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Enseignante spécialisée essentiellement dans le premier degré, dans des milieux sociaux qualifiés de difficiles, Florence Simplot coordonne depuis 5 ans la scolarisation de 10 à 13 élèves de 12 à 16 ans porteurs également de Troubles des Fonctions Cognitives. Elle est donc passée en tant qu’enseignante du premier degré au second degré, de l’école primaire au collège. Elle témoigne du fonctionnement assez particulier d’une classe spécialisée dans un collège ordinaire.

Qu’est-ce qu’une ULIS au collège (Unité Localisée d’Inclusion Scolaire) ?

Ce dispositif permet l’inclusion collective de plusieurs adolescents handicapés au collège. Il doit aussi permettre l’inclusion individuelle de chacun d’eux dans une classe « ordinaire ».

 

Au collège, tous les adolescents, quels qu’ils soient,  continuent à apprendre et les adultes qui y travaillent, qui y enseignent, qui y éduquent doivent, de mon point de vue, en prendre conscience. Nous apprenons toujours, c’est pour cela que notre mission d’enseignant est difficile mais riche à la fois. Nous sommes en questionnement permanent avec comme seul objectif : aider nos élèves à grandir, à apprendre, à apprendre à apprendre. Les jeunes que nous avons en face de nous, nous interrogent. Nous,  enseignants, apprenons aussi grâce à eux.

 

Un dispositif d’inclusion qui tient compte des besoins particuliers de ces élèves

Les élèves handicapés se voient proposer une organisation pédagogique adaptée à leurs besoins spécifiques et ont vocation à suivre les cours dispensés dans une classe ordinaire. Exemple : Matthieu a 12 ans, il est handicapé, il sera donc inscrit en sixième 2 comme un élève lambda. Si Matthieu est handicapé moteur, ses besoins spécifiques, les compensations mises en place sont avant tout d’ordre matériel : de la place pour installer son fauteuil, un ordinateur pour la prise de note, une aide humaine pour les déplacements, etc… Il suivra les cours comme les autres. Mais si Matthieu est porteur de Troubles des Fonctions Cognitives, si Matthieu a des difficultés pour apprendre, quels sont ses besoins spécifiques ? Sera-t-il capable de suivre le rythme effréné des cours qui s’enchainent ? Sera-t-il capable de rester concentré durant six heures ? Sera-t-il capable de faire du sens ? Sera-t-il capable de mémoriser ? Sera-t-il capable d’entrer en communication avec ses camarades ? Sera-t-il capable d’autonomie ? Sera-t-il capable de comprendre, de construire de l’abstraction, etc… Bref, Matthieu sera-t-il capable d’apprendre dans une classe ordinaire, telle qu’elle fonctionne actuellement ? C’est moins sûr ! L’arrivée de Matthieu interroge les acteurs du collège parce que s’il a envie d’apprendre, parfois, il ne peut pas ! C’est un élève « différent » et au collège, son attitude, son comportement, ses difficultés peuvent parfois poser problème. Et pourtant, depuis février 2005, Matthieu a le droit à une scolarité la plus proche possible de l’ordinaire.

Dans notre circonscription et uniquement pour les élèves porteurs de Troubles des Fonctions Cognitives, nous avons choisi de proposer un fonctionnement type classe. Les élèves sont inscrits dans un dispositif ULIS à part entière : ils forment un groupe spécifique et bénéficient de temps d’inclusion plus ou moins longs, plus ou moins importants en classe ordinaire en fonction de leurs besoins spécifiques. En tant que coordonnatrice, je suis responsable de leurs scolarités durant quatre années, de la sixième à la troisième. Mais, je ne suis pas seule. Les deux Auxiliaires de Vie Scolaire Collectifs, les professeurs du collège, le personnel éducatif et administratif sont des partenaires incontournables pour réussir un objectif : permettre à Matthieu d’apprendre, d’apprendre à apprendre, de construire un projet d’orientation et de professionnalisation cohérent durant sa scolarité au collège.

Pour réussir cet audacieux objectif, nous nous appuyons sur deux outils essentiels :

  • le feuillet annuel qui comprend le Projet Individuel d’Apprentissage rédigé et actualisé au minimum une fois par an. Ce projet tient compte des besoins particuliers de chaque élève et nous permet d’individualiser les parcours. Il formalise les temps d’inclusion individuelle en classe ordinaire.
  • le projet de fonctionnement du dispositif que nous rédigeons chaque année. Ce projet est collectif. Il permet de construire une culture commune pour tous les élèves concernés par le dispositif. Il s’appuie essentiellement sur la pédagogie de projets. Il permet de construire du sens, il formalise des temps d’inclusion collective de tout genre : intervention de professeur devant le groupe ULIS, inclusion ponctuelle en fonction de la classe d’âge, décloisonnement avec une classe, etc…

 

Le socle commun comme référence

Puisque Matthieu est un collégien avant tout, nous nous référons logiquement au socle commun de connaissances et de compétences. Simplement, nous travaillons sur tous les paliers (1, 2, voire 3 parfois) pour rédiger ce PIA. Mais comment nous y prenons-nous ?

Dans un premier temps, nous « confrontons » nos élèves à des évaluations diagnostiques, c’est essentiel, simplement pour savoir où en est notre élève, que sait-il, qu’a-t-il construit comme connaissances et/ou compétences? Les évaluations « normées » : 6ième EGPA, fin de palier 1 ou fin de palier 2 nous aident à rédiger une première analyse. En tant qu’enseignants spécialisés, ce qui nous intéresse, ce sont les réussites, les points forts, les pôles d’excellence et parfois, ces évaluations normées ne suffisent pas. Alors, nous proposons des évaluations plus personnelles avec l’idée de comprendre les stratégies utilisées par nos élèves pour apprendre, pour apprendre à apprendre. Comment notre élève apprend-il ? Qu’a-t-il construit comme compétences et surtout comment ? Nous « entrons dans son « cerveau » et nous apprenons à comprendre « sa logique ». Sans limite. Ainsi, nous pouvons proposer des séances destinées à lui permettre d’apprendre, d’apprendre à apprendre.

Le PIA que nous construisons ensuite se réfère donc au socle commun. Dans notre circonscription, nous avons construit des tableaux que nous avons appelés « bilan de compétences » pour les 7 grands domaines du socle commun. Ces tableaux  reprennent les grandes compétences à atteindre,  les affinent.  L’élève valide, lui-même avec notre aide,  les compétences acquises tout au long de sa scolarité au collège, c’est-à-dire quatre ans. Il est un véritable « acteur » de sa scolarité. Il se voit progresser

Nous ne proposons à l’évaluation que les compétences acquises par nos élèves. C’est ce que j’appelle la « pédagogie de la réussite ». Leurs erreurs, leurs «  fausses réponses » ne sont, me semble-t-il qu’une «étape » dans leur propre apprentissage. Elles nous servent pour comprendre leurs stratégies, elles leur servent pour construire toujours mais inutile de les pointer. Matthieu a besoin d’assurance, a besoin de prendre confiance, a besoin d’un cadre qui lui permette de prendre des risques, d’oser apprendre.  Il apprend, il apprend à apprendre.  Nous nous intéressons, nous évaluons que ce que l’élève sait ou sait faire. Tout au long de sa scolarité au collège, en ayant la possibilité de prendre le temps, Matthieu valide des connaissances, des compétences. Il progresse à sa mesure en dehors des programmes et des rythmes d’apprentissages, tel qu’ils sont imposés aux professeurs. Mais il apprend. Mes collègues professeurs l’ont bien compris et prennent beaucoup de plaisir à intervenir devant ce groupe d’élèves handicapés, à accueillir dans leur cours ces élèves « différents ». Ils apprennent à changer leur regard sur ces élèves différents, ils apprennent à adapter leurs supports pour ces élèves qui interrogent, ils adaptent leurs interventions.

En conclusion, cette « pédagogie de la réussite » est avant tout un  principe professionnel. En effet, mettre en place un socle commun qui s'appuie sur les compétences réelles de nos élèves ne peut se faire sans comprendre, sans tenir compte de ce qu'ils savent réellement. Notre fonctionnement particulier en ULIS nous permet de mettre en œuvre ce principe. Il permet à nos élèves de s’épanouir, d’apprendre et d’apprendre à apprendre au collège. La pédagogie de projet mise en œuvre en ULIS, les nombreux temps d’inclusion individuelle et/ou collectif en milieu ordinaire permettent à tous les adultes participant à ce projet de s’interroger sur leur pratique. Mais comment cette expérience, cette pédagogie de  la réussite peut-elle être mise au service de tous les élèves ?

 

Florence Simplot, Coordonnatrice ULIS-TFC au collège Joliot Curie de Lallaing dans la circonscription de DOUAI-ASH, dans le nord de la France