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Un seul lit pour plusieurs rêves[1] : quelle certification pour l’Ecole du Socle ?

Stephane Kessler, Inspecteur général

Des propositions précises, stimulantes, qui appellent au débat, sur une question cruciale. L’auteur nous précise que cet article n’engage que qes opinions personnelles et ne reflètent en aucune manière l’institution dans lequel il exerce, parallèlement, ses fonctions.

Parler de certification de l’école du socle, c’est s’embarquer dans un voyage au long cours, et accepter de passer par plusieurs dimensions.

En effet, la notion d’école du socle est comprise, en France, comme allant bien au-delà de la simple continuité des structures entre premier degré et premier cycle du second degré. Dès l’origine, elle s’accompagne d’une ambition plus large sur ce qui y est enseigné : non plus seulement des connaissances, mais aussi des compétences, et de la culture. Ces deux notions – ce qu’on enseigne et où on l’enseigne – sont pourtant bien distinctes.

Premier glissement, donc : que faut-il évaluer, des connaissances ou des compétences ?

La certification, mot encore peu répandu dans la sphère éducative, est aussi une notion polysémique. Certifier, nous dit le dictionnaire Robert, c’est assurer, c’est garantir qu’une chose est ce qu’elle prétend être. Mais la certification de l’école du socle peut s’envisager de deux façons différentes. Soit il s’agit d’évaluer la maîtrise par les élèves de ce qu’ils ont retenu de l’école du socle, au moment où ils la quittent. Soit il faut assurer qu’aucun n’élève ne termine un cycle, composé de l’école primaire et du collège, sans avoir maîtrisé le minimum de ce qui peut en être attendu.

Second glissement : quel est l’objectif de la certification, une évaluation objective ou un instrument de contrôle des politiques éducatives ?

Les critiques adressées aujourd’hui au système français découlent de cette pluralité d’ambitions, entre lesquelles aucun choix n’a été réalisé.

Qui trop embrasse mal étreint : une certification française cumulative et administrée

La première faiblesse des examens français de fin de scolarité obligatoire consiste dans le fait qu’elle ne fait pas coexister deux modèles de certification, ce qui serait tenable, mais qu’elle les cumule dans un seul diplôme, ce qui l’est moins.

Le Diplôme National du Brevet est ainsi un monstre certificatif à deux têtes. Il reprend en partie la logique d’examen traditionnelle en France : des notes, une compensation entre celles-ci, un diplôme comme visa de sortie gage d’un niveau global qui ne s’intéresse guère à chacune de ses composantes.

Mais il se fonde parallèlement sur une logique d’accumulation et de validation progressives, en différents paliers, de sept compétences déterminées, sanctionnées par l’obtention du même diplôme : depuis la loi de 2005, le DNB sanctionne la maîtrise des connaissances et compétences de l’école du socle. On fixe au baccalauréat un objectif moins ambitieux : l’élève doit y obtenir la moyenne, et rien de plus !

Certes, les chiffres montrent, des deux logiques, celle qui l’emporte. Alors que 37,4 % des 111 320 élèves ayant échoué au brevet en 2013 avaient pourtant vu leur socle maîtrisé, l’absence de maîtrise du socle n’explique inversement que 0,5 % des échecs des élèves. Ce qui n’est pas sans lien avec sa deuxième faiblesse.

Cet examen, parce qu’il témoigne en un seul diplôme de la réussite du système scolaire et des établissements qui y contribuent, est un enjeu important du système éducatif.

Plus qu’un pilotage du système éducatif par les résultats, la pression mise sur la réussite à ce diplôme aboutit à ce que ce soient les résultats qui soient pilotés, avec un mécanisme de double dessaisissement des autorités en charge de la certification.

Si les enseignants doivent remplir le livret personnel de compétences, le palier 3 peut être validé avec bienveillance par le chef d’établissement ou des équipes restreintes, ce qui permet d’empêcher qu’une non validation du livret empêche la réussite au brevet. Le jury du brevet ne fonctionne pas davantage dans des conditions d’autonomie complète, et un rapport des inspections générales a pu parler à son sujet d’ « examen administré ».

Tout ceci n’est d’ailleurs pas si grave puisque ni la non-maîtrise des compétences, ni l’absence de possession du DNB n’empêchent finalement un élève de quitter l’école du socle ou de poursuivre sa scolarité au-delà.

Du reste, on ne peut qu’être surpris de l’utilisation finalement très pauvre de cet examen ou du livret. Ce sont les données qui font le moins de sens (taux de réussite agrégés) qui sont finalement le plus utilisées par le système.

Pourtant, il semble possible de mettre en œuvre des modalités réussies de certification pour l’école du socle, à condition de les penser au pluriel.

Penser une certification au pluriel, fondée sur quatre grands principes

Il convient tout d’abord de distinguer le Diplôme National du Brevet de l’école du socle pour mieux l’y intégrer.

Au sein des partisans de l’école du socle, la cause du DNB est généralement entendue – pas pour son bien. A la différence du livret personnel de compétences, progressif, adapté à l’élève, utile, le brevet parait avec son anonymat, son rituel ou sa moyenne qui ne dit au fond rien du niveau de chaque élève, un examen bien obsolète.

Le procès qui lui est fait est aussi de ne pas pouvoir certifier l’ensemble des compétences sur lesquelles se fonde l’école du socle. Il est très juste. Postuler une adéquation nécessaire entre l’obtention du brevet et la maîtrise de l’ensemble du socle fait reposer sur celui-ci une charge trop lourde. Dont acte ! Pourquoi ne pas séparer les deux ?

L’examen du brevet présente en pourtant quelques avantages et mérite d’être conservé. Fédérateur, il permet de mobiliser les élèves autour d’un projet – trivialement, leur « faire peur » et les faire travailler, ce qui après tout peut correspondre à une fonction de l’école. L’anonymat des épreuves terminales et leur correction par un jury extérieur participe de la crédibilité de l’examen, alors que l’harmonisation des notes de contrôle continu données par un enseignant ou un établissement est actuellement encore pour le moins hétérogène. Enfin, il prépare les élèves à une forme de certification (examen écrit en temps limité, à sujet unique, à correction anonyme) qu’ils retrouveront plus tard d’abord au baccalauréat, ensuite dans l’enseignement supérieur, et au-delà dans l’entrée dans la vie professionnelle : les concours de recrutement de la fonction publique n’obéissent pas à un format différent.

Maintenir ce rituel de fin de cycle et le distinguer alors de la maîtrise de ce qui est attendu de l’école du socle, et qui est attestée par le livret de compétences, n’empêche pas de faire évoluer l’examen, bien au contraire.

D’abord, il est nécessaire d’ancrer davantage les épreuves terminales du DNB dans le socle, et d’établir un lien plus fort avec les compétences qui y figurent.

Ensuite, il n’est pas utile d’opposer à tout prix connaissances et compétences autour du diplôme, non plus que de donner au brevet une dimension exhaustive. L’enjeu est plutôt de donner davantage de valeur certificative à l’examen terminal, quand bien même il ne ne correspond qu’à une partie de l’enseignement suivi lors de la scolarité obligatoire.

L’évaluation terminale du brevet pourrait parfaitement prendre la forme, non de notes, mais de niveaux, de gradients, en distinguant un minimum puis des niveaux supérieurs – l’exemple anglais, entre autres, nous le prouve. L’objectif premier est que l’examen ne reflète plus une moyenne indéterminée, mais qu’il indique des niveaux de maîtrise par chaque élève de ce qui est appris, compris, maîtrisé à l’issue de la scolarité dans l’école du socle. Qu’il s’agisse de disciplines, de connaissances, de compétences est un débat second. On peut imaginer que des épreuves du brevet sanctionnent des compétences déterminées et soient intégrées dans le livret personnel de compétences, qu’elles valideraient en partie. On peut aussi imaginer le contraire. Mais, au fond, qu’importe : la question ne porte pas tant sur ce qui doit être évalué, mais la finesse de ce qui est évalué.

Supprimer l’évaluation par les notes au brevet serait un moyen commode de ne plus prendre en compte leur moyenne et la compensation des notes, base actuelle de l’examen, et d’abandonner une évaluation agrégée au profit d’une évaluation portant sur des objets identifiés. Le DNB serait délivré à ceux qui obtiennent le niveau minimal pour chacune des épreuves, sans compensation.

Le brevet, dans ce cadre, dirait moins, mais dirait mieux, sur l’école du socle.

Autre principe : valoriser le Livret Personnel de Compétences au-delà de l’examen.

Celui-ci est un outil adapté à certifier la maîtrise de toutes les connaissances et compétences de l’école du socle - ce qui n’empêche pas une simplification de son format actuel, réclamée largement.

C’est pourquoi il gagnerait à ne pas servir seulement de visa de sortie pour l’école du socle, centré autour de la validation finale du palier 3. Il pourrait ainsi être davantage utilisé des deux côtés de l’examen, en amont pour en faire un vrai outil de suivi de la scolarité dans les classes préparatoires, et en aval après l’examen. Or, combien sont actuellement pris en compte en classe de seconde, par exemple pour l’accompagnement personnalisé ? Rien n’empêche que des compétences non validées à l’issue de l’école du socle le soient ultérieurement.

Il faut ensuite certifier la qualité de l’examen sans agir sur lui.

Fixer, même indirectement, des objectifs en termes de réussite à ceux qui peuvent influer sur elle, ne permet pas de garantir la qualité de l’examen. Or, celle-ci doit être recherchée en tant que telle : avant toute mesure corrective, il faut d’abord savoir ce que les élèves savent au sortir de l’école du socle.

Le rôle de l’autorité éducative est donc de garantir la qualité de la certification, qu’elle soit réalisée dans les établissements ou lors de la tenue des examens, ce qui passe sans doute par des mécanismes d’harmonisation plus homogènes que ceux qui existent actuellement.

Enfin, il faut internaliser la certification dans l’établissement

Les équipes enseignantes doivent être remises au cœur de la certification, et les évaluations internes sont un espace essentiel d’autonomie pédagogique.

Parallèlement, les résultats des examens gagneraient à être davantage utilisés, au niveau de chaque classe et de chaque discipline, afin de permettre d’ajuster l’enseignement dispensé.

N’oublions cependant pas que l’évaluation est habituellement la partie la plus visible de l’iceberg éducatif. La mise en œuvre de l’école du socle s’est avant tout traduite par l’évolution de la certification, et s’est matérialisé par l’existence concomitante du livret personnel de compétences et du diplôme national du brevet, objet de cet article.

Mais l’école du socle ne saurait se réduire aux évolutions certificatives, et doit être prolongée en termes de programme, de formation d’enseignants ou de pratiques pédagogiques, pour en faire un langage commun. 


[1] Le titre est en clin d’œil ému à André Fontaine, qui évoquait un champ autrement plus large, celui des relations internationales et de la bipolarisation du monde issu de la Guerre Froide.