Quelle pédagogie pour aborder les attentats du 13 novembre 2015 à Paris avec des élèves ?
Synthèse d’un travail réalisé le 14/11/15 par un collectif d’enseignants du primaire à l’université (ICEM34/CRAP-Cahiers Pédagogiques/…), Sylvain Connac Pour l'ICEM34 et PIDAPI, Roseline Ndiaye, Présidente du CRAP-CahiersPédagogiques, Jean-Charles Léon, Emilie Kochert, Jérome Train, Cyril Lascassies,...

Eléments de précautions :
Ce qui change par rapport aux événements de janvier 2015 : il ne s’agit pas de reprocher des faits aux victimes. Ecrire, défendre la liberté, se détendre en buvant un coup, manger par gourmandise, regarder un match sportif, écouter un concert.... ne sont pas permis par les extrémistes auteurs de ces attentats.
- Clarifier la notion de « guerre » : ne pas parler d’une « guerre en France », mais le mot est utilisé par les politiques et les médias. Nous ne sommes pas en guerre sur notre sol, les avions ne vont pas venir nous bombarder, mais quelque chose se passe, qui est de l’ordre d’une violence aveugle insupportable. Les terroristes ne sont pas une armée. Ce qui s’est passé sont des actes de guerre. Même si c'en est une, les accords de la Convention de Genève (12 août 1949) fonctionnent : elles qualifient les actes du 13/11/15 comme des violations graves puisque « une des parties en conflit s'en prend volontairement à des objectifs (aussi bien humains que matériels) non militaires. » La Charte de Londres les désigne et les condamne comme des « crimes de guerre. »
- Ce qu’est un état d’urgence : L'exécutif et les forces de police pourront désormais : Interdire la circulation des personnes ou des véhicules. Instituer des zones où le séjour des personnes est réglementé. Interdire l'accès à un département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics. Assigner à résidence toute personne dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre public. Ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature. Interdire les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre. Obliger les propriétaires d'armes à les remettre aux autorités. Autorise les perquisitions à domicile de jour et de nuit. La prise de mesures pour assurer le contrôle de la presse et des médias.
- Types de réactions sensibles : les propos qui amalgament le monde musulman à ces terroristes et les propos qui tendent à se réjouir de ces actes (« Les Français l’ont bien mérité, ils n’avaient pas à attaquer »). Or, la violence n'appelle pas la réflexion, c'est juste pour abrutir les autres. De plus, après les terribles attentats en Norvège, le premier ministre avait fait une déclaration (de mémoire) : "Oui le coupable sera très sévèrement puni, il sera puni par plus d'ouverture dans notre société, plus d'entraide, plus d'intégration etc..." Il s’agit donc de continuer à parler tolérance et travailler sur l'importance de vivre ensemble.
- Les propos des élèves et l’avis de leurs parents ou proches. Des actions de réflexion avec les parents peuvent aussi s’avérer importantes. Pour certains adolescents, les réseaux sociaux ont plus de poids que la famille. Il s’agit alors de réfléchir avec les jeunes sur la compréhension des images et vidéos. (Un lien pour des ressources à ce sujet : https://t.co/BRBlTDmEST )

Proposition de structuration du moment de parole avec les élèves/étudiants :

Tout le monde peut se trouver dans un empêchement de penser, dans du réactionnel difficile ou impossible à gérer, enfants comme adultes. Il est donc conseillé de se préparer en professionnel avant d’arriver devant les élèves, en anticipant ce que l’on va leur proposer.

1 - Rappeler les faits : les lieux d'attentat, le nombre de morts et de blessés, l'état d'urgence (sa nature), ce que l'on sait des auteurs présumés de ces crimes (ou si l'on en sait rien) - Utiliser des mots simples (le terrorisme, c'est tuer pour faire peur. Ces terroristes tuent aussi des musulmans). Etre dans le factuel avant d'éventuellement entrer dans le philosophique.
Exemple de rappel des faits : « Les attentats du 13 novembre 2015 en Île-de-France se sont passés le soir. Il y a eu des fusillades et des attaques-suicide à Paris (dans des rues, des terrasses de bars et restaurants, une salle de spectacle (Le Bataclan)) et des explosions autour du Stade de France, à Saint-Denis, pendant le match amical France-Allemagne. Ils ont été revendiqués par l'organisation terroriste "État islamique". Dimanche soir, le bilan provisoire fait état de 129 morts et de 352 blessés (dont 99 très graves). Sept terroristes sont morts. Ce sont les attentats les plus meurtriers en France depuis la Seconde Guerre mondiale. En 2004 (le 11 mars), Madrid avait déjà dû faire face à de tels attentats. Ils avaient causé la mort de 191 personnes. Les sorties et voyages scolaires sont interdits toute la semaine (jusqu’au 22/11). »

2 - Organiser un espace de parole sécurisé : "On ne se moque pas, on écoute celui qui parle, on a le droit de se taire, la parole est donnée en priorité à celles et ceux qui ont le moins parlé." La prise de parole peut être symbolisée par un bâton de parole. Ce cadre rigoureux permet de prévenir les contagions émotionnelles. Il n’y a pas de débat. Il s’agit de mettre des mots sur des émotions et, éventuellement, d’apporter des réponses à de questions factuelles. Le but n’est pas de répondre aux arguments énoncés, simplement de permettre un espace d’écoute mutuelle et respectueuse. Une personne est plus riche que ce qu’elle énonce et tenter de la forcer à changer d’avis risque d’alimenter l’intensité de son avis. Donner et recevoir la parole, toute la parole, en la structurant et en évitant la compulsion. L’adulte reformule tout ou partie des idées émises par les élèves. En fait, l’intention est de laisser la parole circuler jusqu'à ce que la classe soit prête à se mettre au travail.

3 - Dire également que l'événement n'est arrivé qu'une fois, alors que la répétition des images à la télévision lui donne une durée apparente bien plus longue qui peut laisser croire aux enfants et aux adolescents qu'il est encore en cours.

4 - Rassurer sur la sécurité de l'espace dans lequel on se trouve. L’école est un lieu de paix. Les adultes sont là pour en être garant, le faire vivre et perdurer. Ce qui s’est passé est heureusement très rare en France. Il ne s’agit pas d’une « guerre. »

Pour la minute de silence :
• Il s’agit d’un temps de recueillement (un temps de recentrage sur "ce qui se passe en dedans")
• Elle ne peut pas durer 1’ mais 20-25’’
• Elle s’organise dans un espace sécurisé (un réfectoire n’en est pas un)
• Elle s’organise au sein d’une classe (un groupe restreint qui a une histoire et se connaît)
• Ne pas craindre d’adapter cette minute aux conditions ; l’enseignant doit avoir à l'esprit que l'objectif est de retourner au travail avec un groupe apaisé.

Quelques textes de positionnement éthique

Le texte que Ph. Meirieu a adressé à notre ministre :
« Nous savions que la vie était fragile, que l'humain c'était par moments et que la démocratie était menacée par les forces archaïques qui habitent encore le monde. Nous savions que, face à la vacuité de nos modèles économiques fondés sur la consommation compulsive, notre occident peinait à offrir un autre idéal que l'assujettissement aux intégrismes. Nous savions que tout ce qui nous tient à cœur est mortel et que l'obscurité absolue peut, un jour, faire oublier l'espoir de toute lumière... Que cette nuit terrible où nous avons éprouvé la terreur de la pénombre, nous rappelle notre fragilité et notre finitude. Qu'elle renforce ainsi notre détermination à prendre soin de toute vie, de toute pensée libre, de toute ébauche de solidarité, de toute joie possible. Prendre soin de la vie et de l'humain, avec une infinie tendresse et une obstination sans faille, est, aujourd'hui, la condition de toute espérance. Sachons qu'un seul sourire échangé, un seul geste d'apaisement, aussi minime soit-il, peut encore, contre tous les fatalismes, contribuer à nous sauver de la barbarie... »

Texte à destination d’une équipe éducative :
Vendredi soir, au cœur de la capitale Paris et aux alentours du stade de France où se déroulait un match de football amical France-Allemagne, ont eu lieu une série d'attentats qui ont tué plus de 120 personnes et en ont blessé plus ou moins grièvement plusieurs dizaines d'autres.

Ces actes, commis par des personnes dont l'esprit a été obscurci et aveuglé par des discours irrationnels de haine, sont condamnés :
– par l'ensemble des responsables des différentes religions et spiritualités présentes sur le territoire de notre pays,
– par l'ensemble des dirigeants de tous les partis politiques français,
– par des dizaines de personnalités (chanteurs, sportifs, cinéastes, etc.) interrogées par les médias,
– par la quasi-totalité des gouvernants à travers le monde, quelle que soit leur « couleur » politique,
– et, bien sûr, par tout homme et toute femme vivant en France, que l'annonce de tels actes terroristes meurtriers remplit d'horreur...

Ce matin, nous prenons d'abord le temps de penser à toutes celles et ceux qui ont été victimes de ces actes odieux, alors même qu'ils participaient à un spectacle de musique ou buvaient un verre avec des amis à la terrasse de restaurants ou cafés. Nous nous associons à la peine de leurs familles et amis, touchés dans leur cœur par la mort ou les blessures de leurs proches ou de leurs copains et copines.
Mais si notre pays est aujourd'hui victime de ce terrorisme qui croit agir au nom de Dieu, nous devons également avoir une pensée pour celles et ceux qui, depuis plusieurs mois, ont été touchés dans d'autres lieux de la planète par des actions terroristes identiques : en Syrie, en Irak, au Liban et au Proche-Orient, au Nigéria, au Mali, en Afghanistan, au Pakistan et dans tant d'aurtres pays d'Afrique et d'Asie.

Sans doute pouvons-nous aussi ressentir ce matin d'autres émotions telles que :
– la peur d'être un jour touchés nous-mêmes par une telle folie meurtrière,
– la colère face à de telles monstruosités,
– la tristesse face à ces assassinats,
– le dégoût devant de tels actes barbares.

Il est peut-être important que nous passions quelques minutes, un quart d'heure par exemple, au début de cette journée, pour exprimer ces émotions par des mots, des poèmes, des dessins,...Car exprimer ses émotions permet aussi à notre esprit de prendre ensuite le recul nécessaire à la réflexion, afin de ne pas tomber dans les réactions irréfléchies ni céder aux amalgames. Nous pourrons aussi, pendant ce temps, écrire ou dire toutes les questions qui nous viennent à l'esprit. Par contre, aucun débat ne sera entamé aujourd'hui sous le coup de ces émotions. Mais les questions que vous poserez oralement ou par écrit seront examinées dans les jours à venir.

Et après : idées de discussions à visées démocratique et philosophique
- Qui donne les lois? Quelles sont-elles?
- Que veut dire être coupable ? La culpabilité est le premier ressort.
- Qu’est-ce que le mal?
- La liberté d'expression est aussi une liberté d'action.

Quelques images pour susciter des échanges

Ces images ont été emprunté pour permettre le travail à différents blogs et sites, sur lesquels vous pourrez les retrouver pour un usage de classe.

Un mur Padlet vous est proposé par ProfDoc

D'autres dessins sont là

Rebonds 5

Merci pour ces conseils très précieux. Voici de mon côté le résultat du petit travail de ma plume sur ce drame. J'ai appelé cette histoire 'le chagrin du drapeau'. Retrouvez là ici avec photos et illustrations http://epanews.fr/profiles/blogs/le-chagrin-du-drapeau-hommage-aux-victi.... A bientôt

Quelques remarques personnelles et non exhaustives sur ce que les enfants et adolescents peuvent ressentir :

Nos réactions dépendront du niveau dans lequel nous enseignons. Évidemment, nous n’agirons pas de la même façon en maternelle, en collège ou au lycée. Chaque âge développe une problématique différente face à ces événements :

- les petits interrogent le monde qui leur est proche. Pour eux, ce qu'ils voient à la télévision, ce qu'ils entendent est proche d'eux : est-ce que je suis en sécurité dans le monde dans lequel je vis ? Mais il faut noter que ce monde n’a pas la même dimension que celui d’un adolescent ou d’un adulte. Oui, dans son environnement appréhendable, l’enfant est en sécurité. À l’école, nous sommes en sécurité et nous veillons sur vous.- Mais, les petits ne peuvent pas prendre de distance avec ce qu’ils voient et entendent à longueur de journée. Est-ce que l’événement a eu lieu une fois ? plusieurs fois ? Est-il terminé ? Il faut les rassurer, leur dire que c’est fini, et que ça a eu lieu une fois.- De plus, l’événement impensable peut éveiller autre chose qui  n’est pas en lien direct. L’angoisse des parents, le désarrois des adultes peuvent être culpabilisants pour le petit qui n’a pas les moyens conceptuels pour mettre des mots et des pensées. L’impensable et l’impensé se rejoignent, comme deux éléments pas encore pensés, potentiellement porteurs d’une culpabilisation d’eux-mêmes. Il faut leur dire qu’ils n’y sont pour rien, que d’autres personnes ont fait ces actes abominables.- L’adulte peut être anxiogène s’il n’est pas maître des émotions qu’il ressent, mais une trop grande prise de distance peut aussi être problématique, en niant, implicitement, le caractère dramatique de l’événement. La difficulté sera de gérer ses émotions, tout en ne les niant pas.

Pour les plus grands :- il faut les faire parler et il ne pas parler pour eux. Certains cependant ne pourront ou ne voudront pas s’exprimer, il ne faut pas les forcer. Je crois que la répétition des images en boucle peut amener une perturbation temporelle. Cela avait été remarqué lors des attaques du 11/09/2001. Leur répétition donne la sensation d’une dilatation temporelle voire qu’ils sont encore en cours. Il faut donner des limites à l’événement : ça s’est passé dans tels lieux, à tel moment. Mais maintenant, c’est terminé.- Il faut ensuite rassurer, parler de solidarité…- Ce sont nos valeurs républicaines et démocratiques qui sont attaquées. Faire vivre ses valeurs par la parole libre et protégée est une contre-attaque efficace.

Lundi sera un jour d’accueil. L’école est un lieu qui soigne !

J'ai fait ici une recension de ressources et d'outils que je complète au fur et à mesure... je pense qu'il y a un éventail de choix très large pouvant aider de la maternelle au lycée.

N'hésitez pas à me signaler tout ce qui serait utile à ajouter.

Au sujet de la minute de silence, ou des 20-25 secondes, je souhaitais apporter mon témoignage. Il est intéressant de préparer ce moment, bien en amont de ce temps là, pour ne pas laisser la peur, ou l'instabilité prendre la place. Préparer une grande respiration, se connecter aux autres (Isabelle Filliozat suggère que les enfants qui le souhaitent se prennent la main), diriger en pensée ce temps, vers des personnes que l'on aime, qui nous sont chères... Pour ne pas laisser seuls dans cet espace-temps pas toujours bien identifié, les élèves les plus fragiles, tentés de faire diversion pour se faire remarquer. Ne pas chercher à regrouper tous les élèves sous les drapeaux ou les emblèmes de la République.... laisser le droit à l'intimité, aux larmes aussi éventuellement si elles viennent spontanément...

Pour les plus jeunes, le temps du dessin en "code rouge" (en silence) ou un moment de relaxation dans la matinée devraient pouvoir remplacer la minute de silence...

Vous êtes nombreux à réagir sur la notion de guerre. Tout d'abord, ce document est destiné à accompagner un enseignant à y voir un peu plus clair pour aborder les faits avec ses élèves. Il ne s'agit pas de semer le doute, ni de mettre en insécurité une classe, alors qu'ils cherchent la paix, la sérénité. De nombreux écrits nous ont éclairé sur cette notion de guerre, en particulier celui ci http://www.reporterre.net/Il-y-a-des-actes-barbares-il-n-y-a-pas-de-Barb... Comme on l'a dit sur notre liste de diffusion, la guerre n'est elle pas ouverte depuis bientôt un an? Les faits qu'on nous reprochent ne sont-ils pas d'un autre niveau que celui de notre mode de vie?

 

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