Savoir travailler en équipe

Céline Walkowiak et Francis Blanquart

 

Petites discussions glanées le matin, dans le local photocopieuse du collège de Loos-en-Gohelle :

  • "J’ai reçu hier ton mail pour le cours inter de demain : ça me semble bien. J’ai trouvé quelques docs qu’on pourrait donner aux groupes d’excellence. Faut que je te les montre.
  • -D’accord, tu verras, j’ai mis la BD dont je te parlais dans ton casier. Je crois que pour les groupes les plus faibles, ça sera un bon support d’écriture. Par contre, la semaine suivante, je fais cours inter en 4ème. Il faudra voir qui prend l’heure de 3ème."

 

  • "Salut, on fait quoi ce soir en débriefing ?
  • -Je t’ai fait une liste d’élèves avec qui tu peux préparer le DS d’histoire de la semaine prochaine. Y’a Kimberley, Perrine et Julien qui vont retravailler leur rédaction avec moi. Et Isabelle voudrait travailler avec eux sur les émotions de lecteur, dans le cadre de notre séquence transversale sur les types de lecteurs."

 

  • "Bonjour, tu es dans ta salle aujourd’hui, Céline ? C’est pour savoir quand peut la laver.
  • -En première heure, oui, mais après on fait une table ronde au CDI avec les 3ème, puis je vais en salle pupitre, et je suis en projet dans la salle de Francis avec les élèves de l’option anti-décrochage. Cet après-midi, ce sont les CM2 qui viennent et on a réservé la salle d’étude, vu qu’avec la classe de 6ème, ça fait 50 gamins à gérer. D’ailleurs, ça me fait penser que je dois demander à la CPE si elle les encadre avec nous."

 

  • "Bonjour, vous avez vu l’organisation de la réunion parents-profs : Je suis dans votre groupe. Par contre, je n’ai pas encore eu le temps de te remplir le questionnaire que tu as envoyé à l’équipe sur la recherche info-documentaire. Ca va, si je te fais cela demain ?"

 

  • "Dis, t’en as encore pour longtemps, avec la photocopieuse ?"

 

Ces paroles sont celles des enseignants de l’équipe de la classe expérimentale avec laquelle nous travaillons depuis 2 ans. L’expérimentation avait au départ, pour objectif, de regrouper dans une même classe, et avec une même équipe d’enseignants, les différents changements de pratiques initiés par la mise en œuvre du socle commun. Concrètement cela se matérialise par deux heures supplémentaires à l’emploi du temps des élèves : une heure de cours interdisciplinaire, ce qui implique une réflexion d’équipe sur le contenu d’enseignement et une planification rigoureuse des interventions en binôme, voire en trinôme d’enseignants. Et une heure de débriefing, en fin de semaine, assurée par 4 adultes (2 enseignants, l’enseignante documentaliste et un assistant d’éducation) pour aider les élèves à faire l’analyse de leurs erreurs, pour les aider à apprendre leurs leçons et à préparer certaines évaluations ou pour améliorer certaines productions faites pendant la semaine.

Du côté de l’équipe enseignante, c’est 12 heures de formation ou de concertation par an. En vrac, nous nous sommes formés, parfois auto-formés, sur les stratégies d’apprentissage et de mémorisation, sur les théories de la motivation, sur le travail de groupe, sur l’évaluation formative, sur les tâches complexes et sur la construction de l’autonomie dans les apprentissages. Nous avons construit ensemble des projets interdisciplinaires, des évaluations transdisciplinaires, nous nous sommes confrontés à la recherche info-documentaire et aux difficultés de tri et de sélection rencontrées par nos élèves, aux différentes stratégies de lecture mobilisées dans telle ou telle discipline, à nos attentes en matière de correction orthographique ou de compétences d’oral. Nous avons échangé nos progressions annuelles, et nous avons discuté de nos approches disciplinaires de telle ou telle compétence transversale. Avec beaucoup de modestie et de prudence, mais aussi d’envie et d’intrépidité, nous avons osé, ensemble, faire autrement. Et y impliquer nos élèves, avec la conviction forte que nous ne pouvions pas faire plus de dégâts que nous n’en faisions déjà, et qu’il fallait voir de plus près comment ils apprenaient et ce qu’ils faisaient de nos enseignements, d’une discipline à l’autre.   

Pour les enseignants de la classe, c’est aussi la construction en équipe d’un bulletin qui porte un regard global sur un certain nombre de compétences transversales, permettant d’évaluer l’autonomie de nos élèves (comme le travail collaboratif, l’auto-évaluation, la posture de lecteur, la mise en œuvre de démarches scientifiques et technologiques, l’investissement dans les projets de la classe, ou dans des projets individuels comme la préparation de l’entretien d’histoire des arts, et la prise d’initiative au quotidien dans les dispositifs d’apprentissage proposés en classe). Et dans ce bulletin transversal, on conjugue les regards de l’équipe enseignante à ceux de la professeur documentaliste, de la CPE ou de l’assistant d’éducation référent de la classe) Et ce sont aussi des rencontres parents-équipe de professeurs, avec des groupes d’enseignants constitués d’un représentant de chaque pôle d’enseignement (Humaniste, scientifique, linguistique et vie scolaire), qui remettent en équipe aux parents ce bulletin transversal rendant compte de l’avis et des conseils formulés lors du conseil de classe qui a lieu juste avant. Ces réunions ont été plébiscitées par l’ensemble des participants (parents comme enseignants) et ont permis la rencontre 3 fois dans l’année avec la quasi-totalité des parents qui a répondu à l’invitation de l’équipe enseignante. Même les élèves ont trouvé que « c’était mieux comme cela, car on avait plusieurs avis en même temps ».

 

L’expérimentation concerne bien donc autant les élèves que les enseignants. Car finalement, apprendre à construire les compétences de nos élèves, c’est aussi, en quelque sorte, développer nos propres compétences d’enseignant, ou tout au moins, les interroger à la lumière des nouveaux enjeux de l’école.

 

Comment en sommes-nous arrivés là ? Il a fallu du temps, de la discussion, de l’argumentation certes, mais surtout des essais sur le terrain  et une analyse réflexive de ces essais, une très grande transparence dans les contenus et les pratiques d’enseignement. Et surtout un impact réel et mesurable sur les apprentissages des élèves. Car, pour convaincre un enseignant, rien de plus efficace que de lui prouver que cela va aider ses élèves.

 

Est-ce que tout a été simple tout le temps ? Non, certainement pas. Bien au contraire, la première année a été parfois difficile et tendue, notamment parce qu’interroger nos pratiques et essayer d’autres dispositifs de classe a parfois ouvert des failles dans lesquelles certains élèves se sont engouffrés sans scrupules. Notamment la pratique d’une évaluation motivante qui a fragilisé certains d’entre nous, parce qu’évaluer est un acte professionnellement délicat. Et que repenser ses pratiques d’évaluation, plus encore que les pratiques d’apprentissage, remet en cause tout un système de valeurs. Et que dire des doutes qui nous ont submergés tous à un moment ou à un autre, sur le bienfondé de notre démarche ? Aidons nous vraiment nos élèves et ne rend-t-on pas encore plus illisibles des savoirs déjà fragiles et abscons ? Car dans ce mouvement d’innovation, qui consiste à essayer d’articuler toutes les spécificités disciplinaires pour donner un sens aux apprentissages des élèves, quelle part de spéculation sur le fait que c’est mieux de faire ainsi que ce qu’on faisait avant !

On peut penser que faire tout seul dans son coin est plus simple. Mais c’est sous-estimer l’expertise des collègues et le regard différent et complémentaire qu’ils portent sur les difficultés d’élèves avec lesquels nous travaillons tous au quotidien; c’est ne pas croire que conjuguer nos efforts est plus efficace que travailler de façon juxtaposée aux même objectifs. C’est négliger le fait qu’un collectif est une force, dans l’éducation nationale comme ailleurs. C’est oublier que pour les élèves, nous ne sommes souvent qu’une succession de classes et d’horaires et que pour faire les aider à faire émerger nos spécificités disciplinaires, on a tout intérêt à s’y mettre ensemble.

 

 

Les enseignants sont à quelques exceptions près, les mêmes qu’il y a 5 ou 6 ans, puisque nous sommes une équipe assez stable. La grande différence, c’est que nous ne sommes plus une juxtaposition de personnalités et de contenus disciplinaires, mais que nous avons réussi à créer un collectif pédagogique fort, qui prenne en charge avec beaucoup plus de cohérence les apprentissages des élèves, quelles que soient les difficultés qu’ils rencontrent.  L’impact sur les élèves est énorme. Ils se sentent très épaulés par l’équipe enseignante, connus et reconnus, que ce soit pour leurs difficultés ou pour compétences. Donnons-leur la parole sur  les dispositifs de l’expérimentation, et ils expriment leur avis en termes de connaissance de soi et de stratégies, et de plaisir à travailler seul ou avec les autres. Ils ont adoré tous travaillé en projet et ont compris que les cours interdisciplinaires servaient « à faire du lien entre les matières ». 

Comme si retrouver le plaisir d’apprendre ne suffisait pas, ils sont 25 élèves sur 27 à avoir obtenu le DNB et 26 à avoir obtenu une orientation sur leur premier vœu.

 

Et que dire du plaisir d’enseigner ? Lors du conseil de classe du second trimestre de 3ème, le conseil de classe a récompensé la quasi-totalité des élèves. Ce qui signifie que l’ensemble de l’équipe enseignante était satisfaite de l’ensemble du travail des élèves. Une rareté dans l’histoire des conseils de classe, semblerait-il. Et une équipe d’enseignante qui souhaite, de son plein gré, généraliser l’expérimentation à une classe de 5ème et une classe de 4ème, avec ce que cela suppose de contraintes d’emploi du temps, notamment à cause des heures interdisciplinaires à assurer.

Maintenant que nous avons appris à travailler de cette façon-là, personne au collège ne semble remettre en cause notre démarche collective. Mieux, elle s’impose dans toute réflexion et une réunion en fin d’année sur la proposition des thématiques d’histoire des arts pour l’année suivante amènera tous les collègues à s’interroger sur les liens à faire avec des enseignements des autres disciplines, sur la maîtrise attendue de certaines compétences transversales, et sur les cours interdisciplinaires qui pourront être programmés pour aider les élèves à faire des liens.

Au collège de Loos-en-Gohelle, le métier d’enseignant a acquis une autre facette : savoir travailler en équipe et faire dialoguer les disciplines. Pour beaucoup, c’est même devenu une nouvelle valeur du métier d’enseignant. Un nouveau plaisir du métier.