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« Jour après jour, le contact s’est établi…»

Jacques Montourcy, professeur des écoles (maintenant attaché culturel)

 

En Corrèze, un projet expérimental a été mené en lien avec l’Institut français de l’éducation, dont un des objectifs était la connaissance mutuelle des pratiques professionnelles premier-second degré…Six collèges et 41 écoles concernées. Témoignage d’un acteur.

« Jour après jour, le contact s’est établi…»
Jacques Montourcy, professeur des écoles (maintenant attaché culturel)

En Corrèze, un projet expérimental a été mené en lien avec l’Institut français de l’éducation, dont l’un des objectifs était la connaissance mutuelle des pratiques professionnelles premier-second degré…Six collèges et 41 écoles concernées. Un bilan qui transparait comme positif dans ce témoignage d’un enseignant fortement engagé dans le projet.

Durant deux années scolaires,  il m’a été donné de vivre une expérience professionnelle enrichissante à plus d’un titre : une affectation (à titre provisoire) sur un poste intitulé « Liaison CM2-6ème  ».
Dès que je sais su qu’un projet se mettait en place dans mon département et dont l’idée générale était de mieux comprendre les causes du décrochage de certains élèves en 6ème, je me suis porté candidat pour un poste de PE missionné en collège dans le cadre d’une action innovane en lien avec l’école du socle. Même si les contours de cette nouvelle expérience professionnelle n’étaient pas encore clairement définis, j’étais motivé et curieux. J’avais trop souvent vu en effet des élèves s’effondrer en 6ème alors qu’ils se débrouillaient correctement à l’école. Une expérience douloureuse que j’avais moi-même vécue … il y a longtemps. Et puis, au-delà de cet aspect assez personnel, j’étais ravi à l’idée d’aller exercer en collège car, selon moi, l’école ne forme pas de futurs citoyens comme elle aime à le répéter, mais de futurs collégiens. Ce qui est moins ambitieux peut-être, mais plus concret et donc plus compliqué…Mais, du haut de ma cinquantaine proche je n’avais qu’une vague idée des réalités du collège d’aujourd’hui. Tout ce que j’en connaissais était issu du parcours de mes enfants … ou du mien.

Une défiance qui met du temps à se dissiper…
Je me suis donc retrouvé affecté dans deux collèges l’un urbain, l’autre rural. Présenté aux enseignants comme PE « chevronné », j’ai compris dès les premiers regards que ma présence au sein des équipes n’allait pas de soi. Lorsqu’il a fallu que des professeurs du second degré se désignent pour m’accepter durant leurs cours, l’enthousiasme général n’était pas à son paroxysme. Ce que je comprenais parfaitement en m’imaginant à leur place !

Jour après jour cependant, après une phase de méfiance, de défiance parfois, d’incrédulité, de refus … le contact s’est établi.
Il a fallu cependant que je démontre par l’exemple que je n’étais ni un « agent double » , ni un « intégriste du premier degré » un « je sais tout, les PE sont super les PLC sont nuls ». J’étais avant tout un  « collègue »…
Souvent au début, je me suis retrouvé seul en salle des professeurs ou devant la machine à café pour défendre les vertus d’une meilleure connaissance mutuelle entre nous dans l’intérêt de nos élèves ou encore pour dire que, même si j’estimais que le Livret personnel de compétences n’était pas un modèle de limpidité et de continuité, il avait au moins le mérite d’exister et qu’il pourrait s’avérer utile selon l’utilisation qu’on en faisait.

L’école du socle, le LPC, les réformes étaient en effet des sujets de crispation  chez certains PLC qui me présentaient souvent ces sujets comme si j’en étais le VRP. La position de la (des) hiérarchie (s) n’étant pas toujours très tranchée non plus, il m’a souvent fallu faire preuve de patience et de diplomatie pour établir une relation de confiance avec les PLC.
Ce  fut sûrement l’étape la plus difficile mais aussi la plus déterminante de mon action.
Car sans la confiance de mes collègues PLC, rien n’aurait pu être fait par la suite. Il faut dire aussi que les chefs d’établissement ont tout fait pour crédibiliser ma présence auprès des PLC. J’ai été ainsi invité à toutes les instances et j’ai eu à jouer des rôles divers en réunions parents- professeurs, en voyage organisé, en réunion des professeurs principaux.
Peu à peu, les PLC se sont habitués à me voir sortir des bureaux avec des dossiers sous le bras et les chefs d’établissement se sont habitués à me voir plaisanter avec les collègues « à la machine à café ». Une sorte de rôle sur deux registres dont personne n’a eu à se plaindre durant ces deux années.
Il faut dire aussi que j’avais la confiance de ma hiérarchie du premier degré, qui me laissait une large marge de manœuvre. J’insiste beaucoup sur ces paramètres de confiance réciproque sans lesquels cette action-recherche était vouée à l’échec.

Et les élèves dans tout ça ? Eh bien, avec eux les choses ont été beaucoup plus simples. Dans un environnement nouveau pour eux, les élèves étaient absorbés par la recherche de leur place au sein de leur nouveau groupe, et ma présence n’était pas plus un élément nouveau que le reste…

Comment j’intervenais

J’intervenais dans plusieurs classes différentes, en fonction des emplois du temps des professeurs. Je ne me suis jamais imposé, mais il est arrivé que j’intervienne régulièrement avec tel professeur réticent au départ. Cependant, j’ai travaillé avec le même noyau de professeurs, surtout en français et mathématiques.
En classe, j’apportais des aides ponctuelles aux élèves comme deuxième enseignant. Je circulais dans les rangs alors que le PLC faisait son cours, vérifiant la prise de notes, l’orthographe …
Si je voyais que certains enfants décrochaient, je demandais à passer aux commandes l’espace d’un instant. Ce qui ne pouvait se faire qu’avec une réelle complicité et surtout un profond respect mutuel. Je reprenais alors la situation « façon école » : parlant lentement et distinctement, écrivant les mots difficiles au tableau, faisant reformuler, utilisant des exemples parlants, théâtralisant des situations … Je me gardais bien de dire au PLC « Nous à l’école on fait comme ça parce que … ». Je le faisais, c’est tout.
Quand les décrocheurs avaient raccroché, je reprenais ma place. Mais tout n’a pas toujours été aussi idyllique.

En fait, j’étais un peu celui à qui on osait demander des choses inavouables telles que « Je ne sais plus comment faire une division …. en fait j’ai jamais su ». Pour les élèves en difficulté demandeurs, j’étais souvent le confident, y compris pour me parler dans la cour des soucis de la maison. Je jouais alors un rôle de courroie de transmission auprès des PLC et j’apportais ce fameux « regard croisé » qui fait tant défaut au collège. Je m’explique : A l’école si un élève a de mauvais résultats dans une discipline, on peut toujours le valoriser dans une autre. Cet aspect est essentiel car on peut ainsi donner une bonne estime de soi à un élève qui ne peut manifestement pas encore y arriver dans un domaine précis et on peut le valoriser aux yeux des autres. Pas au collège où l’élève est encore trop perçu à travers le prisme de sa discipline.

Autour de la classe.
Beaucoup imaginaient que nous allions concevoir régulièrement des séquences ensemble, le PE et le PLC. Idée admirable, mais qui, dans la réalité, se heurte tout de suite à des contraintes d’emploi du temps des uns et des autres, de disponibilité du matériel pédagogique qui se trouve non pas au collège mais chez le professeur, etc.
C’est ainsi que nous avons préparé des séquences après les cours, après le déjeuner… pas aussi souvent que nous l’aurions souhaité, mais au moins l’avons-nous fait. Après chaque cours, nous avons pu aussi « débriefer » dans la salle.

J’ai passé beaucoup de temps au secrétariat à compulser les dossiers du primaire des élèvesdocuments, hélas, peu exploitables car trop divers, trop hétérogènes à l’exception du fameux LPC. Nous les avons cependant utilisé pour créer des fiches de suivi, pointant des items des sept compétences non validés et pour mettre en place sur cette base un accompagnement personnalisé durant les heures d’études, sur la base du volontariat et encadrés par des PLC dont j’essayais de coordonner l’action et auxquels je proposais des situations de remédiation proches de ce qui se fait à l’école. Un atelier de méthodologie, un atelier de « rangement de classeur », un atelier de mesures dans la cour avec un décamètre ….

Toutes ces actions ont contribué à renforcer la curiosité des PLC à l’égard de l’école et à remettre en cause bien des préjugés de ceux-ci. Des échanges ont pu se développer entre PE observant des cours de collège et des PLC ventant passer des journées en CM2. Des réunions de préparation de séquences communes PE/PLC ont été conduites, les PE ont enseigné au collège, les PLC ont enseigné à l’école. Un document synthétique concernant les élèves en difficulté, renseigné par les PE de CM2 à l’attention des PLC du collège, la fiche passerelle, a été mis en place.
Plus que de longs discours, tous ont alors pu réaliser que la nécessité de réfléchir et d’agir chacun dans son coin pour faciliter le passage de nos élèves de l’école au collège n’était plus suffisante. « Pour savoir où les conduire, il faut savoir d’où ils viennent » m’a dit un jour un PLC. C’est vrai.

Encadré :
Le projet expérimental de Corrèze avait plusieurs objectifs :
 l'acquisition des compétences du palier 2 par les élèves qui ne les avaient pas validées à l’école élémentaire  ou pour des élèves qui n’avaient pas rencontré de difficulté à l’école primaire mais décrochent au collège,
 la connaissance mutuelle des pratiques professionnelles PE/PLC (évaluation des compétences, personnalisation des réponses pédagogiques aux spécificités des élèves...),
 le développement des approches transversales et inter degrés, notamment pour les apprentissages fondamentaux,
 le passage d’une logique de "remédiation" à une logique de prévention de la difficulté scolaire ou comment ne pas placer l'élève en situation d'échec,
 l’impulsion à une nouvelle organisation des enseignements au sein du collège.