Cathy
A 7h30 en salle des professeurs, tout le monde est là, ensemble, autour de la table, autour des documents, cartoons, textes, idées. Chaud au cœur. Des professeurs et des AED qui ne travaillaient pas ce matin sont également venus en renfort. Il y a un peu d’anxiété, une touche de fébrilité, une calme détermination.
A 8h dans la cour, je m’adresse aux  élèves qui sont  rassemblés autour de leurs professeurs. Je leur donne des éléments d’information, je leur explique comment la matinée va se dérouler. Je me suis appuyée sur le document "Quelle pédagogie..."  Les élèves écoutent, silencieux.
De 8h à 10h, les professeurs échangent avec leurs élèves. Avec Pascal, mon adjoint, nous passons dans les classes. Je demande aux élèves s’ils vont bien. Les classes sont calmes, attentives aux échanges. Certains professeurs ont mis en place la technique du distributeur de parole et du secrétaire de séance. Un autre professeur a créé un mur  du recueillement où les élèves affichent des écrits. Un professeur d’EPS a échangé pendant une heure et demi avec sa classe. L’inquiétude de nos élèves de confession musulmane s’est pleinement exprimée avec beaucoup d’authenticité et d’émotion.
A 11h45 nous nous sommes tous retrouvés dans la cour, j’avais préparé un second discours plus général, en m’appuyant sur des textes que j’avais trouvés dans nos échanges sur la liste de diffusion. Et j’ai proposé de se recueillir autour d’une chanson française dont les paroles rappellent la situation que nous vivons, nous à l’école à parler avec nos élèves  des attentats. Cette chanson c’est Le Blues de l’instituteur de Grand Corps Malade. Un professeur de musique du collège me l’a proposée dimanche soir et en a fait un montage afin d’avoir la première strophe et la conclusion.  Les élèves l’ont écouté et à la fin, nous avons continué « naturellement » sur une minute de silence. En même temps, toutes les cloches des églises d’Avignon sonnaient. C’était très émouvant. On sentait le silence sur la ville.  Que tout était arrêté.
Je vous envoie les deux textes que j’ai lues et les quelques préconisations que j’ai faites aux professeurs.
Je retiens de cette journée un sentiment fort d’unité et de rassemblement dans le collège. Nous avons fait équipe, nous avons fait corps. Nous avons eu un seul incident du à un élève qui s’est mal exprimé et je viens de passer dans la classe de cet élève pour l’aider à se réintégrer. Là encore ce fut un moment fort d’échanges avec ces élèves de quatrième. 
J’ai reçu des messages de remerciement des professeurs parce que j’avais donné un cadre à cette journée. Le professeur des ULIS m’a dit que ses élèves ont compris les mots simples de mon discours et cela les a aidés à s’exprimer.  Je les ai remerciés en retour de la qualité du travail qu’ils ont mené avec les élèves. D’ailleurs deux demoiselles de sixième, Lilia et Chiara   ont demandé aux CPE de pouvoir continuer l’expression sur le mur en verre de la permanence. Il y a à présent l’affiche de la tour Effeil « peace and love sign » entourée de messages des élèves. Deux professeurs  d’HGEMC m’ont proposé de l’agrandir et de la faire perdurer jusqu’à Noël.  Je peux vous envoyer des photos si vous voulez.

Voici les paroles que nous avons gardées:

Allez entrez les enfants et arrêtez de vous chamailler,
Avancez dans le calme je sais que vous en êtes capables,
Asseyez-vous tranquillement, chacun sa place, ça y est,
Ecoutez-moi mais ce matin, n'ouvrez pas vos cartables.
On va pas faire de grammaire, de géométrie et de conjugaison.
On parlera pas de compléments d'objet et encore moins de Pythagore.
Ce matin pas de contrôle et personne n'aura raison.
Aujourd'hui aucune note et personne n'aura tort.

Les enfants écoutez-moi, je crois que je ne vais pas bien.
J'ai mal quand je vois le monde et les Hommes me font peur.
Les enfants expliquez-moi, moi je ne comprends plus rien.
Pourquoi tant d'injustice, de souffrance et de malheurs.
Hier soir une fois de trop j'ai allumé la télévision,
Sur les coups de 20H, c'était les informations.
Et tout à coup dans la pièce s'est produit comme une invasion,
De pleurs et de douleurs, c'était pire qu'une agression.
Hier soir l'actualité comptait beaucoup plus de morts,
Que de cheveux sur le crâne de Patrick Poivre d'Arvor.
C'est comme ça tous les jours un peu partout sur Terre.
Je crois qu'il fait pas bon vivre au Troisième millénaire.

Allez les enfants c'est déjà l'heure de la récréation,
Allez courir dans la cour, défoulez-vous, profitez-en.
Criez même si vous le voulez -vous avez ma permission.
Surtout couvrez-vous bien, dehors il y a du vent.

Mélanie
Bizarre impression chez moi quand j'ai pris mes élèves (ceux dont je suis PP, des 1ères STMG dans un lycée "normal" du 93) en milieu d'après-midi. Ils avaient, à les écouter, peu parlé des attentats ce matin, étant en groupes et en gestion, et souhaitaient le faire. Ils ne s'écoutaient pas plus que d'habitude (j'ai fini par instituer un bâton de parole alors que je pensais ne pas en avoir besoin) et je les ai même soupçonnés d'avoir en fait déjà parlé avec leurs profs du matin mais de vouloir passer un peu de temps à autre chose que la mise en place des oraux blancs de la semaine prochaine (oui, oui, je suis soupçonneuse... !) Mes élèves, quoi ! Pas différents de d'habitude...

Nous avons lu le poème d'Aragon, dans lequel ils ont repéré l'amour de Paris, la fierté de porter l'esprit de résistance... Le parallèle avec la situation actuelle a été fait assez facilement, et nous en avons aussi montré quelques limites. Je m'étais préparée à embrayer sur "guerre ou pas" et ce genre de questions, mais finalement, ce qui est venu, c'est : "doit-on répondre à la violence par la violence" (ils sont finalement aussi marqués par les attentats que par la "vengeance" opérée par la France en bombardant Raqqa hier)? et "si non, comment faire autrement?" Ce qui émergeait, ce n'était pas tant la peur ("on sait bien qu'on devra vivre avec...") mais le sentiment d'impuissance. C'est comme s'ils baissaient les bras : terroristes trop nombreux, trop cachés, trop prêts à tout... Je suis revenue à Meirieu, aux petits gestes, à l'espoir, à la résistance... La séance a ensuite été interrompue par le Proviseur adjoint qui venait à l'impromptu remettre les convocations... La vie de l'établissement avait elle aussi repris.
Ce que je retiens finalement, et c'est peut-être presque choquant, c'est que la vie a déjà repris, que mes élèves seront investis dans les initiatives prises par le Conseil de vie lycéenne (magnifique projet de Journée de la solidarité entre les peuples) mais comme ils auraient pu l'être ou l'étaient l'an dernier par le tournoi de foot au profit de je ne sais plus quelle assoc. Ils ont une force incroyable, mais sont déjà si désabusés !
Objectif de ma suite de l'année donc : redonner de l'espoir, faire comprendre qu'ils peuvent changer le cours des choses... Il y a du pain sur la planche !
Bon, ce témoignage fait un peu tache parmi les vôtres si émouvants, mais il donne une autre vision des choses, qui complète un peu le prisme de la réalité et de la diversité de nos classes.

Armelle

Mes CP avaient des choses à dire eux aussi. Il était nécessaire de bien resituer les choses dans le temps (c'était vendredi soir, maintenant c'est terminé même si on voit encore des images à la télé) et dans l'espace (c'était à Paris - même si une petite fille a affirmé avoir vu des morts de sa fenêtre, puis sur la plage...). Un petit garçon a vu sa maman pleurer, d'autres ont entendu leurs parents téléphoner à des amis parisiens. Plusieurs avaient regardé la télé mais sans pouvoir en parler avec un adulte.

Leurs remarques ont permis de faire émerger des idées importantes :
- des personnes ont tué beaucoup d'autres personnes

- il y a de la peur, et de la tristesse (nous travaillons actuellement sur les émotions, ils ont su faire le lien)
- il y a des gens très courageux qui en ont sauvé d'autres

- cela concerne tout le monde en France, tous les Français, même si on est "à moitié Français et à moitié d'un autre pays", comme beaucoup d'enfants de la classe.

J'ai ajouté que la minute de silence était respectée par de très nombreuses personnes, dans les autres classes de notre école, mais aussi dans toutes les écoles, les collèges, etc. Nous l'avons partagée en restant assis finalement plusieurs minutes sans parler, ceux qui le souhaitaient pouvaient dessiner, sur ce sujet ou sur un autre. Il y a eu un silence très respectueux.

 

AM

ce matin, en arrivant, beaucoup de remerciements de la part de collègues à
qui j'ai envoyé hier le lien du site des Cahiers et le doc élaboré avec
Sylvain (merci encore d'avoir proposé ce temps qui m'a permis de sortir de
la sidération et de mettre assez mes émotions de côté pour me permettre
d'être vraiment à l'écoute des élèves que j'ai vus ce matin)
plusieurs profs étaient là en renfort pour accompagner les collègues qui ne
se sentaient pas d'y aller tout seuls
je retiens trois mots de mes élèves de 3e : peur (parce quand même ...),
solidarité (celle du vendredi soir et celle du monde entier) et victimes
(celles d'ailleurs aussi)
pour les 5e, c'est le tri dans l'avalanche d'infos et de rumeurs dont ils
ont exprimé le besoin et les ramener toujours vers la communauté que nous
formons, c'est pas eux d'un côté et d'autres de l'autre mais nous tous
ensemble, on a quand même débouché sur la parole contre la violence et sur
le mot démocratie ... des moments forts
une image encore : la minute de silence (appelée moment de recueillement)
dans la cour, précédées de paroles de notre Principale, sans micro, écoutées
dans un grand calme et cette Marseillaise qu'elle lance ensuite et qui prend
de plus en plus d'ampleur, reprise par nos jeunes après quelques ricanements
de certains (ce sont des ados quand même !) qui se taisent vite
 

Alexandra

Je ne savais pas trop comment les choses allaient se passer dans mon collège ce matin, on n’avait pas eu de nouvelles de la direction. C’est une toute petite structure : 4 classes le matin, 4 l’après-midi. On n’est donc jamais nombreux en salle des profs. Du coup, à part la minute de silence prévue à midi, chacun était réduit à se débrouiller. J’ai juste expliqué à mes collègues que je comptais laisser les élèves parler, et m’adapter à leurs demandes.

Dans ce collège du 5e, très peu d’angoisses visibles ce matin, mais beaucoup de questions. Les élèves sont déjà très informés. Même si certains habitent le 11e, je n’ai entendu aucun témoignage personnel. Peut-être sont-ils restés en retrait pour l’instant.

Même déroulement avec mes deux classes du matin (5e et 3e) : je les laisse poser leurs questions, je laisse répondre ceux qui veulent y répondre, j’apporte des éclaircissement. Plus factuels, les 5e veulent surtout mieux comprendre ce qui s’est passé au Bataclan (ils n’ont pas du tout évoqué le Stade de France ou les autres fusillades). Ils se demandent qui peut faire ça, qu’est-ce qu’un djihadiste. Pas de mise à jour des plug-in de Flash, je n’ai pas pu leur montrer les animations du Monde. Les 3e sont plus « légalistes », ils veulent savoir précisément en quoi consiste l’état d’urgence et pourquoi on parle de guerre. J’ai insisté sur le fait que nous ne sommes pas en guerre, ce qui m’a bien semblé être aussi l’opinion majoritaire de cette classe, très mûre et informée. Dans les deux classes j’ai insisté sur la nécessité de prendre toutes les nouvelles avec prudence et de ne pas relayer sans vérifier.
Et au moment de sortir, deux élèves m’annoncent un nouvel attentat qui se serait produit pendant la minute de silence… Je leur ai conseillé de bien recouper leurs sources.
La minute de silence a été faite dans les classes, et dans le préau pour les élèves arrivant à midi.
Je n’avais pas mes 6e aujourd’hui, mais la principale m’a demandé d’aller les voir dans leurs cours pour leur annoncer que je pourrais en parler avec eux aux prochains cours. Je me demandais si c’était bien nécessaire de prolonger ça toute la semaine, mais finalement, si moi j’y ai passé toute la séance avec chacune de mes classes, j’ai vu que les autres collègues ont fait cet échange beaucoup plus vite et sont revenus au cours en 10 minutes. Ce sont donc les profs d’histoire-géo qui sont considérés comme les personnes ressources pour expliquer aux élèves tout ce qui se produit dans l’actualité.

J’ai été un peu étonnée de voir mes élèves finalement très sereins, calmes, curieux sans voyeurisme. Je m’attendais à plus d’angoisses. Peut-être est-ce lié au recrutement très spécifique de l’établissement (plutôt CSP +, très informés, parents hyper impliqués, donc élèves déjà bien débriefés et préparés à la maison ?) mais ça aurait pu jouer aussi dans l’autre sens (école des enfants du spectacle, donc particulièrement touchés par ce qui se produit dans une salle de spectacle, vu qu’eux-mêmes sont souvent en représentation).

Je vois mes 4e demain, mes 6e demain et jeudi, je verrai si l’ambiance évolue.

Florence
Avec tous nos échanges du week-end j'étais prête ce matin et je me suis
sentie  personne-ressource au collège pour essayer d'imaginer l'accueil
à 8h et la minute de silence. Finalement ce qui a été fait par la
plupart c'est un écrit préalable ( ressentis, questions, opinions, infos
dont on est sûr ou dont on doute..., émotions -- nous sommes près de
Paris, certains ont des proches qui ont vécu les attentats ) suivi de la
minute de silence ( à 11h) et annonce d'autres moments de recherches et
de discussions qui suivront. Nous voilà avec 600 écrits d'élèves , de
très courts à très longs et d'un extrême variété de contenus. Une équipe
continue à bâtir la suite, au vu de ces écrits, cet après-midi.
Bref, un travail collectif. Ceux qui ne se sentaient pas à l'aise dans
la classe de cette heure-là ont pu vivre ce moment avec un(e) autre
collègue qui n'avait pas cours et qui venait en renfort.
Je fais court faute de temps mais c'est une belle mise en oeuvre du
dernier dossier des Cahiers !

 

Jean-Pierre
Du lundi que j'ai vécu, je préfère n'en garder que la fin : dans ce collège en éducation prioritaire  où la population du collège est très largement d'origine immigrée, l'après-midi a été consacrée aux nouveaux programmes et, agréable surprise, dans une ambiance de travail sans récriminations ou aigreurs. Bilan final auquel beaucoup restent et on embraye sur la journée de discussion avec les élèves avec une minute de silence dans les classes: des élèves de Sixième émus ou apeurés, une atmosphère houleuse dans une classe de Quatrième, et trois élèves qui ont eu une attitude provocatrice ; tous les trois sont très difficiles d'ordinaire, et dans une spirale négative. Sinon, beaucoup d'écoute et des échanges de grande qualité quelquefois souligne un prof.
L'émotion a été aussi celle des enseignants, pas tant lors du briefing du matin qu'en journée, et aussi celle du principal : il dit simplement qu'il n'est pas si solide que ça sur ce plan. Ces mots non calculés confirment une attitude « de plain pied », pour ne pas dire égalitaire, partagée par son adjointe, une attitude qui à mon sens qui permet une cohésion. Sans doute est-ce un élément qui a permis aux élèves de sentir des adultes cohérents devant eux.
Une journée calme ? Pas vraiment : la tension était là, il y a quand même eu des accrocs, mais l'émergence, avec un début et une conclusion, d'une régulation collective minimale mais dense (pas de longues discussions entre collègues, plus d'écoute que de prise de parole).
Une journée de travail, d'éducation (et pour moi une journée d'apprentissage).

 

Esther

Beaucoup de récits dans mon lycée de banlieue ce matin, trop. Oncle, frère, couples d'amis, belle-soeur, témoins directs ou victimes, blessés ou décédés, des élèves présents au Stade de France qui en relatent la frayeur du moment. Une collègue avait donné ses billets pour le concert du Bataclan à des amis, ils sont morts... Bref, des récits glaçants, des émotions vives, plutôt à l'extérieur des classes.
Nous l'avions anticipé et étions très massivement présents dès 8h même en n'ayant pas cours, avec en particulier une présence au CDI pour accueillir la parole des élèves et recevoir ceux qui étaient pris par l'émotion. Les échanges en classe se sont souvent fait à deux collègues. Des paroles plutôt calmes, lucides, des questionnements. Peut-on parler de guerre ? Comment tout ça peut-il vraiment s'arrêter ? Les échanges sur la liste m'ont aidé moi aussi à trouver une posture, à être plus sereine notamment dans mon incapacité à apporter des réponses simples, en trouvant une façon d'y répondre quand même.
A midi l'ensemble des 1500 élèves et du personnel était réuni dans la cours pour la minute de silence. C'était une décision collective et plusieurs élèves en avaient été demandeurs. Juste avant cela le proviseur a fait un discours, et une élève a pris la parole. Elle a chanté cette chanson :
Attentat paris...Chanson très émouvante! 1000 likes pour cette merveilleuse chanson ???

            
    Attentat paris...Chanson très émouvante! 1000 likes pour...

     
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Pendant qu'elle chantait, le soleil est apparu après une matinée sous la grisaille, et une rose blanche balayait le sol au gré du vent au milieu de la cours.
Après la minute de silence, les élèves ont pris l'initiative de chanter la marseillaise.

 

Caroline

Avec mes 3e, puis mes 4e, puis mes 5e et enfin mes 6e, nous avons passé la matinée à échanger, à s'exprimer.
D. , notre indispensable prof doc, nous a accompagnés durant la première demi-heure de 4e et de 5e ; elle voulait légitimement être avec les élèves elle-aussi, partager, dialoguer. Les élèves ont de plus l'habitude dans notre  structure d'avoir plusieurs professeurs en classe, c'était tout naturel et éclairant.
Après les rappels de plus en plus brefs (au fur et à mesure des heures passées) des faits et de ce qu'ils en avaient compris, ainsi que leurs réactions libres et questions, je leur ai fait écouter le slam "Le blues de l'instituteur" de Grand Corps Malade (album Enfant de la ville), nous avons regardé et expliqué des dessins de presse et ils ont enfin dessiné ou écrit des textes, acrostiches ou slams. Je les rassemblerai, lorsqu'ils seront tous finis, sur de grands panneaux dans le couloir.
Ils ont tous été exemplaires, s'exprimant ou pas, toujours dans le respect. La minute de silence avec les 5e dont je suis PP a été très intense, mais bien trop courte de l'avis de tous : cela faisait moins de 30s, c'est sûr, malgré ce que soutient notre Principal, tout le monde a eu le même ressenti. Nous sommes même restés silencieux encore un peu après la fin du 2e carillon.
Ce soir, je suis fatiguée mais rassurée : l'espoir qu'on met dans nos jeunes n'est pas perdu.

 

JC
Je suis arrivé ce matin, inquiet, mais au clair avec non pas avec ce que je voulais faire, mais avec ce que je ne voulais pas faire ! J’avais la sensation d’être accompagné par toutes nos paroles, tous nos échanges, nos conseils, notre coréflexion si intense.
Dès l’arrivée, je suis tombée sur une jeune collègue, en larmes : tu sais, pour Charlie, j’étais à Bordeaux, c’était loin. Là, c’est tout proche ! Elle pleurait dans mes bras. Son seul souhait, c’était d’être avec moi pendant la première heure de cours (qui était libre pour elle). Bienvenue, viens, tout est fini maintenant, cet attentat est terminé.
Julie ensuite, jeune stagiaire de lettres, toute pâle. Il y a 8 ans, elle était encore mon élève. Quelques mots, merci pour les documents que tu m’as envoyés, ça va aller.
Et puis des parents d’élèves et leur fils, tôt le matin, un rendez -vous urgent. On vient de lui faire changer de classe car il vivait trop mal, il est maintenant dans la mienne. Ils étaient heureux, ravis de la manière dont on s’était occupé de leur enfant. Rémi avait écrit, le soir du premier jour, sur son tableau : c’est le plus beau jour de ma vie. C’était jeudi dernier.
Dans la classe, en première heure, les premiers mots furent difficiles. Ma gorge s’est nouée, les larmes sont venues, je me suis tu, j’ai respiré, et je me suis lancé. Les élèves étaient silencieux, attentifs, calmes. Peu de questions, nous devions organiser le temps de paroles en troisième heures, pour que toutes les classes soient au collège, ce n’était pas le moment.
Bénédicte était dans ma classe, elle notait avidement ce que je disais, ce que je faisais. J’espère qu’elle a entendu que l’émotion se gère aussi avec la voix : ralentir le débit, la faire résonner, calmement.
A la récréation, une collègue est venue me voir, urgente. C’est fou le nombre de jeunes femmes qui sont venues me voir !
«  Tu as les 5D ? Ils étaient sur Paris vendredi, pas loin des attentats. Ils n’ont rien entendu, mais on vu le déploiement de force, les voiture de police dont les sirènes hurlaient, les ambulances, et aussi les voitures qui fuyaient. Dans le train, ils ont été prévenus. Appelez vos parents ! Ils ont vécu la terreur des parents qui appelaient et qui attendaient ».
La classe a été exceptionnelle. Je leur ai dit que c’était un honneur et un bonheur d’avoir de tels élèves : ils ont parlé solidarité, qu’ils étaient stupéfaits du courage et des décisions des collègues qui les avaient accompagnés, qu’ils avaient été protégés, et qu’ils étaient éperdument reconnaissants. Demain, quelques collègues vont recevoir de l’affection, beaucoup.
Je n’ai pas donné la parole, un gamin était à côté de moi, un crayon en main et notait les demandes. Ses camarades lui faisaient un signe discret, il notait, il distribuait, c’était simple. Ils se sont pris en main, ils étaient sujets.
J’ai passé une heure sidérante, mais cette fois-ci, ce n’était pas la violence, c’était leurs paroles, belles et intelligentes. Je m’étais promis de prendre beaucoup de notes, pour pouvoir me souvenir, et je n’ai rien pu noter ou presque.
L’heure s’est terminée, je les ai remerciés encore, et tout à coup un élève a dit : on a oublié la minute de silence ! Pris par l’humain, par la douceur du moment, je l’avais oubliée ! Le principal, qui aidait une jeune collègue dans la salle d’à côté, l’avait oublié lui aussi !
Alors, on a fait une courte minute de silence, après la sonnerie, dans un silence époustouflant mais surtout, confiant. Je n’ai jamais ressenti une telle sensation en classe, un groupe apaisé, heureux d’être là, ensemble.
Je crois que notre travail du week end avec les copains du CRAP Cahiers pédagogique a aidé beaucoup de monde, j’ai eu de nombreux retours. Il a aidé nos élèves. Il nous a aussi beaucoup aidés. Plus que ça, le groupe a été un accompagnant interne fort, étayant. Je ne m’attendais à rien, j’étais prêt à tout.
Comment dire, après ces jours atroces, que j’ai peut-être passé une des plus émouvantes, une des plus lumineuses journées de ma carrière !Cathy
A 7h30 en salle des professeurs, tout le monde est là, ensemble, autour de la table, autour des documents, cartoons, textes, idées. Chaud au cœur. Des professeurs et des AED qui ne travaillaient pas ce matin sont également venus en renfort. Il y a un peu d’anxiété, une touche de fébrilité, une calme détermination.
A 8h dans la cour, je m’adresse aux  élèves qui sont  rassemblés autour de leurs professeurs. Je leur donne des éléments d’information, je leur explique comment la matinée va se dérouler. Je me suis appuyée sur le document "Quelle pédagogie..."  Les élèves écoutent, silencieux.
De 8h à 10h, les professeurs échangent avec leurs élèves. Avec Pascal, mon adjoint, nous passons dans les classes. Je demande aux élèves s’ils vont bien. Les classes sont calmes, attentives aux échanges. Certains professeurs ont mis en place la technique du distributeur de parole et du secrétaire de séance. Un autre professeur a créé un mur  du recueillement où les élèves affichent des écrits. Un professeur d’EPS a échangé pendant une heure et demi avec sa classe. L’inquiétude de nos élèves de confession musulmane s’est pleinement exprimée avec beaucoup d’authenticité et d’émotion.
A 11h45 nous nous sommes tous retrouvés dans la cour, j’avais préparé un second discours plus général, en m’appuyant sur des textes que j’avais trouvés dans nos échanges sur la liste de diffusion. Et j’ai proposé de se recueillir autour d’une chanson française dont les paroles rappellent la situation que nous vivons, nous à l’école à parler avec nos élèves  des attentats. Cette chanson c’est Le Blues de l’instituteur de Grand Corps Malade. Un professeur de musique du collège me l’a proposée dimanche soir et en a fait un montage afin d’avoir la première strophe et la conclusion.  Les élèves l’ont écouté et à la fin, nous avons continué « naturellement » sur une minute de silence. En même temps, toutes les cloches des églises d’Avignon sonnaient. C’était très émouvant. On sentait le silence sur la ville.  Que tout était arrêté.
Je vous envoie les deux textes que j’ai lues et les quelques préconisations que j’ai faites aux professeurs.
Je retiens de cette journée un sentiment fort d’unité et de rassemblement dans le collège. Nous avons fait équipe, nous avons fait corps. Nous avons eu un seul incident du à un élève qui s’est mal exprimé et je viens de passer dans la classe de cet élève pour l’aider à se réintégrer. Là encore ce fut un moment fort d’échanges avec ces élèves de quatrième. 
J’ai reçu des messages de remerciement des professeurs parce que j’avais donné un cadre à cette journée. Le professeur des ULIS m’a dit que ses élèves ont compris les mots simples de mon discours et cela les a aidés à s’exprimer.  Je les ai remerciés en retour de la qualité du travail qu’ils ont mené avec les élèves. D’ailleurs deux demoiselles de sixième, Lilia et Chiara   ont demandé aux CPE de pouvoir continuer l’expression sur le mur en verre de la permanence. Il y a à présent l’affiche de la tour Effeil « peace and love sign » entourée de messages des élèves. Deux professeurs  d’HGEMC m’ont proposé de l’agrandir et de la faire perdurer jusqu’à Noël.  Je peux vous envoyer des photos si vous voulez.

Voici les paroles que nous avons gardées:

Allez entrez les enfants et arrêtez de vous chamailler,
Avancez dans le calme je sais que vous en êtes capables,
Asseyez-vous tranquillement, chacun sa place, ça y est,
Ecoutez-moi mais ce matin, n'ouvrez pas vos cartables.
On va pas faire de grammaire, de géométrie et de conjugaison.
On parlera pas de compléments d'objet et encore moins de Pythagore.
Ce matin pas de contrôle et personne n'aura raison.
Aujourd'hui aucune note et personne n'aura tort.

Les enfants écoutez-moi, je crois que je ne vais pas bien.
J'ai mal quand je vois le monde et les Hommes me font peur.
Les enfants expliquez-moi, moi je ne comprends plus rien.
Pourquoi tant d'injustice, de souffrance et de malheurs.
Hier soir une fois de trop j'ai allumé la télévision,
Sur les coups de 20H, c'était les informations.
Et tout à coup dans la pièce s'est produit comme une invasion,
De pleurs et de douleurs, c'était pire qu'une agression.
Hier soir l'actualité comptait beaucoup plus de morts,
Que de cheveux sur le crâne de Patrick Poivre d'Arvor.
C'est comme ça tous les jours un peu partout sur Terre.
Je crois qu'il fait pas bon vivre au Troisième millénaire.

Allez les enfants c'est déjà l'heure de la récréation,
Allez courir dans la cour, défoulez-vous, profitez-en.
Criez même si vous le voulez -vous avez ma permission.
Surtout couvrez-vous bien, dehors il y a du vent.

 

 

Rebond 1

Ce lundi matin, mes 3 collègues et moi avions décidé à 8h30 d'accueillir les presque 100 élèves de l'école primaire et de les écouter, simplement. A 11h, nous devions nous retrouver pour la minute de silence, au retour de la récréation.

Finalement, tout s'est passé différemment. La mairie avait invité, dès le dimanche soir, tout le village dans la cour de l'école, pour vivre cette minute de silence au plus près des enfants, à 12h devant les emblèmes de la République. A l'annonce de cette décision, je me suis inquiétée du plan Vigipirate et de l'entrée de tant d'adultes extérieurs à l'école... Mais passée cette première peur, je ne l'ai pas regretté.

C'était finalement un beau moment de solidarité, qui a ému les enfants les moins concernés ou les plus jeunes par le nombre de participants et la solennité du moment.

Ce n'est que mardi que nous avons pu reparler calmement sur le vécu des derniers jours et expliquer, vérifier les représentations de ceux qui ont souhaité parler. Un besoin de dessiner, de s'exprimer est ressorti. Ce sera donc l'objet d'une partie de la matinée de demain... Des traces que je pourrai partager avec vous...

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