J’ai travaillé presque vingt ans comme professeure de philosophie au lycée J.Brel de la Courneuve et ai dû cesser suite à la maladie de Parkinson. Cela ne m’empêche pas de réfléchir la question de l’enseignement et de la « publicité » qui en est faite, c’est-à-dire le discours public qui est tenu par la presse sur l’école. Bien sûr il ne s’agit pas de généraliser mais tenter de rompre la loi  sacrée qui consiste à confondre le travail d’investigation et la recherche de l’audit. On a employé le terme d’anti-héros à propos des radicalisés. Je préfère parler de la fabrique des anti-héros.
Il n’y a pas qu’une raison à cet état de fait.
Un discours de culpabilisation des professeur(e)s
En lisant les articles dans la presse, il ressort une image assez dévalorisante, une fois de plus, des enseignants. On leur reproche, parmi plusieurs griefs, de ne pas y connaître « grand-chose » aux questions relatives à l’Islam. Certes un professeur de mathématiques n’est pas dans la nécessité de connaître tout sur l’Islam, alors qu’on le concèdera moins volontiers aux disciplines des « sciences humaines ». Les journalistes ne connaissent peut-être pas toujours leur sujet. Cela fait plusieurs années qu’en effet, le programme d’histoire consacre une partie de ses chapitres à  l’Islam.  Avant toute chose, il serait indispensable de dire à la presse que l’approximation n’est pas une qualité, et que c’est porter atteinte au travail de plusieurs centaines d’enseignants que de leur retirer une motivation pour leur travail, qui est loin de consister seulement dans l’application aveugle de leurs cours.
Et un discours de culpabilisation de la pauvreté.
L’équation banlieue-délinquance est assez classique elle aussi. Comment trouver un discours juste à tenir auprès des élèves quand on leur renvoie sans cesse leur échec dans un  jeu de miroir ? Il ne s’agit pas de nier certains faits, il faut aussi freiner les discours qui contribuent à forger l’anti-héros.  Ce discours négatif contribue à rendre difficile l’autorité des professeurs.
Il tend aussi à assimiler banlieue et Islam. Pauvreté et radicalisation. Ce déterminisme a depuis longtemps montré ses limites. Il est surtout la manifestation d’un différencialisme raciste.
Pour la mise en valeur du travail de chacun : le souci de reconnaissance.
Cela vaut aussi bien pour les élèves que pour les enseignants. Il faut mettre la presse face à ses responsabilités quand le discours provoque une généralisation abusive. Un travail de valorisation au contraire s’impose pour un travail qui aujourd’hui est le moins reconnu si on compare avec les autres pays européens .

Pourquoi ce refus de la règle et le goût pour l’ostentatoire vestimentaire chez les élèves ? : un mélange de mode et de tradition. Un présent replié sur le passé. L’école-défoulement.
-  Un refus d’appartenance à un monde et des valeurs que leurs parents ont subi
- Une appartenance fantasmée à des valeurs « rêvées » : la famille, le « bled »
- L’importance du collectif et une méfiance vis-à-vis de « l’individu », d’où peut-être le rejet du prof, seul dans sa classe, symbole de l’individualisme.
- Imaginaire lié au religieux de la pureté et la peur du « sale »…Voir les pratiques d’ablution, le henné, les parures
- Un rapport de vénération au texte religieux et à l’inverse le refus de certains textes
- Une culture de la différenciation : hommes-femmes, les rites autour de la puberté (avant et après)
- Le poids de la dot et de l’héritage. Poids des traditions
Il ressort le poids d’un passé sur le présent, et intervenir sur ce passé est ce qu’il y a de plus complexe. On vient de le dire : ce passé est en quelque sorte fossilisé et vouloir en contester le bien-fondé risque de soulever une violente contestation.  Il est donc peu prudent de vouloir tout réglé par la simple connaissance, compte-tenu de la force de l’imaginaire.  C’est ce que l’on appelle l’idéologie.
Inutile d’insister et de mettre à nouveau à la marge – même pour le valoriser – l’Islam. Ou alors mettre en place une discussion sur la religion dans le cadre d’un projet scolaire ou d’un cours, peut se justifier. Il faut en revanche, s’immerger quelques temps dans une réflexion sur cette religion qui ne s’en tient pas qu’à un engagement personnel du croyant. L’islam développe des valeurs, un rapport au monde qui lui est propre. Par exemple le « je » chrétien est-il le « je » de l’Islam, et y-a-t-il seulement un je ?
C’est plutôt sur la question du sens et du non-sens qu’il faut mettre en place une réflexion.
Ce serait mentir que de faire croire aux élèves que tout a du sens. IL faut faire affronter aux élèves le non-sens. La littérature, le cinéma, mais aussi les informations quotidiennes, sont largement exploitables. Il ne suffit pas de dire aux élèves qu’il faut mettre en place du sens, il faut aussi qu’ils repèrent l’insensé, l’irrationnel le déraisonnable,  le détectent pour ne pas en être victimes. L’élève est dans un rapport fusionnel au monde. Grandir c’est prendre du recul, se séparer : se séparer  de ses affects, de ses certitudes. Provoquer autrui, par des mots, des attitudes, est loin d’être un comportement acceptable. Que faire alors ? Citer la troisième République ne nous fera pas progresser. Enseigner des préceptes non plus. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. Conduire à la connaissance est le propre de l’école. Mais il faut accompagner cette connaissance, pour qu’elle ne soit pas opaque…et n’avoue pas derrière son impuissance une impossible autorité.
Qui fait autorité ? L’auteur. Pas en tant qu’individu, mais en tant que celui qui écrit ses réflexions…ou du moins en produit. Il faut sortir de l’univers du « jeu » et donner aux élèves l’attention sérieuse qu’ils attendent.
Certes enseigner ce qu’est l’Islam se pratique déjà dans les cours d’histoire, de littérature ou de philosophie. Ce n’est pas la connaissance qui fait défaut. Ce n’est pas non plus la pratique de la discussion qui est déficiente. Cela fait de nombreuses années que projets et réformes ne cessent de promouvoir la discussion et l’espace citoyen. La perte d’autorité, certes est en déclin du fait de la faiblesse des Institutions, à l’autorité faiblissante du fait d’un jeu  de communication.
Je me demande si ce n’est pas l’absence de contenu significatif pour un élève qui le conduit à l’indifférence. Certes il y a l’OCJS. Mais beaucoup d’élèves s’en préoccupent peu, cette discipline ne donnant lieu à aucune réelle évaluation. Il ne s’agit pas de construire de nouveaux lieux dans l’école mais de s’approprier ce qui se fait.
Complexité administrative
J’estime qu’il y a des professeurs porteurs de projets et que les administrations, ne les prennent pas au sérieux et contribuent – inconsciemment- à leur perte d’autorité...

L’imaginaire de l’école
Cette emprise d’un passé reconstruit de façon rigide et fantasmé ne peut pas être ébranlé sans quelques détours. Le pouvoir de l’imagination attend en retour le poids de l’imagination. Au poids de l’idéologie, il faut opposer celui du désir. Ce n’est pas une nostalgie pédagogique, ce n’est pas la référence à un pays européen. Non.
C’est la formulation de ce que les profs attendent avec leurs élèves : la fin du mortifère. La fin des anti-héros.
Donner aux professeurs le droit de formuler leurs projets et admettre l’échec comme constitutif de l’école. Sortir d’une logique des moyens et des objectifs. Il y a une diversité d’élèves, pourquoi pas une diversité d’approches, dépassant le cadre expérimental.
Donner aux élèves  la parole, oui mais pas pour leur confesser l’impuissante parole du prof….
Cela signifie créer un réel espace de partage d’idées.
Rendre l’autorité aux profs c’est croire en eux.