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Denis Meuret, IREDU, professeur émérite de sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne, auteur de Pour une école qui aime le monde, France-Québec, le sens d’une comparaison

 

Il n’existe de « socle commun » au Québec. Aucun document ne définit des « connaissances et compétences » que tous les élèves devraient maîtriser à la fin de leur scolarité obligatoire. Et pourtant, nous dit un fin connaisseur du système québecois, nous sommes sans doute plus proches de l’esprit de l’école du socle que chez nous, au-delà de la dénomination.

Le Québec n’a pas « d’école du socle », si l’on entend par là une « école de base » unifiée à la scandinave .  Après six années d’école primaire (cinq en France), les élèves entrent dans une « école secondaire», divisée en deux cycles, qui dure cinq ans (contre sept en France) et regroupe notre collège, notre lycée et, s’il s’agit d’une « secondaire polyvalente », aussi notre lycée professionnel. Comme en France aujourd’hui, en passant du primaire au secondaire, les élèves passent d’un enseignant polyvalent à des enseignants spécialisés par discipline. La scolarité est, comme en France, obligatoire jusqu’à 16 ans.

Et pourtant, à PISA, à peu près à la fin de la scolarité obligatoire, donc, les élèves québécois ont précisément les résultats que nous attendons du socle commun : des élèves faibles moins faibles que les nôtres, et parmi les meilleurs des pays PISA, moins d’élèves ne possédant pas les compétences suffisantes pour continuer d’apprendre avec profit.

Illustrons cela avec deux tableaux.

Des élèves faibles moins faibles que les nôtres

Score du meilleur des 10% les élèves les plus faibles (Premier décile)

 

PISA 2000

Compréhension de l’écrit

PISA 2003

Maths

 

PISA 2006

Sciences

PISA 2009

Compréhension de l’écrit

PISA 2012

Maths

Québec

404

 

402

405

413

France

381

389

359

352

365

Lecture : Ce score est situé sur une échelle de moyenne 500 et d’écart-type 100, sur laquelle on a mesuré qu’une année de scolarité permettait en moyenne de progresser de 40 points. Les données sont issues, pour la France, des rapports PISA de chaque édition, pour le Québec des brochures « A la hauteur, résultats canadiens de l’étude PISA », publiées pour chaque édition par Statistiques Canada. Nous n’avons pu y trouver le premier décile pour 2003.

Ce tableau montre, non seulement que les élèves les plus faibles sont aujourd’hui moins faibles au Québec qu’en France, mais aussi que c’était déjà le cas avant la tragique dégradation de l’équité de l’école française qui s’est produite entre 2003 et 2006.  Ce qui s’est passé est « seulement » qu’un écart de l’ordre de 20 points  s’est creusé jusque vers 50 points, plus d’un an de scolarité.

Moins d’élèves ne possédant pas les compétences suffisantes

 pour continuer d’apprendre avec profit

Des études longitudinales menées dans une demi douzaine de pays (mais pas en France) ont montré que les élèves situés à 15 ans en dessous du niveau 2 de l’échelle de compétences de PISA (qui en compte six) rencontraient ensuite de sérieuses difficultés pour poursuivre leurs études. On peut penser qu’un socle commun bien conçu se situerait à ce niveau  et qu’une école du socle devrait viser à faire en sorte qu’aucun élève ne se situe en dessous de quelque chose comme le  niveau 2 de PISA.  Le tableau ci-dessous montre que ce pourcentage est aujourd’hui à peu près moitié moindre au Québec, 10 au lieu de 20%. Il montre aussi que cet écart est à peu près le même dans les trois domaines évalués, ce qui suggère que les causes de la faiblesse de nos élèves les plus faibles sont à chercher parmi des caractéristiques générales du système (sa culture, sa structure, sa gouvernance…) et pas parmi les caractéristiques de l’enseignement de telle ou telle matière.

Pourcentage  d’élèves n’atteignant pas le niveau 2 sur l’échelle PISA ( 1 à 6).

 

PISA 2000

Compréhension de l’écrit

PISA 2003

Maths

 

PISA 2006

Sciences

PISA 2009

Compréhension de l’écrit

PISA 2012

Maths

Québec

8,4

7,8

12

10

11

France

15

17

20

20

22

Dans la perspective d’une réflexion sur « l’école du socle » en France, cette configuration suggère deux questions à poser à l’école québécoise, proches, mais pas identiques.

Peut-on attribuer le faible nombre d’élèves faibles au fait que l’école du Québec serait tout de même plus proche d’une « école du socle » que l’école française actuelle et, si oui, en quoi ?

La coupure primaire/secondaire est moins nette au Québec qu’en France. Pas de « petit lycée », mais une école qui s’est construite dans la perspective d’une école secondaire pour tous. , voici en quoi. Ecoles primaires comme écoles secondaires pratiquent un « enseignement individualisé » et une « pédagogie par projets », du moins cela leur est-il prescrit par le ministère aux unes comme aux autres. Cette orientation a rencontré des oppositions auprès des enseignants et , suite à l’évaluation de la mise en œuvre de ce programme, le ministère a précisé que la pédagogie par projets n’était qu’une des pédagogies possibles, a souligné que les compétences ne s’opposaient pas au connaissances mais étaient des connaissances que les élèves savaient utiliser « de la bonne façon dans le contexte approprié », et que l’approche par les compétences s’inscrivait dans la stratégie ministérielle du « retour à l’essentiel » et pas contre elle.

Plus particulièrement, deux caractéristiques de l’école québécoise me semblent contribuer à une plus grande proximité de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire au Québec.

  •   Un effort pour que la transition primaire-secondaire soit moins source de tensions pour les élèves et moins dommageable pour le rythme des apprentissages.

Cette transition est abordée du point de vue de l’élève, ses apprentissages, ses inquiétudes, son engagement, etc., alors que l’on a tendance en France à l’aborder uniquement via les différences dans le mode d’enseignement. Les chercheurs québécois ont diagnostiqué les impacts négatifs de cette transition, de courte durée et de faible ampleur chez certains élèves mais plus durables chez d’autres : rupture des liens sociaux, plus grand isolement, plus grande anxiété de la performance, baisse du rendement scolaire, déclin de l’intérêt pour les matières scolaires, attitudes moins positives envers l’école et les enseignants, baisse de l’estime de soi sur le plan scolaire. Ils ont isolé des « facteurs de risque »  et des « facteurs de protection » qui font que la transition peut s’avérer plus ou moins difficile.

  • Une prise en charge des élèves en difficulté davantage semblable à l’école primaire et au collège. En France, depuis peu, la notion de Programme Personnalisé de Réussite Educative (PPRE) est commune à l’école primaire et au collège, de même qu’au Québec, depuis plus longtemps, l’est la notion de « plan d’intervention ». Toutefois, il semble que cette formule ait quelque peine à se mettre réellement en place et qu’on ait donc quelque peine à refermer  la coupure franche qui existait auparavant entre le primaire, où l’essentiel de la prise en charge de la difficulté scolaire est dévolue aux RASED, et le secondaire, où elle relève d’autres formules.  Au Québec, cette prise en charge est le fait d’un grand nombre de professionnels, dont certains sont inconnus ici (les orthopédagogues par exemple). Ces professionnels conçoivent leur travail véritablement comme au service de l’apprentissage des élèves et travaillent dans une grande proximité avec les enseignants.   Ils n’interviennent pas qu’au primaire, mais aussi au premier cycle du secondaire.   

Leçons du Québec ?

Lorsque j’ai demandé à une directrice d’école de Montréal les raisons du succès des élèves québécois, elle m’a donné deux raisons qui n’ont rien à voir avec le socle ou l’école du socle : les rythmes scolaires (des journées de classe nombreuses mais courtes) et la qualité des enseignants.

Cela n’empêche pas de faire des conjectures sur les caractéristiques de l’école québécoise qui pourraient inspirer une école française du socle :

  • L’école québécoise est attentive à proposer aux élèves des apprentissages qui fassent sens pour eux. Le Programme de Formation de l’Ecole Québécoise organisé de la même façon au primaire et au secondaire vise trois objectifs pour l’élève (structurer son identité, construire une vision du monde, développer son pouvoir d’action) à travers l’acquisition de compétences disciplinaires et transversales (ces dernières de quatre  ordres : intellectuel, méthodologique, personnel et social, de communication) dans cinq domaines d’apprentissage (arts, univers social, maths, sciences et technologie, langues, développement personnel) et cinq domaines généraux de formation (santé et bien-être, orientation et entrepreneuriat, environnement et consommation médias, vivre ensemble et citoyenneté).
  •   Elle inscrit les apprentissages dans une conception large de l’insertion sociale[1]. Ce que le PFEQ vise pour chaque élève s’inscrit dans un rôle global de l’école énoncé depuis les années soixante, qui est l’insertion des élèves dans une société solidaire, une économie dynamique, une nation moderne. Cela est vrai pour le primaire comme pour le secondaire et cette continuité ne peut que minimiser l’impact des différences entre les modalités de l’enseignement au primaire et au secondaire.
  • L’école québécoise est une école chaleureuse[2]. Des enquêtes franco-québécoises montrent des élèves québécois moins angoissés que les français, se sentant mieux à l’école. Les données de PISA ne permettent ici la comparaison qu’avec le Canada, et non le Québec, mais elles montrent des élèves canadiens moins inquiets, ayant beaucoup plus le « sentiment d’appartenir à leur école », « s’entendant mieux »  avec leurs professeurs.  
  • L’école québécoise a réussi à mettre en œuvre une forme scolaire dans laquelle l’approche par les compétences ne s’oppose pas à une exigence forte dans l’apprentissage des matières essentielles, mais oriente cet apprentissage vers une maîtrise de leurs  outils clés.

En résumé, ce  vers quoi, me semble-t-il,  les bons résultats des élèves québécois nous incitent à aller, c’est vers une école chaleureuse et exigeante, qui ait une vision positive de la société française comme de sa tâche envers elle, une vision  positive aussi de ses élèves, d’où résulte un soutien résolu des plus faibles d’entre eux. 


[1] Côté français, selon les intellectuels spécialisés dans l’éducation, le sens de l’enseignement est « d’apprendre à penser ». Selon ce que j’entendais dans les réunions parents-profs du collège parisien de mes enfants, sans aucun doute pas représentatives, c’était de passer dans la classe supérieure.

[2]Par exemple, la vidéo qui présente sur internet « l’école secondaire St Laurent » la  met en scène via des interviews d’élèves qui déclarent des choses comme «  je me sens dans un confort familial à l’école », « on a toujours des profs pour nous soutenir », «  Les profs nous forcent à découvrir nos qualités ». La vidéo insiste sur les activités sportives, sur les projets d’engagement communautaire, sur les nombreux « événements » organisés par les élèves- y compris d’ailleurs celui qui célèbre les élèves qui ont particulièrement progressé au cours de l’année.