privé

" Ça change la vision qu'on a des Profs."

"On est en confiance et on fait confiance."

 

 

" ça fait plaisir que les Profs s'intéressent à nous en même temps qu'on a appris à les connaître." "On se sent plus encadré en arrivant dans ce grand lycée. Il y a des gens qui s'occupent de nous"  " C'est bien d'être en petits groupes" "Intéressant. Les Profs prennent le temps de nous connaître" " Ça change la vision qu'on a des Profs : c'est des êtres humains".

 Ces propos ont été recueillis à l’issue de la journée de rentrée d’une classe de seconde en septembre 2013. Qu'est-ce qui a fait que  ces élèves de seconde du lycée Jean Monnet de Montpellier parlent de cette façon de leurs enseignants ? Qu’est-ce que ces enseignants ont bien pu changer pour transformer ainsi le discours de leurs élèves ?

En cette rentrée, un accueil a été organisé pour les élèves qui rencontrent, par groupes de 6, chaque Professeur, en rotation. La trame de fond de l'accueil fut : "Sentiment de Sûreté, de Confiance". La durée d'échanges est de 30mn. Il s'agissait de "faire connaissance". Nous avons observé une prise de parole spontanée et positive des élèves, face aux professeurs et aux pairs: la parole est authentique, et se situe dans le partenariat (on ne redoute pas de dire du bien des profs devant les pairs) et la confiance. Les élèves semblent avoir considéré les professeurs comme une équipe, avec des idées partagées, une cohésion et une solidité. Un réel engagement émanait du groupe de professeurs. L'organisation particulière de cette rentrée est une des formes émergente de l'idée fondatrice: les collègues de l'équipe sont convaincus de l'importance du sentiment de confiance et de sûreté, et cherchent à en imprégner leur enseignement.

Construire la confiance

 

Nos résultats de recherche ont fait apparaître une relation de "non-confiance" des élèves vis à vis des professeurs. L'étude a révélé que la représentation du sentiment de confiance vis à vis professeurs est négative sur l'ensemble des années 2010-2013 et on peut même parfois parler de défiance.

Cependant, on a pu mesurer une amélioration de cette confiance dans la situation où un duo/trio de professeurs cherche à travailler en complémentarité, à la condition que le niveau scolaire des élèves ne soit pas trop faible... mais  le niveau "confiant " n'est pas atteint pour autant. Cependant, les (quelques) élèves qui ont amélioré ou maintenu leur confiance dans leurs profs ont amélioré de façon très notable leur performance en mémoire sémantique. L'amélioration de la confiance professeur-élève demande probablement du temps. Elle nécessite une atmosphère de classe dans laquelle la relation et l'échange sont possibles dans le triangle élève-pairs-enseignant; cette relation doit être basée sur l'éthique et le respect mutuel, tant au niveau du langage que des signes non verbaux (ex: tonalité du discours, gestuelle, modes d'évaluation). Nous parlerons ici de l'enseignant perçu par l'élève comme une figure d'autorité acceptée. Cette confiance se construit de façon concomitante avec le sentiment de sûreté dont elle en est une des composantes.

Etablir le  sentiment de sûreté

Le terme de sentiment de sûreté tel que nous l'envisageons ici dépasse le sens communément utilisé. Il s'agit d'une sérénité intérieure qui permet à la fois d'être bien avec soi-même, avec les autres, et, en conséquence, de rendre possible et stimulante l'exploration du monde et  la connaissance.

Ce qui apparait dans nos mesures et observations, c'est que ce sentiment de sûreté se dégrade au fur et à mesure de l'année. Or, les résultats de la recherche mettent en évidence que lorsque les élèves sont "étayés", non seulement ils sont susceptibles d'améliorer leur sentiment de sûreté, leur "liberté intérieure et autonomie", mais, aussi, les mémoires, la mémoire visuo-spatiale tout particulièrement, ainsi que leur investissement et résultats scolaires.

L'étayage, qui fait partie de notre "recherche action", a été réalisé et mesuré depuis 4 ans (2010-2013) dans le cadre de l'horaire dévolu à "l'accompagnement personnalisé"  dans ce que nous avons nommé "Ateliers". Le travail, mené avec des petits groupes d'élèves, a pour objectif le développement du sentiment de sûreté et lui seul (sans aucun travail de type scolaire). Et ce sont bien les résultats nommés ci-dessus qui nous encouragent à poursuivre.

Car le professeur, dans l'exercice strict de son métier, peut, quelle que soit sa matière, en intégrant les spécificités du sentiment de sûreté (on parle ici d'état d'esprit et non pas de "recettes"), instaurer une confiance entre lui et l'élève et aussi  développer la "sécurité intérieure" de l'élève.

 

Une équipe accompagnée  

Cette année, sur cette classe, huit enseignants sont engagés dans le projet.

Dans un premier temps, l'ensemble des enseignants du Lycée Jean Monnet a été invité, à l'initiative de M. Diot, proviseur du Lycée, à une communication dans laquelle nous avons présenté l'importance capitale du sentiment de sûreté dans l’apprentissage. Une deuxième séance de travail collectif à partir d'outils a permis à tous de réfléchir aux mises en œuvre, à chacun (enseignants, CPE, professeurs documentalistes) de conserver ses particularités et son authenticité.

L'équipe se réunit deux fois par trimestre, en notre présence, pendant une heure consacrée au thème du "sentiment de sûreté". Il s'agit de créer collectivement un socle d'idées et de pratiques partagées, à partir de différents thèmes ou situations vécues en classe avec les élèves comme : "comment avez-vous croisé vos contenus d'enseignement et le sentiment de sûreté ?  A quel genre de problème avez-vous été confrontés au cours du dernier mois et comment le sentiment de sûreté a-t-il guidé votre recherche de solutions?". Actuellement, nous travaillons sur « évaluation et sentiment de sûreté et de confiance ». Travail de réflexion en équipe et initiatives individuelles dans le cadre de la classe fonctionnent en circularité.

 

Une équipe qui prend en compte sûreté et confiance, et qui évolue.

 

C’est au fur et mesure des échanges, communications, adaptations, références à la théorie, confrontation au terrain, que  le travail d'équipe s'est consolidé.

Les discussions entre collègues et entre collègues et chercheurs nourrissent la pensée, puis c'est l'entreprise menée en commun qui permet de consolider le travail d'équipe: on pense et on agit ensemble, collectivement, sur un même thème qui fédère.

C'est "en action" auprès des élèves que le sens prend forme, à travers les  initiatives que chaque professeur   tente dans son  enseignement. Et le "feed-back" des élèves est précieux, en classe ou lors des rencontres avec l'un ou l'autre élève, dans des formes verbales ou non verbales. Cela permet à l'enseignant, puis à l'équipe, de prendre du recul, de remettre en question, de réfléchir, puis de réajuster éventuellement.

C’est le cas par exemple pour l'évaluation. Les contenus théoriques concernant le Sentiment de sûreté et de confiance ont été croisés avec l'évaluation, pratique de terrain. La réflexion a été menée en amont, (comment l'élève peut-il être mis en confiance et sûreté pour se préparer ?), en situation d'évaluation (confiance et sûreté devant l'épreuve, type de questions, alternance connu, inconnu...), et après l'évaluation (confiance et sûreté dans le "rendu de copies", dans les notes, dans les corrections....). La pratique de l'évaluation s'est transformée.

Dans cette organisation les enseignants sont aussi chercheurs: chacun expérimente, réajuste, théorise. Cependant il est important que nous, initiateurs de la recherche (extérieurs à la structure scolaire), soyons aussi en situation de terrain (dans les ateliers). Il nous apparaît que le travail d'équipe ne peut pas exister d'emblée, il ne se décrète pas non plus: l'adhésion du départ, inscrite dans une structure, a pris racines et forces en actions-réflexions-interactions-réajustements, sur la durée. Et  dans le mode de fonctionnement de notre démarche collective, communication, adaptation, souplesse, confiance, écoute, initiatives, ont été des processus mis en œuvre au niveau individuel et collectif...et ces composantes sont aussi celles du Sentiment de Sûreté. Ainsi, le fonctionnement de notre équipe a permis de développer les composantes du sentiment de sûreté des professeurs. De surcroit les élèves progressant dans leur sentiment de sûreté, la confiance s'installe entre les différents partenaires, et le climat apaisé permet à chacun, adultes et adolescents, en circularité, de mieux vivre l'école.

Ce n'est pas seulement une équipe de professeurs qui est en marche et œuvre pour les transformations des représentations chez des élèves, mais tout une  "communauté": une classe, une équipe de profs, tous les partenaires pédagogiques et hiérarchiques, qui avancent conjointement, dans un climat tout à fait inhabituel dans nos écoles. "Le climat a changé: on est dans une vraie relation de confiance réciproque" est l'une des conclusions exprimée par des collègues ".

Une recherche-  action, c'est une rencontre entre des idées, des processus, le terrain, les résultats.

Sur le thème du sentiment de sûreté et de confiance, la rencontre est aussi celle des enseignants, des élèves, des chercheurs. Au fondement des apprentissages, la rencontre est celle de la sûreté affective et de la cognition, sans oublier la relation aux autres, adultes et élèves.

Dans ce contexte, faire son métier d'enseignant, c'est favoriser ces multiples rencontres, et en particulier imbriquer les composantes du  sentiment de sûreté avec les contenus d'enseignement afin de permettre à ses élèves de s'ouvrir et d'avancer dans la connaissance avec sérénité et en confiance, tant avec ses pairs, qu'avec le professeur, que dans sa propre démarche.

Dans ce processus, le métier d'enseignant s'avère être également celui de chercheur,  au sein d'une équipe qui travaille en coopération. En œuvrant collectivement, le professeur participe à sa propre évolution vers plus de sûreté, aussi.Comment ne pas envisager d'intégrer ces aspects, actuellement "bénévoles"  dans le métier d'enseignant?

 

 

L'enseignant et le Sentiment de Sûreté de l'élève

 

L'objectif c'est "L'aspect exploratoire du Sentiment de Sûreté", c'est-à-dire la gestion des émotions et le développement de la communication, entre pairs et avec les adultes.

Tous les domaines de l'enseignement peuvent être croisés avec le Sentiment de Sûreté.

Nous situons nos interventions selon une conception holistique. Ainsi nous considérons un être chez qui des transformations seront toujours possibles (grâce notamment à la plasticité cérébrale),

Ce type de travail s'inscrit dans une approche systémique et relationnelle avec l'éthique comme fondement, et induit:

* La prise en compte de l'élève.

* Des situations de relation entre pairs et entre élèves et adultes avec travail en groupe afin que chacun se sente reconnu et écouté dans un climat de confiance mutuelle. (à l'adolescence, le groupe peut représenter une base de sécurité).

 

Gaëtan Roland: enseignant retraité, étudiant -chercheur

Gaëtan Monique: enseignante retraitée, étudiant -chercheur

Professeur Michel Delage: Psychiatre, Directeur pédagogique DU Ethologie Humaine Université de Toulon .

 

*Mémoire DU Ethologie, Université de Toulon Var 2011: Renforcement du Sentiment de Sûreté en milieu scolaire, à l'adolescence;

*"Revue de neuropsychiatrie de l'enfant et de l'adolescent" : article à paraître.