de ne pas négliger et pour lesquels parfois un enseignement systématique est obligatoire.

 

  • L’approche par des pratiques sociales, quand bien même celles-ci concernent une dominante disciplinaire sont généralement interdisciplinaires. C’est le cas de la technologie qui conduit à des interrogations esthétiques, économiques, sociales aussi.

 

  • Le sens que les élèves peuvent trouver à l’école ne réside pas seulement dans la nature des contenus enseignés.

Les méthodes sont tout autant importantes qui ont à privilégier la réflexivité à dimension cognitive : comment ai-je appris ce que j’ai compris) et la réflexivité à dimension identitaire : maintenant que je sais ce que j’ai compris, qu’est-ce que cela éclaire que je n’avais pas compris et quelles nouvelles questions cela me pose ?

 

  • La contextualisation historique des savoirs peut montrer aux élèves que l’école est d’abord le lieu de transmission de l’héritage de tous ceux qui nous ont précédés, construisant ainsi une chaîne d’union avec la nuit des temps : une autre dimension du sens.

La compréhension paradigmatique des disciplines (quelles sont les trois idées essentielles qui les constituent à un niveau d’enseignement donné ?) est tout autant source de sens.

Le sens ne réside pas dans les seuls contenus mais dans l’interaction que les élèves construisent avec eux. Ce qui conduit à favoriser la réflexivité… comme une composante forte de tous les enseignements-apprentissages.

 

  • Le choix des pratiques sociales à prendre en compte dans une discipline et niveau de classe par niveau de classe relève tout autant d’un choix paradigmatique (quelle conception de la discipline cherche t-on à installer ?) que d’un choix politique (quelles pratiques paraissent utiles sinon nécessaires à un élève futur citoyen ?) et de considérations pédagogico didactiques (cela est-il possible au vu des capacités des élèves, des conditions matérielles de l’enseignement ?…).

 

  • Les éducation à (à la santé, à la sexualité, au développement durable, à l’environnement, à la sécurité routière, à la paix…) se sont développées au sein de l’école. Elles me semblent traduire cette propension à prendre en compte des pratiques sociales à dimension interdisciplinaire dont leur importance n’est pas à négliger.

 

 

Et l’école du socle dans tout ça ?

 

Une école du socle soucieuse de la continuité entre l’école primaire et le collège aurait à se poser la question de la mise en perspective des contenus à enseigner jusqu’au terme de la scolarité obligatoire.

Elle ne pourra pas faire abstraction de la dimension politique de ces derniers. A quels usages pense t-on qu’il doivent répondre pour le futur citoyen ? Evidemment l’école doit avoir le souci d’enseigner les savoirs les plus en phase avec l’état de la connaissance actuelle (après un nécessaire travail de transposition évidemment). Mais elle ne peut négliger simultanément les pratiques qui facilitent pour l’élève futur citoyen sa compréhension du monde, de soi-même et des autres. Les fondamentaux de l’école sont du côté de la compréhension par les élèves des fondements de la vie individuelle, collective, sociale en relation avec leur environnement matériel, moral, spéculatif.

 

 

S’il vous arrivait d’être contacté pour devenir responsable au niveau national des contenus d’enseignement et de leur mise en œuvre, et que vous vous centriez sur la définition des premiers en ayant en toile de fond le souci des seconds, une suggestion : substituez à l’idée de programme celle de curriculum dont nous n’avons ici qu’éclairé une dimension. La tâche sera sans doute amplement suffisante mais ô combien souhaitable.

 

 

Michel Develay