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« Le tour du monde en 80 jours », une aventure vécue ensemble

Céline Walkowiak

Avec Catherine, ma collègue de CM2, nous engageons une réflexion pour que les élèves qui arrivent en 6ème ne soient pas démunis face au changement de pratiques des enseignants. Deux ou trois incontournables dans notre réflexion : Une grande compétence par an à développer ensemble, une entrée par la culture et la complexité, des groupes d’apprentissage mixtes entre élèves de CM2 et de 6ème, une capacité à différencier les supports ou consignes selon les besoins de chacun.

Un tour du monde en 80 jours, de Jules Verne : une lecture à mener en autonomie

C’est le pari que nous avons fait. Non pas de faire le tour du monde en 80 jours, mais d’aider nos élèves de CM2 et de 6ème à parvenir au terme de cette lecture complexe pour des élèves de cet âge. De quelle lecture autonome un élève qui arrive en 6ème est-il donc capable ? Voilà notre terrain de réflexion.

En choisissant ce roman de Jules Verne, nous sommes conscientes de la complexité de la narration que les élèves vont avoir à gérer. Mais l’œuvre nous semble pertinente pour plusieurs raisons. Elle permet une ouverture vers d’autres disciplines, notamment la géographie ou la technologie, ce qui nous tient à cœur, puisque nous avons l’habitude de travailler en interdisciplinarité dans notre établissement. La trame narrative du roman étant linéaire, il est possible de suivre le parcours de lecteur sur une carte du monde, et un lecteur en difficulté peut passer au chapitre suivant et  continuer l’aventure sans être complétement déboussolé.

Une lecture faite d’avancées, d’obstacles, de détours et de raccourcis

Nos élèves de CM2 et de 6ème sont répartis en groupes de besoins, afin de différencier les aides que nous apporterons : Des groupes de « petits lecteurs » de CM2 et de 6ème, des « lecteurs moyens » et « des grands lecteurs ». Tout l’été, nous avons réfléchi aux différents supports à proposer aux élèves pour les accompagner dans cette lecture : une version du roman en bande dessinée, un livre audio, une édition  publiée chez CLE international en 1500 mots (un groupement de textes à destination des étrangers qui veulent découvrir les grandes œuvres de Jules Verne).

De mon côté, je crée un « carnet de bord » de la lecture, qui inclut un questionnaire ouvert concernant la gestion de la lecture à la maison (Quand lis-tu ? Dans quel lieu ? A quel endroit d’une lecture t’arrêtes-tu ? Quelles difficultés as-tu rencontrées ?), une carte du monde sur laquelle les élèves traceront le parcours de Philéas Fogg, un casting à proposer pour les personnages, une scène préférée à illustrer, un avis à donner. Pour lancer les élèves dans la lecture, nous faisons émerger, chacune dans nos classes, les représentations qu’ont les élèves sur les aventuriers. Et c’est drôle : un aventurier, c’est quelqu’un qui a un physique (Il a des muscles, il fait du karaté, du vélo, de la course, il gravit les montagnes, il doit savoir se battre), un mental (Il aime faire des découvertes, il est courageux, il mange de tout), il est inventif (il évite les pires situations, il sauve des gens, il affronte tous les dangers). Et de demander aux élèves de CM2 et de 6ème de réfléchir à la question suivante, après la lecture des deux premiers chapitres : Philéas Fogg a-t-il réellement l’étoffe d’un aventurier ?

Et je lance mes élèves dans la lecture, abandonnés volontairement à leur sort. Enfin, pas tout-à-fait, la discussion reste ouverte, et j’entends les problèmes qui se posent au fur et à mesure. Les bons lecteurs s’accrochent. Les autres trébuchent, retombent un peu plus loin sur leurs pieds, mais personne ne déclare forfait, et tout le monde arrive à temps et à bon port pour gagner le pari.

J’ai donné mon carnet de  bord à Catherine qui très rapidement fait le choix de lire avec ses élèves l’intégralité de l’œuvre en classe. La lecture en autonomie lui semble impossible, parce que le texte offre une résistance trop grande pour des lecteurs de cet âge. Elle alterne lecture à haute voix par l’enseignante, lecture silencieuse par les élèves, visionnage d’extraits de films et écoute de bandes audio.

Des jeux de société pour rendre compte des lectures de l’œuvre

En guise de restitution commune, nous proposons à nos élèves de concevoir et de fabriquer des productions plastiques

Pour les petits lecteurs, un mémory à créer avec les noms des personnages, les mots du roman, des pays, des villes, des moyens de transport, et une règle du jeu à rédiger.

Pour les lecteurs moyens, des illustrations des grandes scènes du roman dans des boites à chaussures. La scène du pont, la scène des indiens, le sauvetage de Melle Aouda lors du sacrifice en Inde. Les scènes préférées des élèves. Ca découpe, ça colle, ça papier créponne. Et tous les détails du texte y sont. Les élèves dominent le texte, se l’approprient, le restituent à leur façon.

Pour les grands lecteurs, la création d’un jeu de l’oie ce qui mobilise de véritables compétences de lecture. On recherche la chronologie exacte du roman, pour créer le plateau de jeu. On identifie les chapitres qui pourraient correspondre à certaines cases spécifiques. Il y a les cartes à créer, avec 3 niveaux de difficulté.

Apprendre en travaillant ensemble

J’assiste fascinée à ces échanges. Et j’entends des élèves parler très finement du Tour du monde en 80 jours, des rapports entre Passepartout et Philéas Fogg (Et pourquoi Melle Aouda tombe-t-elle amoureuse de Philéas Fogg alors que c’est Passepartout qui risque sa vie pour la sauver des flammes du bûcher ?) , d’autorails et de paquebots à vapeur, de fuseaux horaires

Ca change des questionnaires de lecture plus classiquement mis en œuvre à l’école comme au collège. Travailler une œuvre ensemble, c’est se construire un petit bout de culture commune. Catherine et moi apprenons tout autant que les élèves sur nos pratiques de classe. Mais ce projet conforte bien notre diagnostic initial: Il y a bien une faille entre les attentes du collège et le niveau de compétence construit à l’école. Et cette faille ne pourra être comblée chaque année par un projet. C’est dans les pratiques de classe quotidiennes que l’école primaire doit poser les prémisses de la lecture littéraire et que le collège doit étayer cette entrée progressive dans les textes à forte résistance.

Et on le fait comment, le tour du monde ? Par Francis Blanquart

Pratiquer, dans le cadre du projet Jules Verne, une démarche d’investigation nous semblait être l’une des meilleures entrées pour faire découvrir la technologie aux

Prenons l’exemple de la première étape: rechercher et extraire des informations. Comment amener les élèves à prêter attention à cette étape, qui devrait être un questionnement préalable et nécessaire du chercheur en herbe?

 
La classe de 6e va mener cette investigation accompagnée par les élèves de CM2. Ils ont pour mission d’étudier et d’analyser certains moyens de transport décrits par Jules Verne dans ses romans, afin de voir s’il s’agit d’objets techniques réalistes ou imaginaires. Ils ont, comme guide pour leur investigation, une carte mentale élaborée en cours de technologie, pour cerner tous les axes de l’analyse fonctionnelle d’un objet

Dans l’œuvre de Jules Verne, on voyage en bateau à voile, à valeur, en train, en traineau à neige, en ballon, en sous-marin, et en fusée.

Chaque groupe devra travailler sur un moyen de transport en particulier et se poser des questions sur son fonctionnement possible, à partir de supports d’investigation variés, représentatifs de l’investigation technologique : des supports documentaires mais également des maquettes, des vidéos, des représentations numériques en 3 D.

C’est l’enjeu de l’activité : pas de trouver des réponses (les objets sont trop complexes pour cela), mais de se poser des questions et, éventuellement, de formuler des hypothèses de réponses.

Que penser de la fusée obus de Jules Verne, capitonnée de coussins pour amortir les chocs des voyageurs, qui se plante dans la lune ? De son sous-marin, qui fonctionne avec l’énergie d’une pile ?

Les CM2 et les 6èmes observent, font des croquis, des frises historiques, personne n’a réellement la solution, mais tout le monde tâtonne, essaye et s’interroge.
On est alors au cœur de l’activité de recherche.