Cesser de jouer avec la laïcité

Libre opinion adressée à la presse
« Laïcité : le gouvernement place l’école en première ligne » titrait Le Monde du 23 janvier sur quatre colonnes. On veut l’enseigner, faire étudier la Charte de la laïcité, réarmer les enseignants. De fait, il sera très important de ramener la dimension éducative au cœur des fonctionnements de l’école. Mais s’est-on assez demandé ce que la laïcité avait à voir dans les assauts criminels contre Charlie-Hebdo et contre l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes ? En quoi une formation préalable à la laïcité aurait-elle entravé les délires meurtriers des Kouachi et de Coulibaly ? 

Il y a en France depuis quelques années une mystique de la laïcité. On la voit comme une grande aile protégeant la société. Or cela finit par cautionner des abus de droit et la stigmatisation de l’islam. La laïcité est la pierre angulaire du système des libertés publiques, en France comme dans bien d’autres pays d’ailleurs : il n’y a pas de spécificité française à ce niveau, note le Conseil d’Etat dans son rapport "Un siècle de laïcité (2004)". Les membres de la société jouissent d’une pleine liberté de conscience, entendue comme liberté de conviction et d’expression religieuse, conformément à la déclaration des droits de l’homme de 1789 et à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui l’explicite. La France « respecte toutes les croyances », stipule l’article 1 de notre constitution. Le principe de laïcité ajoute à cette promesse de liberté des clauses propres à la garantir : neutralité de l’Etat, égalité de traitement de toutes les convictions religieuses. En France métropolitaine, on le sait, c’est par la séparation des Eglises et de l’Etat (qui n’exclut pas une articulation si nécessaire) que ces garanties sont mises en œuvre,  l’Alsace-Moselle bénéficiant d’une autre modalité, sans être pour autant soustraite au principe fondamental de laïcité, évidemment.

Assassiner quelqu’un n’est pas enfreindre la laïcité ; assassiner quelqu’un pour motifs religieux pas davantage. C’est violer la loi et l’ordre public, bafouer le respect dû à tout homme. C’est intolérable.
Assassiner Cabu et Wolinski, c’est impensable. Mais mettre en avant la laïcité pour y répondre, c’est se tromper de riposte. C’est notre communauté morale qui est en cause, sans laquelle effectivement nos institutions démocratiques sont menacées. Renan l’a bien perçu dans son discours « Qu’est-ce qu’une nation ? », en 1880. Mais aujourd’hui, qui sait comment faire nation ou faire communauté avec des membres qui ne s’aiment guère, dont certains estiment que les autres n’ont rien à faire ici ? Tel est le défi que devra relever une réaction pertinente à ce qui vient de se passer. L’école ? Certainement, pour s’efforcer d’amener chaque enfant, chaque adolescent à se sentir pleinement membre de la société. Mais comment ? Voilà la question qu’il nous incombe collectivement de sonder. Comment nourrir le sentiment d’appartenance chez ceux qui sont le plus exposés à ne pas se sentir à leur place, comment déjà les protéger du sentiment de discrimination – dont l’enquête Trajectoires et Origines  montre l’emprise ? C’est une question clé de la philosophie politique aujourd’hui : les ressources ne manquent pas pour la travailler. Mais qui s’en sert en formation des enseignants ? Voilà un but en tout cas, pour l’école comme pour le pays. Les trajectoires des Kouachi et de Coulibaly témoignent en creux de sa pertinence : avant de virer dans le djihadisme, brutalement, ils étaient bien loin d’être des zélotes de la religion, ils étaient dans la désappartenance.
Non seulement il est erroné de focaliser sur la laïcité. Mais cela risque aussi d’entretenir une mauvaise habitude de l’action publique, au détriment des musulmans. Depuis bien longtemps en France, on joue avec la laïcité vis-à-vis des musulmans pour faire le contraire de la laïcité, c’est-à-dire pour limiter les libertés. Dans l’Algérie coloniale, on a prétendu « appliquer » la loi de séparation des Eglises et de l’Etat à l’aide de décrets à caractère dérogatoire : appliquer la loi sur la laïcité consistait à ne pas appliquer la laïcité et à maintenir le contrôle sur l’islam. Aujourd’hui on retrouve un procédé analogue. La loi du 15 mars 2004 modifie d’une façon symboliquement très forte le périmètre d’application de la laïcité, elle en restreint l’applicabilité aux élèves sous statut scolaire, alors qu’elle s’intitule « loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse… » (nous soulignons). Les enseignants et chefs d’établissement sont persuadés dans leur très grande majorité qu’en interdisant ils appliquent la laïcité. Alors qu’en interdisant ils appliquent une loi, et une loi qui a sensiblement réduit l’application du principe de laïcité dans l’espace scolaire, et là seulement. Tous les juristes savent cela. Pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il laissé passer l’intitulé fallacieux ? Peut-être le saura-t-on un jour, quand ses archives seront accessibles. Cette loi continue de générer du contre-sens, avec des effets sociaux, politiques et scolaires qu’il faudrait interroger. Dans les formations à la laïcité destinées aux personnels de l’Education nationale, en formation initiale et continue, on ne se demande pas comment nourrir parmi les membres des communautés éducatives le sentiment mutuel d’appartenance, comment mettre en place un espace moralement inclusif, ce qui devrait focaliser les efforts au titre de la laïcité, mais typiquement : comment bannir les signes de religion que cherchent à arborer les élèves – autrement dit les signes d’islam. La Charte de la laïcité diffusée par le ministère se prête à cette lecture réductrice en se gardant de l’identifier comme telle, alors qu’elle est courante. Et l’on a vu, en 2010-2012, feu le Haut Conseil à l’Intégration multiplier, dans une sorte de chant du cygne, les exhortations à interdire, toujours au nom de la bonne et totale « application » du principe de laïcité.
Il faut sortir de cette crispation pernicieuse. Les musulmans de France ont dit et redit leur loyalisme et leur adhésion à la laïcité, laquelle les protège en principe et ils le savent. Ils l’ont fait en 2000 au départ de la Consultation lancée par le ministère de l’Intérieur, pour mettre en place une instance capable de servir d’interlocuteur aux pouvoirs publics ; ils l’ont refait en 2003 lors de l’installation du Conseil français du culte musulman (CFCM), et celui-ci vient de le redire solennellement dans sa Charte du citoyen musulman (juin 2014). Faut-il continuer ? Il est temps de voir les problèmes là où ils sont.

Françoise Lorcerie

Rebonds 5

La formation relative à la laïcité doit permettre aux jeunes enseignants d'être capables de prendre la bonne décision, au bon moment, sur de vrais problèmes ou difficultés. Les seuls éléments fondateurs sont les textes qui régissent les principes de laïcité. Y compris la loi du 15 mars 2004 qui si elle modifie, apparemment, le périmètre de la laïcité, n'en demeure pas moins une aide confortable à tous les personnels de l'enseignement. La loi de 1905 était elle même une loi très restrictive puisqu'elle privait l'église du pouvoir temporel et la République du pouvoir religieux. Parce qu'elle oblige à s'abstenir de tout port religieux ostentatoires la loi de 2004 instaure de fait une distance au religieux, une suspension des convictions personnelles, favorisant ainsi l'amorce d'un espace commun à partager. Les différences individuelles ou d'appartenance ne s'affichant plus, au grand jour, reste à conquérir la séparation entre un mode personnel de penser la vie et les connaissances rationnelles expliquant le monde.

Lorsqu'on absolutise les choses, on est dans l'impasse. Je me méfie des "une bonnes fois pour toutes", les "il ne faut rien laisser passer" ou les "on a été aveugles", ou je ne sais quoi encore. C'est ainsi qu'on peut à la fois prendre acte de la loi interdisant les signes ostentatoires à l'école, quelle que soit la manière dont la loi a été mise en place suite à l'affaire de Creil au départ qui était complètement pourrie (je connais bien, ayant exercé dans le collège voisin) et juger au cas par cas la question de l'accompagnement par les mères voilées (j'ai écrit quelque chose à ce sujet sur le site des Cahiers http://www.cahiers-pedagogiques.com/Laicite-vraiment

On peut -et c'est le cas depuis longtemps- proposer des repas sans porc dans les cantines  (qui réunit musulmans et juifs d'ailleurs) mais refuser le passage au Hallal.

On peut accepter qu'un élève dise qu'il ne respectera pas la minute de silence dans sa tête si je puis dire, et pas tolérer qu'il la perturbe.On peut et on doit entendre la parole contestatrice de Voltaire, Darwin ou Simone de Beauvoir, mais pas n'importe comment, dans un cadre organisé, et bien sûr y répondre, en faisant au passage un cours en français sur les modalisateurs (le fameux: "jeanne d'arc dit qu'elle a entendu des voix" opposé à "jeanne d'arc prétend" qui nie et "jeanne d'arc a entendu" qui affirme)

Une des scènes les plus réussies de "les Héritiers" est le travail sur l'image dans une église italienne où on voit Mahomet en enfer, parmi les damnés et qui fait réagir les élèves, la prof disant que du coup, ça montre l'efficacité d'une image de propagande qui justement fait réagir

C'est bien complexe. Eh oui!

jm zakhartchouk

 

« DES ENFANTS DE LA REPUBLIQUE » ! Raymond Millot  5 février 2015 (1) édition Voies  Livres – réédition RECIT

Les meurtriers de Charlie Hebdo et des clients de la supérette casher sont, nous dit-on avec étonnement, « des enfants de la République ».Ils sont allés à l’école laïque et par définition, ils ont appris à « respecter nos valeurs ». Mais un doute s’insinue : l’école n’a-t-elle pas oublié les enseignements de Jules Ferry ?  L’école de la IIIème République avait su « civiliser » les petits sauvages, formater les enfants des paysans émigrés à la ville, pour le travail industriel, le respect de l’ordre établi, l’abandon de leurs patois et la revanche contre l’Allemagne.

Les réactions des élèves lors de « la minute de silence » sont d’abord minimisées, puis les témoignages des enseignants de tous degrés révèlent la gravité du phénomène. L’influence des réseaux sociaux apparaît sans commune mesure avec celle de l’école. Les adolescents et même les enfants commentent avec passion les rumeurs, adoptent les théories du complot.

Un grand désarroi s’empare de nos « élites ». Les plus réactionnaires imaginent le retour aux blouses grises, le salut au drapeau et appellent à la restauration de l’autorité, sapée par mai 68. Ils  vont même jusqu’à  déférer  un enfant de 8 ans au commissaire de police. Les modérés qui sont encore aux commandes, n’imaginent que de nouveaux « enseignements » : de la morale, de la laïcité, du « fait religieux » de la citoyenneté…. mais ils se doutent bien que c’est dérisoire, et ils consultent.

La lucidité serait d’admettre enfin :

1/  que les « valeurs » ne s’enseignent pas mais se construisent.

2/ que l’école n’est plus la seule source de savoir et de  formation 

3/ que le savoir n’est pas,  par définition,  émancipateur. 

Ce changement de paradigme est en cours.Des évènements comme ceux que nous venons de vivre,  peuvent l’accélérer. Il conviendrait de l’accompagner en desserrant la contrainte des programmes, en encourageant  les initiatives audacieuses qui existent déjà, en leur donnant un statut de « recherche-action »  pour qu’elles se fédèrent, se fertilisent, se diffusent.

L’éducation à la citoyenneté  a notamment fait l’objet d’une longue expérience dans les écoles «ouvertes » de la Villeneuve de Grenoble, fréquentées part de nombreux enfants d’origine étrangère... Dans une brochure, « Vivre à l’école en citoyens »(1), une équipe s’est  proposé « d’instituer  le citoyen, non plus en  conditionnant, mais en émancipant ».

Le document est construit   « en établissant  un parallèle entre la vie des enfants à l’école et celle du citoyen dans la cité sous trois angles : 

-l’information que l’école reçoit, qu’elle produit  

- la vie sociale, culturelle et politique qu’elle génère 

- la formation permanente qui en résulte ».Quelques  conclusions, tirées de l’expérience, méritent d’être versées dans le débat actuel : Contrairement à  l’Instruction Civique, l’éducation à la citoyenneté ne peut se décréter. Elle doit résulter d’un projet éducatif associant des professionnels, des associations, des collectivités locales. L’éducation à la citoyenneté peut et doit se faire en impliquant  les enfants et les adolescents dans des actions et des projets concernant leur environnement territorial que ce soit le résultat d’une enquête, de l’irruption d’un évènement, de la volonté collective de faire face à un problème concernant l’immédiat ou le moyen terme . 

Une telle implication a de multiples conséquences:

- Elle touche le statut de l’enfant : sans le confondre avec un adulte, on lui permet de connaître les réalités dans lesquelles il vit, de chercher à les comprendre, de projeter et réaliser des actions visant à les transformer, soit à son échelle, soit en collaboration avec des adultes.

- Elle modifie le processus d’appropriation du savoir. Un savoir collectif se construit, donne du sens à celui que la société projette de transmettre.

- Elle oblige à réviser les objectifs, les programmes, à rompre avec la compétition, l’individualisme, elle repose sur la coopération, permet les pratiques « d’enseignement mutuel » et elle contribue ainsi à la «promotion collective ».

- Elle ouvre la voie à une « Société Educatrice » qui, en  impliquant les parents, les collectivités territoriales, diverses associations et acteurs économiques, engage une rupture avec la division du travail dans le champ social, rétablit un lien entre activités intellectuelles et manuelles, justifie et nécessite le travail en équipe des enseignants, redéfinit la fonction enseignante, permet à l’école de renouer avec son rôle dans l’Education Populaire et de le renouveler.

- Elle pose le problème de l’évaluation sur des bases nouvelles qui doivent faire l’objet d’une réflexion démocratique et excluent le monopole de l’institution scolaire.

- Elle permet d’imaginer le nouveau profil des « enfants de la République »

                                                       

Une question essentielle me semble en effet etre celle de faire communauté, communauté de pensée de valeurs.

Sans chercher à imposer des valeurs, l'école doit, selon moi, mener une réflexion avec les élèves sur les valeurs qui peuvent guider une vie. Lors de discussions avec de jeunes parents, sur le choix d'une éducation religieuse pour les enfants, certains ont avancé qu'ils y voyaient un moyen d'inculquer certaines valeurs qui leur semblaient "bonnes". Cela m'a beaucoup questionné... Ayant travaillé sur la philosophie à l'ecole primaire, cet enseignement m'est encore plus apparu comme indispensable.

il ne s'agit pas d'inculquer les bonnes valeurs car comment les définir? Mais d'inculquer une gymnastique de pensée, de réflexion, d'esprit critique, de mise en doute. Depuis la fin des leçons de morale, quasi rien à l'ecole dans les pratiques réelles. Ce champ est laissé aux mains de chaque famille, or, il pourrait être un formidable terreau de pensée commune, une pratique du débat essentielle à la vie en communautés: formuler ses pensées, les entendre etre remises en cause, les reformuler, les amender, les confronter dans un cadre clair et sein. Il y a là un manque d'ambition chez de nombreux enseignants, non pas personnelle, mais envers leurs eleves: ceux ci sont bien capables de mener ce genre de réflexion, tres jeunes, sur des supports et thèmes adaptes. C.est toute la culture du débat, de la tolérance et de la démocratie qui peut se développer alors tout au long de la scolarité...sans attendre la Terminale - qui est hors scolarite obligatoire  (considère-t- on les eleves n'atteignant pas cette classe incapable de telles réflexions?).

Des valeursDescription du texte: Rien ne peut plus être comme avant les attentats des 78 et 9 Janvier 2015. Rien. La liberté d'expression a été atteinte en soncœur. La liberté de croire ou de ne pas croire a été profondément remiseen cause par quelques tueurs fanatiques. Les principes de Liberté EgalitéFraternité ont été par la mort renversés. Rien ne peut plus être commeavant le 11 Janvier. Nous n'étions que 4 millions dans les rues des villesde France. Et nous étions entre nous. Manquaient à l'appel de nombreuxcitoyens, restés entre eux. Rien ne peut plus être comme avant la minute desilence non respectée dans certains établissements scolaires. Rien. Noninscrite dans l'emploi du temps des élèves, mais à la demande d'unministre de la République ce moment de recueillement n'a pas été reconnupar de jeunes futurs citoyens. Désobéissance? Non reconnaissance des faits? Approbation des actes criminels ? Ces "rebelles" étaient dans leur droit.Il n'empêche que certains d'entre eux, lorsqu'ils ont pu parler ont trouvé"méritée" la mort des croisés de la liberté. Rien ne peut plus êtrecomme avant cet apologie du crime. Menace permanente d'une minoritémortifère. Minorité pour laquelle tout ce qui n'est pas à l'identique doitdisparaître. Nous devons en finir avec cette épée de Damoclès. Enredonnant un pouvoir d'autorité aux enseignants. Et sur le plandisciplinaire (matière d'enseignement) et sur le plan de ladiscipline(matière d'apprentissage). En organisant la mixité des classes,qui passe nécessairement par une autre conception de la ville et de lacampagne. En concevant un nouveau projet humaniste partageable par lescroyants, les agnostiques et les athées. C'est parce que nous aurons lavolonté conquérante de tracer ce nouvel horizon que nous parviendrons àconstruire une dynamique capable de re-fédérer autour des principes deLiberté Egalité Fraternité.

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