Le collectif ? Pas si simple…

 
Après une première carrière dans la Recherche, diverses circonstances m'ont conduit à changer de parcours professionnel. Je me suis alors orientée vers le professorat des écoles. Outre un intérêt indéniable pour l'enseignement et le désir de transmettre et de partager, j'étais persuadée, et le demeure toujours, de l'importance de travailler en équipe, de fédérer, générer des collaborations autour de projet(s). C'est donc dans cet esprit que je commence à 35 ans révolus mon parcours d'enseignante du 1er degré.

Mes débuts dans l'Education Nationale se font en tant que remplaçante. Brigadière, je piaffe dans mon école de rattachement, impatiente de me retrouver devant une classe comme professeur des écoles diplômée cachet de L'Education Nationale faisant foi ! Après quelques remplacements éclairs, je suis affectée pour une longue période dans une classe de CP. Très bien accueillie par l'équipe enseignante, je ne suis pas "la remplaçante" mais une collègue à part entière. Bien intégrée à l'équipe, je participe aux débats et réunions au même titre que les autres enseignants de l'école. Mes collègues de cycle 2, ayant l'habitude d'avoir des progressions et des activités communes ou complémentaires, m'impliquent dans leurs réflexions et leurs projets. Je passe une belle année. A travers les nombreux échanges, au contact de l'expérience des collègues avec qui je collabore, j'apprends le métier.

L'année suivante, je suis nommée au 2ème mouvement sur un poste de direction, sans décharge, en maternelle 4 classes de ZEP ; j'ai une classe de moyenne et grande section. Forte de mon expérience professionnelle précédente, m'ayant permis d'avoir des responsabilités dans l'encadrement, j'accepte de faire fonction. Mes collègues m'aident au maximum et on se partage les réunions liées à la ZEP. C'est une année difficile mais passionnante.
Les rapports avec la mairie ne sont pas simples : il faut souvent batailler, ne serait-ce que pour avoir un ordinateur en état de fonctionner et pouvoir assurer ainsi l'administratif.
La gestion des ATSEM n'est pas facile car véritables gardiennes du temple, elles sont, pour certaines dans l'école depuis sa création. Les équipes sont passées, elles sont restées. Mémoire de l'école, du quartier, elles observent, comparent, commentent, jaugent et jugent. Si la collaboration avec la personne rattachée à ma classe est riche et fructueuse, d'autres font preuve d'un pouvoir de nuisance non négligeable pour une directrice-enseignante doublement néophyte : propos plus ou moins désobligeants voire méprisants vis à vis des familles, "guerre froide" entre ATSEM et personnes chargées du ménage, sentiment des plus anciennes de savoir mieux faire que l'(es) enseignante(s) et s'autorisant ainsi des interventions et initiatives inopportunes pour le fonctionnement de l'école.
Les relations avec les parents sont parfois très délicates. Il faut faire preuve de doigté. Bien souvent je suis prise à partie pour des choses qui ne sont pas de mon ressort. Ainsi des mesures de la municipalité concernant souvent la  cantine ou le périscolaire, peu ou mal comprises, aboutissent à l'arrivée de parents très agressifs pouvant aller jusqu'à la menace de coups. Pour beaucoup de familles, l'école apparaît comme une sorte de forteresse, inspirent des sentiments très contradictoires : respect, rejet, crainte, frustration. Une majorité de ces parents est en rupture plus ou moins violente avec l'école, il faut donc gagner leur confiance. Les moments propices au dialogue sont privilégiés et des matinées d'observation mises en place pour ceux qui veulent voir ce qui se passe  dans une classe.
Le travail avec les équipes du RASED et de la PMI est incontournable et se doit d'être régulier. D'une manière générale, les relations avec les différents acteurs de la ZEP sont chronophages et les institutions aident peu. Ces rencontres sont nécessaires et sont par ailleurs très intéressantes de par l'envie commune de faire évoluer les choses.

La fonction de direction en ZEP est donc très complexe et le travail d'équipe en est une composante indispensable. Il est multi-facette, car les acteurs sont nombreux et divers. C'est pour moi une année riche d'apprentissages, de rencontres, porteuse de multiples expériences mais épuisante. Etant sur liste d'aptitude je peux être titularisée sur la direction. Je suis tentée mais, en dépit des retombées et retours positifs perçus en fin d'année, je participe au mouvement. C'est réellement un poste très difficile pour une débutante dans le métier !

Nommée titulaire sur une direction de maternelle 4 classes sans décharge mais forte de l'expérience de l'année précédente, je prends mes fonctions pleine d'illusions et de bonne volonté. J'intègre une équipe au fonctionnement bien rodé, aux habitudes fortement ancrées : chacun travaille dans sa classe et le travail d'équipe est réduit au minimum obligatoire. Aussi suis-je accueillie avec une certaine circonspection et après une courte période d'observation la greffe ne prend pas. Les collaborations et relations avec la municipalité, les ATSEM, les parents, les collègues de l'élémentaire sont très bonnes. En revanche, au sein de l'équipe les relations se détériorent peu à peu. Je ne prends malheureusement pas assez tôt la mesure de nos divergences. La situation s'envenime jusqu'à conduire à un véritable rejet de la part des collègues. Leur animosité va jusqu'à tenter d'initier une cabale auprès des parents d'élèves, de chercher par tous les moyens à me mettre en défaut : rétention d'informations, opposition systématique, refus de collaborer et du travail d'équipe. Novice, je culpabilise de ne pas réussir à faire face. Je n'ai pas le recul nécessaire pour faire la part des choses entre ce qui relève de mon inexpérience, d'une certaine méconnaissance des "codes", d'une incompréhension et ce qui est du domaine de l'inertie voire de l'hostilité de la part des collègues. Je n'ose en référer ni à un conseiller pédagogique ni à mon inspecteur.
Découragée, écœurée, je suis prête à tout laisser tomber. Ma "carrière" d'enseignante est sauvée par l'arrivée de mon deuxième enfant. Pour le médecin un choix s'impose : ma grossesse ou mon poste ! Je ne finis donc pas l'année à l'école. Suite au mouvement où j'ai systématiquement évité tout poste de direction, je suis nommée sur un poste d'adjointe dans une des écoles élémentaires de ma commune. Je suis ravie !

  J'arrive dans cette nouvelle école, qui fait référence dans la circonspection, débordante d'entrain. L'équipe en place travaille ensemble depuis 1 voire 2 décennies. Je suis donc à leurs yeux et aux miens doublement une "bleue", mais l'ambiance est "familiale". Naïve, je ne réalise malheureusement pas assez vite que ma soif de bien faire les agace . Je parle trop, j'en fais trop au goût de certains. De plus dans cette école la notion de travail d'équipe est également un leurre. Il y a juxtapositions de points de vue ou simples adhésions aux propositions du directeur mais pas de réelle discussion ou collaboration. La pseudo-concertation sur les programmes 2008 souligne encore les divergences. Mes prises de position teintées d'idéalisme s'opposent à une certaine forme d'inertie, de fatalisme. Ma volonté de convaincre est prise pour de l'intransigeance, l'énergie pour défendre mes convictions pour du mépris. On ne me le pardonnera pas. Heureusement une de mes collègues de CM1 a une démarche parallèle. Nous mettons donc en place échanges de service, collaborations et projets communs. La synergie fonctionne bien et nous développons des projets avec des partenaires extérieurs, des collègues d'autres écoles. Mais face à nous se construit un mur d'incompréhension, procès d'intention et propos désobligeants. On est bien loin de l'esprit et du travail d'équipe.
Travailler par projets ne fait pas donc pas l'unanimité dans le corps enseignant, il n'est donc a fortiori pas toujours bien compris des parents. Ils sont parfois déconcertés par une approche pluridisciplinaire, déstabilisés parce que les élèves n'ont pas que de classiques exercices à faire et leçons à apprendre. Il faut donc réussir à les convaincre. Le meilleur moyen est de les rencontrer pour expliquer, s'accorder, travailler ensemble dans l'intérêt de l'enfant. Et quelle satisfaction lorsqu'à l'issue de rendez-vous a priori délicats, on vous dit qu'on ne regrette pas que son enfant soit dans votre classe, que grâce à la passion mise dans l'exercice de mon métier je leur donne envie d'apprendre. C'est ainsi qu'au fil des années se sont tissés des liens de confiance, d'estime mutuelle, d'un petit bout d'histoire commune avec des parents dont j'ai suivi plusieurs enfants.

La roue tourne, la configuration de l'école change, des classes ferment. Mon poste est supprimé ; après 8 ans  dans la même école,  je postule et suis affectée à un poste de titulaire ZIL. Ce choix de devenir une itinérante de l'éducation repose en fait sur deux points. Je souhaite bien évidemment continuer à partager le plaisir d'apprendre avec les élèves. Mais je désire travailler différemment, tester une nouvelle aventure, une nouvelle approche, une autre façon d'enseigner en m'affranchissant des  dysfonctionnements du travail d'équipe.
Le statut de remplaçante, n'est certes pas simple :  difficultés dans les relations avec les collègues,  manque de considération ou de respect de la part de certains parents. Le travail en équipe est de fait très rare. Mais cela me permet de continuer à évoluer, de voir d'autres fonctionnements et pratiques voire même de monter ou de participer à des projets, petits ou grands. Je vais à la rencontre d'autres écoles, d'autres élèves, d'autres équipes. Bref, je continue à avoir du plaisir à enseigner ... et ne désespère pas de trouver un jour une équipe à rejoindre!.
Sylvie Baud-Stef
Professeur des Ecoles

1 : Entre collégialité « contrainte » et pratiques « affinitaires » : Animation&Education, pages : 12-13, No 225