Ca commence le jour de l'Aïd : dans cette classe de Sixième, de nombreux absents. Pas question de continuer le cours comme si de rien n'était, ni d'inventer une activité prétexte. D'autant que – miracle... laïque – une élève commence à poser des questions sur cette fête religieuse, d'autres sur la religion plus généralement. Ca dépasse le « carnet de questions »*, le débat est donc ouvert. Une élève explique qu'elle est catholique, qu'elle va au catéchisme mais qu'elle n'y croit pas trop, une autre qu'elle croit strictement en l'islam (les élèves musulmans ne s'absentent pas tous pour l'Aïd), « c'est comme la famille », un autre dit qu'il est incroyant et il y a surtout des questions sur tel ou tel mythe... on est en Sixième, on aime encore beaucoup les histoires. En fait d'histoires, je suis prof d'histoire sans « s », j'essaye donc de ne pas entrer dans la discussion et de ne donner que des informations factuelles et brèves : dans l'esprit de ne pas influer sur l'échange, de lui permettre de se poursuivre chemin faisant, sans autre logique que celle de l'évocation du thème religieux chez les uns et les autres. Je demande vers la fin de l'heure aux élèves de noter ce qu'ils ont retenu.
Heure suivante, avec tous les élèves cette fois : je distribue ces textes de fin d'heure, c'est lu avec une attention extrême... et c'est l'émeute : trois élèves absents lors de l'Aïd protestent : « ça se fait pas, ils traitent notre religion etc » L'évocation de la pluralité des croyances, le fait qu'on puisse ne pas en avoir suscite l'indignation. Je propose alors à ces protestataires de donner leur point de vue par écrit, ce qu'ils font (y compris l'un d'entre eux qui a bien du mal dans ce domaine), c'est distribué l'heure suivante comme promis. L'orage est passé.
Des épisodes semblables, j'en ai connu plusieurs (l'avortement en Troisième, le voile en Cinquième). Il y a toujours eu un moment de tension et une résolution. A chaque fois différente : dans une classe, une correspondance scolaire où ce sont d'autres collégiens qui ont dit leur désaccord sur le voile, dans une autre un éducateur palestinien disant à une élève qu'il ne fallait pas tout confondre (juifs, israéliens), pour l'avortement, le relais pris par l'infirmière pour les filles seulement, à leur demande. Et – je le l'ai vu qu'une seule fois – une élève déclarant : « j'ai changé d'avis, tes arguments m'ont convaincue. »
Dans cette classe de Sixième, le prolongement a été la mise en place d'ateliers-philo ; le narrer mériterait un autre texte. croisant ces élèves des années après, je me suis aperçu que  c'est ce qu'ils ont retenu de leur année de Sixième. Mon cours d'histoire, pfft, aucune allusion, mais « les ateliers-philo, monsieur... ».
S'engager, ne pas craindre le conflit, « cuisiner maison ». Plus éducatif (et plus enrichissant pour le prof aussi) que les recettes toutes faites du ministère, recuites de grandiloquence et d'hypocrisie, et qui restent sur l'estomac.