Ce fil est en édition sur Plume depuis le mer, 18/06/2014 - 22:06

« L’école du socle » peut n’être qu’un slogan creux. On a voulu, dans ce dossier, à la fois montrer ce qu’elle peut être à partir de ce qui est dans un certain nombre d’endroits, dont beaucoup se situent plutôt dans l’éducation prioritaire et ouvrir au débat, en faisant ressortir la complexité de cette idée de continuité éducative qui reste neuve dans notre système éducatif. Dans ce débat, il nous faut bien répondre aux objections des soclosceptiques et des soclophobes. Même quand la polémique est outrancière, cela nous oblige à aller plus loin dans notre réflexion et de préciser nos propositions et souhaits.  Au moins pour se mettre d’accord sur ce sur quoi nous ne sommes pas d’accord…

Il ne s’agit pas de jouer le primaire contre le secondaire !

Le risque existe, qui pourrait affleurer même dans certaines contributions de ce dossier, d’idéaliser la pédagogie du primaire. C’est une première critique qui est faite aux défenseurs de l’école du socle. Les contributions rassemblées ici nous en présentent souvent une version optimiste, dynamique, parfois inspirée de Freinet et beaucoup plus soucieuse de l’élève tel qu’il est. On sait bien que la situation est beaucoup plus contrastée, d’autant que, notamment avec les programmes de 2008, on a assisté ces dernières années au phénomène inverse : progression de la leçon magistrale, des emplois du temps rigides, recul de l’interdisciplinarité. Quant à l’évaluation par compétences au primaire, elle est souvent dévoyée par une confusion avec les micro-objectifs et un découpage pointilliste insupportable. Il ne faudrait pas non à l’inverse diaboliser le collège, dont on dit parfois de manière un peu excessive qu’il n’est que propédeutique au lycée, alors même que de nombreux enseignants ont su s’adapter à un public de masse, en jonglant avec des programmes bien souvent infaisables cependant. Chacun doit être à l’écoute de l’autre et il s’agit bien de mutualiser les points forts pour éliminer les points faibles et permettre une continuité nouvelle, qui ne serait pas le simple prolongement de l’existant. Des expériences comme celles de Clisthène ou de certaines circonscriptions de la banlieue parisiennes, ou encore d’un petit coin du Gers, présentées ici  nous montrent de beaux exemples de ce qui peut se construire entre l’école et le collège.

Il ne s’agit pas de mettre à mort les disciplines !

Les adversaires de l’école du socle nous reprochent également de défendre le transversal contre les disciplines, forcément enfermantes et inadaptées au public de masse du collège.  On a au contraire besoin de disciplines fortes pour aider les élèves à apprendre et comprendre le monde, mais des disciplines qui partent de l’élève et de ses besoins et non d’une simple transposition de savoirs universitaires. Il doit s’agir de « regards » différents sur des objets parfois communs, regards que l’on croise comme on a pu le faire en collège jadis avec les « travaux croisés » ou les « itinéraires de découvertes », stupidement disparus.  Là encore, des exemples dans ce dossier nous montrent l’importance d’une réflexion commune autour de parcours à construire, y compris à l’intérieur des disciplines scolaires, en mettant en avant les continuités comme les ruptures, comme nous y invitent les acteurs de la circonscription de Toulon ou l’activité commune au collège de Loos.  Pour autant, il est nécessaire de donner plus d’importance aux compétences transversales, et en particulier ce qui touche le « apprendre à apprendre » qui devrait faire son retour en force dans le nouveau socle commun, mais aussi le climat scolaire ou le développement d’activités culturelles mêlant corps et esprit (contributions de Nanterre et Trappes).
A l’école primaire, on peut être initié aux sciences, entrer progressivement dans l’implicite en lecture, participer à une démarche d’investigation documentaire, et c’est encore mieux dans des démarches communes école-collège. Mais en même temps, on sait l’importance d’apprentissages fondamentaux, d’acquisitions d’automatismes, d’entrainements systématiques, d’appropriation d’outils, mais qui doivent trouver du sens, un sens qui se construit pas à pas conjointement. Tout cela conduit à construire une vraie progression à des rythmes très variées selon les élèves. L’école du socle doit être celle de la pédagogie différenciée.

Mais il s’agit bien de construire de vraies cohérences

En mars 2014 est parue la note de la fondation Terra Nova sur l’école commune, disponible sur le site du think tank), note à laquelle a participé activement l’un des coordonnateurs du présent dossier. Pour les rédacteurs, il y aurait trois grandes directions à suivre pour une école qui fasse réussir davantage les élèves tout en élargissant l’élite :

  • assurer la continuité des parcours, la progressivité des évolutions et la cohérence des enseignements et de l’éducation entre l’entrée à l’école primaire et la fin du collège ;
  • favoriser une mixité sociale et scolaire accrue des établissements et des classes ;
  • promouvoir une pédagogie de l’hétérogénéité centrée sur le traitement de la difficulté scolaire au sein des classes, la coopération et l’aide mutuelle entre élèves.

La note a suscité des réactions violentes dans certains milieux. Prenons par exemple la diatribe de José Tovar et Alain Becker  dans L’Humanité du 28 mars 2014. Ils interpellent les auteurs de la note : « Comment pouvez-vous affirmer sans rougir que « le manque de progressivité et le défaut de cohérence (mais quelle cohérence ?) entre l’école élémentaire et le collège sont parmi les causes majeures de l’échec des élèves les plus fragiles ou les plus démunis devant la culture scolaire » ?

Nier le choc des ruptures diverses entre l’école et le collège, même si cela n’explique pas la totalité de l’échec scolaire, nier les études qui nous montrent que le collège a tendance à renforcer les inégalités se construisant dans l’école primaire, nier les incohérences nombreuses entre les programmes, les répétitions ennuyeuses d’un côté, les apprentissages précoces inutiles sous la pression de l’aval qui stresse quelque peu les professeurs du primaire, voire ceux de l’école maternelle (seront-ils prêts en CP ?) l’abandon de pratiques plus vivantes davantage présentes à l’école primaire, c’est abandonner le réel pour le Ciel des Belles idées (l’entrée en discipline –comme on entre dans les ordres ?-, la culture de haut niveau pour tous, etc.) Et terminer leur tribune comme le font nos deux pourfendeurs de ce qu’ils appellent un réformisme néo-libéral, par cette notation simpliste : « N’importe quel maçon sait pourtant que pour construire sa maison, il vaut mieux s’assurer de solides fondations. Ignoreriez-vous la valeur de ce bon sens populaire ? » On n’avancera guère si on reste prisonnier de ces métaphores stéréotypées et surtout simplistes (« fondations » confondue avec « fondamentaux ») qui n’aident pas à percevoir la complexité d’une construction progressive de savoirs, dans un « curriculum » qui n’est pas empilement de contenus

Plus juste, plus efficace

Nous aimons bien, au CRAP-Cahiers pédagogiques, accoupler ces deux adjectifs. Cela s’impose ici, car l’objectif d’une continuité scolaire et éducative est bien de rendre l’école plus performante, à la fois sur le plan des résultats et sur celui de la formation des citoyens. Les résultats :  les évaluations internationales ont plutôt montré que permettre à tous de mieux réussir ne se fait pas au détriment des meilleurs. Oui, il s’agit à la fois d’élargir l’élite, trop restreinte, et de faire réussir tous les élèves. Le regard sur l’étranger et en particulier sur nos amis québecois nous aide à admettre cette idée contraire pourtant au bon sens d’après les élitistes qui soutiennent les sélections précoces, avec pourquoi pas, un barrage à l’entrée en sixième prônée par certains hommes politiques. A nous de trouver le juste équilibre des exigences raisonnables, entre l’indispensable et le souhaitable, d’utiliser les ressources de la pédagogie différenciée et de l’évaluation formative pour pousser tout le monde vers le haut. Un défi qu’il faut relever …