Serment de Socrate : prestation obligatoire, effet garanti ?

En communauté française de Belgique, le dernier jalon de la formation initiale, qui est aussi le premier pas de l’entrée dans la profession d’enseignant est la prestation du serment de Socrate. Les jeunes diplômés prêtent ce serment devant leurs professeurs, parents et amis au cours d’une cérémonie organisée dans l’institution universitaire ou dans la haute école. Un décret de 2000 en précise les termes : « je m’engage à mettre toutes mes forces et toute ma compétence au service de l’éducation de tous les élèves qui me seront confiés ». Il ne s’agit évidemment pas de mourir debout au tableau noir une craie à la main comme l’écrivait il y bien longtemps déjà M. Huberman ! Ce serment contractualise plutôt une exigence de professionnalisation en ritualisant cette entrée dans un corps professionnel, à l’instar de ce qui se fait chez les médecins par exemple.

Comment les choses se passent-elles ? Fin juin, les parents, les amis, les formateurs et bien entendu les étudiants qui ont réussi les trois années d’étude pour devenir professeurs de Collège sont invités pour la remise des diplômes. Avant de les recevoir, nos étudiants viennent prononcer collectivement, section par section, la phrase du Serment de Socrate.

Légende photo : Les bientôt-ex-étudiants/futurs-enseignants s’engagent publiquement au cours de la cérémonie de remise des diplômes « à mettre toutes leurs forces et toute leur compétence au service de l'éducation de tous les élèves qui leur seront confiés ».Ici, les étudiants de la section mathématiques.

Qu’en pensent d’abord les premiers intéressés ? Perçoivent-ils dans ce Serment une forme de fondement de la déontologie enseignante que nous souhaiterions lui donner, ou ne voient-ils qu’une vision généreuse du métier qui ne les concerne pas plus que ça, qu’un idéal lointain à se rappeler de temps en temps ou simple rituel ? Les quelques témoignages recueillis auprès de jeunes récemment diplômés montrent que ce serment pourrait fonctionner comme une sorte de boîte noire contenant un puzzle à assembler.

Certains étudiants s’approprient les pièces une à une durant la formation, et ce grâce aux cours, aux stages, et aux diverses activités de formation. Cette phrase devient alors le mot de passe qui éclaire la finalité de la pratique enseignante. Mais d’autres reconstitueront ce puzzle plus tard, au gré des pièces qui viendront ou non s’ajouter par après ou…jamais.

Je me souviens, nous dit Sylvain étudiant en Sciences naturelles, avoir entendu parler de ce serment à mon arrivée à Loverval, tout au début lors des présentations de l’Ecole. Mais dans les années suivantes, nous n'en avons plus jamais parlé durant les cours (…) En prêtant ce serment, je me suis dit : voilà, Sylvain, tu peux être fier de ton parcours, maintenant, tu devras faire ton possible pour honorer les aspects du métier décrits dans ce serment.
Quant à Alisson enseignante en français-FLE, elle nous en parle aujourd’hui avec quelques mois de pratique derrière elle. Personnellement, je tente chaque jour, en tant que jeune prof de l’appliquer dans ma pratique. Ce serment a même motivé mon choix de filière ! (…) Comment me rendre utile auprès de mes élèves ? Comment développer mes compétences encore après la formation à l’école normale ? Comment aider CHAQUE élève (même les plus démotivés, les emmerdeurs, les décrocheurs,…) ? En essayant de répondre à ces quelques questions, je fais de moi un meilleur prof et je donne un vrai sens à mon métier. Je me lève tous les matins pour équiper chacun de mes élèves à affronter le monde.

Anne-Sophie, enseignante en lettres modernes, se souvient bien de cette prestation : le serment de Socrate a été pour moi, sur le moment, une banalité, mais aujourd'hui, il prend tout son sens dans ma pratique enseignante quotidienne. J’y repense souvent lorsque je donne cours. Parfois, il arrive que des élèves un peu plus difficiles nous posent des questions, nous demandent de l'aide et qu’on n’ait pas envie d'y répondre vu ce qu’ils nous font "subir" en cours. A ce moment-là, une partie du serment me revient en mémoire: "tous des élèves qui me seront confiés" et donc, je fais en sorte d'aider ces élèves malgré le fait qu'eux ne nous aident pas beaucoup. Là, je sens que ma tâche est accomplie.

Enfin, un autre Sylvain professeur d’histoire-géo depuis 3 ans nous reparle de son sentiment à l’époque : Pour moi, le serment de Socrate revêt plusieurs aspects. Premièrement, il ajoute un côté officiel à l'obtention du diplôme : le passage de la vie estudiantine à la vie professionnelle. Deuxièmement, lors de la prestation de ce serment, je me suis senti impliqué. Cela aurait été totalement différent je pense si j'avais reçu mon diplôme sans autres "formalités". Enfin, pour être honnête, je ne me souviens plus trop du texte aujourd'hui, mais je me souviens des idées principales. Cependant, je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'avoir ce serment en continu dans notre tête pour bien faire notre métier. En bref, ce fut surtout une étape symbolique et importante dans notre formation initiale.

Les quelques anciens étudiants interrogés restent sensibles à ce Serment en tant que valeur ajoutée et fil rouge de leur engagement dans la profession. Certains perçoivent bien aujourd’hui les enjeux de ce serment et tentent de le mettre en application (Alisson et Anne-Sophie). Ils ont reconstitué le puzzle qui les aide à donner du sens à leur pratique professionnelle. D'autres (les deux Sylvain) restent un peu plus évasifs sur l’impact réel de ce serment dans leur vie professionnelle. Un puzzle laissé peut-être en attente, mais dont ils reconnaissent l’aspect symbolique.
Pour les uns, ce Serment est porteur de vraies valeurs qui donnent sens à la pratique du métier. Ceux-là y voient une injonction fondamentale de la société vis-à-vis de son école : celle de l’égalité. Mais de quelle égalité parle-t-on ? L’égalité des chances, des moyens, des résultats ? La réponse est dans la vision qu’une société à de son avenir. Elle appartient au champ politique. Elle est ce qui, pour un enseignant, « vient d’en haut ».
Marqueur symbolique de l’entrée dans la profession pour les autres, le serment de Socrate interroge l’identité professionnelle dont se réclament les enseignants. Prononcer cette phrase suffit-il à faire entrer ceux-ci dans un Ordre, comme il existe un ordre des architectes ou des médecins ? Les enseignants forment-ils un corps d’experts au savoir pointu et qui a la main sur le « comment » ? Il faudrait pour cela que le métier sorte plus souvent de l’intuitif, de l’imitatif ou du  bon vieux bon sens pour se reposer sur un corpus scientifique partagé à l’intérieur et reconnu à l’extérieur. Ce n’est que dans ce contexte que cette prestation du serment sera autre chose que de l’idéalisme béat sans effets sur des pratiques plus réfléchies.
Le métier est à la croisée de ces deux questions. Que la société, le politique soient clairs et fermes sur les objectifs, c’est leur rôle… Et que les enseignants professionnels se réapproprient un espace de liberté sur les moyens pour y arriver… Pour tous… C’est leur responsabilité !

Marc Degand
Directeur des Départements pédagogiques de Mons et Loverval (Belgique)
HELHA (Haute Ecole Louvain-en-Hainaut)
 

Et
Xavier Dejemeppe
Enseignant (Helha)