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Freinet en 6ème

Entretien avec l’équipe du collège Rabelais de Mons-en-Baroeul

Propos recueillis par Céline Walkowiak et Francis Blanquart

Des enseignants du collège Rabelais de Mons-en-Baroeul ont transféré depuis 3 ans des pratiques pédagogiques Freinet mises en œuvre dans l’école du secteur, afin de mieux accompagner tous les élèves dans les apprentissages. Quelques dispositifs à l’emploi du temps d’une classe de 6ème. Mais plus que des outils, c’est surtout une philosophie et des valeurs différentes qui répondent finalement très bien aux enjeux de l’école du socle.

Un cahier des charges pour une classe Freinet en 6ème

- des « TI » (temps individuels pris en charge par un binôme d’enseignants) qui proposent aux élèves de travailler durant une quinzaine de jours sur des recherches plus conséquentes

- des bulletins de compétences en parallèle des bulletins de notes.

Qu’est-ce qui a déclenché chez vous l’envie de transférer au collège des pratiques issues de l’école Freinet ?

Stéphanie (enseignante de français) : C’est le problème de la motivation des élèves qui m’a amenée à me remettre en question. Comme nous avions une école Freinet dans le secteur de rattachement, j’ai décidé d’aller voir ce qui s'y passait. J'ai vu des élèves au travail et impliqués dans ce qu'ils faisaient : ça m'a convaincue.

Viviane Monnerville (enseignante de mathématiques) : Il y a un peu plus d’une dizaine d’année j’ai commencé à développer un atelier « Maths en jean’s »[1] : (Méthode d’Apprentissage Théorique EN Jumelant des Etablissements pour une Nouvelle Approche du Savoir). Là, je voyais des élèves habituellement non motivés, qui travaillaient jusqu’en janvier sur des problèmes que je leur donnais en septembre et qui trouvaient des trucs incroyables, et parfois d’un niveau bien supérieur à celui attendu au collège. Parallèlement à cette expérience, j’assistais en classe à une réelle passivité et démotivation des élèves. Ils étaient calmes mais ne trouvaient pas nécessaire et encore moins passionnant d’apprendre. Dès lors, j’ai remis en question mon rapport à l’élève et j’ai  commencé à transformer ma classe, mes cours. Par la suite, j’ai commencé ma liaison école collège avec l’école expérimentale Hélène Boucher et là tout était clair, j’avais des réponses et des solutions à mon désir de proposer d’autre pistes d’apprentissage aux élèves. Avec Stéphanie, nous avions des classes en commun, le même ressenti sur la passivité des élèves, la démotivation et l’échec... On s’est rencontré au début sur des projets interdisciplinaires et on a fini par découvrir que nous avions des conceptions proches de la classe idéale. L’idée de mettre en place une classe alternative était née. Nous avons donc écrit un projet détaillé et tout s’est mis en place jusqu’à l’ouverture cette sixième, première classe de la cohorte

C’est quoi exactement, un « Quoi de neuf » ?

Stéphanie : C’est un dispositif issu de l’école primaire qui consiste à donner la parole pendant 3 minutes à un élève pour qu’il parle de ce dont il a envie. Les autres élèves de la classe ont 3 minutes pour leur poser des questions ou faire des remarques. Moi, j’utilise également cet exercice pour travailler la maîtrise de l’écrit car j’impose un secrétariat de séance, qui prend note de ce qui se dit sur l’ordinateur de la classe. Je propose ensuite un travail très systématique de correction de la langue à partir de ces productions d’élèves. Mes objectifs d’apprentissage sont alors la réécriture et l’amélioration, sur des consignes différenciées. Tout cela sert de base à la rédaction du journal hebdomadaire de la classe, qui intègre le compte-rendu du « Quoi de neuf ? », une question de grammaire travaillée, un coin des lecteurs, des comptes-rendus des oraux en anglais que me transmet ma collègue et tous les textes libres écrits dans la semaine.

Julien Cognet (professeur-documentaliste) : Je suis arrivé il y a 3 ans dans l’équipe.  J’ai apprécié d’être intégré à la réflexion pédagogique de l’équipe, d’être tuteur d’un certain nombre d’élèves dans la classe Freinet, puisque ça modifie ma relation aux élèves et à l’évaluation. J’interviens dans les projets et dans les temps individuels, puisque les enseignants sont forcément en binôme avec moi pour ces cours-là.

Laurette Marotel (enseignante d’histoire-géographie) : Ce qui m’intéresse dans les pédagogies alternatives, c’est d’intéresser tous les élèves, d’aller chercher ceux qui restent en retrait. Mais je tâtonne, j’essaie. Ce qui compte, c’est que tout le monde travaille, et je mets parfois mes priorités plus sur l’envie que le résultat.

Comment vous êtes-vous formés  sur ces pratiques ?

Stéphanie : Au départ, surtout de l’observation en classe. Tant qu’on n’a pas vu, on a du mal à changer ses repères.

Viviane : Avant de parler de formation, j’ai en vie de parler de transformation de l’enseignant…je veux dire l’envie de mener une réflexion sur sa propre conception de l’apprentissage… C’est surtout quelque chose d’intérieur qui bouge. Quand on décide d’aller, sur son temps libre, en observation dans une classe, c’est qu’on est déjà prêt. La pédagogie Freinet n’est pas une boite à outils, c’est une philosophie. Pour autant on a jamais fini de se former, Stéphanie et moi on s’impose au moins une formation par an et à chaque on se rend à l’évidence : ce n’est pas inutile.

Comment ça se déroule exactement, une recherche en maths à la façon Freinet ?

Viviane : Le principe est d’installer un « dialogue mathématique » avec l’élève. Parfois je leur propose de prendre une feuille blanche et d’y écrire ce qu’ils estiment être une notion en maths. Je peux aussi leur imposer un thème, par exemple « connaissez vous le mot pourcentage ». Chaque élève est face à sa feuille, exprime son approche qu’il vient ensuite me proposer. De sa proposition, respectant son niveau, soucieuse du programme, je lui propose une problématique mathématique qui prolonge son approche. Nous dialoguons, chaque élève et moi, à travers les questions et les réponses que nous apportons à tour de rôle sur sa feuille. A la fin de la recherche, on passe à l’étape de coopération. Les élèves présentent leurs questionnements par des exposés. Chaque questionnement devient celui de la classe. La notion devient alors commune, est approfondie, « finalisée»  et mis dans le cahier de leçon.

Une question qu’on vous pose sans arrêt, mais vous parvenez à traiter tous les points du programme de cette façon ?

Viviane : Nous travaillons avec  le souci d’avoir des élèves qui s’adaptent aux situations diverses et variées, qu’ils restent dans notre collège ou pas. On n’a pas à se mettre en dehors des clous. D’une part je ne fais pas que de la recherche en maths. D’autre part, c’est à moi en effet, dans cette activité, de recentrer les problématiques des élèves sur les points du programme. A un élève qui a envie de parler d’addition, s’il est en 4ème, je peux proposer de réfléchir à l’addition des fractions, qui elle, est au programme de 4ème. En Mathématiques, On peut imaginer les notions un peu comme un escalier, marche par marche, petit à petit… comme si elles se touchaient…

Laurette : En histoire, le cours commence avec leurs recherches. J’impose une période dans laquelle ils peuvent choisir ou non ce qu’ils vont traiter. Je me suis rendu compte en effet que certains se mettaient en difficulté en choisissant des sujets trop difficiles. Mais je guide plus que je ne décrète. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer les mécanismes de la recherche historique. Après, il faut les recentrer sur les connaissances à retenir. Mais ce qui est intéressant, c’est ce qu’ils ont tiré du travail des autres. Et le collègue de SVT, qui n’a pas choisi de pratiquer ouvertement une pédagogie Freinet dans sa classe, a été impressionné par leurs compétences d’exposé dans sa discipline.

Une dernière question sur les pratiques d’évaluation mises en œuvre dans cette classe Freinet

Viviane : Pour l’instant, nous avons fait le choix d’une évaluation mixte car nous avons choisi de ne pas marginaliser la classe sur ce point compte tenu du fait que l’équipe est mixte (cinq professeurs dont le documentaliste travaillent en Freinet). Les parents reçoivent deux bulletins, un classique et un bulletin de compétences (sans note) que nous avons mis en place en parallèle. Quand l’intégralité de l’équipe pédagogique sera au fait, on pourra reconsidérer la question. Par contre, s’agissant des recherches en maths de mes élèves, Il n’est pas pensable que je mette une note, c’est comme si l’élève se « livrait » dans l’espoir de pouvoir avancer… Ce n’est pas une note qui peut le mettre en confiance… De même en travaux Individualisés, en DS ou DM je fais une double correction par compétences et par note… c’est nécessaire pour assurer les deux bulletins.

Et les parents dans tout cela ?

Viviane : Les parents nous encouragent. On peut dire que leurs attitudes nous aident beaucoup. Nous travaillons avec eux. Nous avons réussi à attirer des élèves qui allaient historiquement dans d’autres  établissements. Nous sommes devenus un peu plus attractifs grâce à eux aussi, parce que dès le début, ils ont été nombreux à nous soutenir et à croire en ce projet.




[1] Du nom de l’association qui fait découvrir la recherche en mathématique à des élèves du secondaire, sous l'impulsion d'un chercheur et de leur professeur.