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Sur la base de deux expériences d’écriture demandées à des étudiants en formation initiale d’enseignants (Le journal de formation) et à des enseignants en poste se formant à l’enseignement spécialisé (Le journal de l’étrange), ce texte tente de montrer comment certaines écritures vont au-delà de l’obéissance à la consigne pour devenir, par moments, un véritable instrument de réflexivité, permettant la rencontre avec soi grâce au détour par l’autre. L’écriture devient alors un creuset de transformation identitaire et professionnelle, un supplément d’âme dans la formation. Les textes ne sont pas évalués et le regard que je porte est ici au premier plan celui de la lectrice, qui se laisse toucher, interpeller par les expériences partagées, un regard donc forcément subjectif.

 Encadré - Journal de formation

J’ai déjà beaucoup de théorie avec les repérages théoriques, mais est-ce que cela va « coller » avec ma classe ? Je suis tout de même rassurée de voir en discutant avec mon groupe (et même les autres étudiants de la volée) que je suis pas la seule à angoisser !!!

1ère semaine terrain :Ma formatrice de terrain fait en sorte de me mettre à l’aise dès le début. Elle semble aussi chercher à me provoquer ou du moins provoquer mon intérêt en me mettant face à la classe à l’improviste.

2ème période : Cette deuxième période s’est montrée plus difficile pour moi. En effet, je me suis beaucoup sentie bousculée par ma formatrice, à juste titre, elle voulait me faire prendre conscience de certaines choses, mais cela n’a pas été évident, car la remise en question n’est pas chose facile.

Fin de stage :J’ai été très contente du compte-rendu que ma formatrice a fait de moi ! Je pensais que je l’avais un peu déçue, mais non, elle a su prendre en compte ma volonté de bien faire et ma motivation ce qui m’a vraiment fait plaisir !

- FIN ENCADRÉ -

Lorsqu’on travaille avec du vivant, l’autre nous touche parfois, nous résiste souvent. Il provoque fascination, agacement ou rejet. 1

Textes et contexte 1

-Journal de formation

- Module de dix semaines

- Alternance université-terrain

Fragments porteur de sens

L’expérience sensible apparaît avec le « je », mais aussi dans la répétition de certains mots, dans la ponctuation, dans la temporalité (chronologie des extraits), dans ce qui n’est pas dit, mais suggéré.

Un ressenti d’emblée, dès la première journée, de poids et de tristesse transmet ainsi l’intuition d’un malaise dans la classe qui se confirme et se précise tout au long du temps de terrain, attesté par la répétition de mots comme « lourd », « pesant », « manque d’envie » (d’en vie, se dit la lectrice que je suis en écrivant….). Les extraits de ce journal donnent aussi à voir les efforts pour mettre de la vie dans les situations d’enseignement, une identité d’enseignante se dessine…

Autre lecture : la dernière phrase du compte-rendu d’une première journée : « Mes angoisses de l’inconnu ont disparu »2 me fait me raconter en tant que lectrice toute une histoire : l’étudiante avait peur mais n’en parle que lorsque la peur a disparu : a-t-on le droit de dire ses peurs dans le monde de l’enseignement ? Elle se projette dans le métier - y arrivera-t-elle ? Elle est rassurée - c’est vrai, l’anticipation est souvent pire que l’expérience même. La distance à l’idéal traverse ainsi un certain nombre d’extraits, parfois de façon explicite : « j’étais déçue de moi ».

Un autre fragment suggère l’asymétrie, pas toujours évidente, entre formateur de terrain et étudiant, lorsqu’elle est temporairement mise en veilleuse : « Nous étions tous (enseignants compris) novices, […], tous étudiants, c’était plaisant ».

Un autre journal encore me communique à la troisième personne une réflexion sur le métier étayée par les observations du terrain, lorsque surgit le « je », les résonances avec l’expérience personnelle : « Je me suis observée moi. D’entendre les échanges sur le vécu de chacun […] remuaient en moi toutes sortes d’émotions ».

C’est à ces moments-là de ma lecture que j’entre en sympathie, au sens premier de « vibrer avec ». Le module donne beaucoup d’espace aux partages à l’oral des expériences et des résonances - dans les journaux, ces expériences font trace, elles sont distillées dans le creuset de l’écriture.

L’étrange comme prise de recul

Textes et contexte

- Journal de l’étrange

- Cours anthropologie

- Formation en emploi

Qu’est-ce qui fait qu’un homme devient un homme ?

Ses origines ? La façon dont tout commence ?

Ou est-ce autre chose ? une chose plus difficile à décrire ?3

Ces enseignants s’étaient pour la plupart engagés dans cette formation dans une envie de prise de recul et de renouvellement, leurs journaux en témoignent clairement. Ils se mettent d’emblée en scène en tant que sujets, se laissent interpeller, bousculer par leur quotidien comme par les expériences nouvelles, par le mot « étrange » aussi. « J’ai tout pris comme cela se présentait, sans trier et avec la fascination de rencontrer des êtres chamboulés par la vie et très réactifs mais justement bien vivants ! ».

Et pour ma part, j’ai découvert des personnalités riches et des plumes parfois puissantes.

Certains ont mis des titres à leurs journaux, qui en eux-mêmes font voyager : « Etrange : regard, fascination, doutes, don et rencontre » ; « Ecris-moi un rêve, je te dirai qui tu es » ; « Gribouillis de vie » ; « Se sentir exclus et non reconnu ». Tous m’ont fait entrer, par la petite porte, mais quoi de plus pertinent, dans les résonances du choix pas anodin de devenir enseignant spécialisé.

Les cheminements reflétés dans ces journaux sont bien entendu singuliers. L’étrange a permis de questionner les politiques institutionnelles ; le monde de l’autre : de la mosquée à l’enfant dont le corps est « rempli par un lion » ; son propre monde intérieur : le questionnement sur sa propre place en résonance à l’exclusion des élèves « qui dérangent, parce qu’ils sortent de l’ordre établi », l’étrangeté sensorielle d’une hypersensibilité olfactive…

Dans les deux expériences l’écriture a été au-delà de l’exercice, elle a donné « à penser », aux auteurs, comme à la lectrice que j’ai eu le privilège d’être.

L’écriture constitue une prise de risque, elle conduit parfois à quitter ses zones de confort, elle permet, à notre insu souvent, l’émergence du sens de l’expérience. Pour reprendre les derniers mots d’un « journal de l’étrange », j’aurais envie de dire qu’elle donne de la liberté.

« Ce que je fais n’est donc pas du don. Je fais mon travail, c’est tout. Je me heurte à des résistances et cela fait partie de mon travail que de chercher un passage pour que ces enfants prennent leur vie en mains. Déchargée de cette injonction de donner, je gagne en liberté d’être enseignante, simplement. »

En tentant de mettre des mots sur ces expériences d’écriture, peut-être que je gagne en liberté d’être formatrice, simplement…En tout cas, dans la conscience de demander aux étudiants un exercice impliquant, je restitue ici un peu de la «distillation » de ces expériences.

1 Cifali, M. (1996-2012). Démarche clinique, formation et écriture. In L. Paquay,M. Altet, E. Charlier, & P. Perrenoud , Former des enseignants professionnels. Quelles stratégies… pour quelles compétences ?(pp.121-135), Bruxelles : De Boeck, p.122

2 Les phrases entre guillemets renvoient aux journaux.

3 del Toro, G. (2004). Hellboy. Columbia Pictures. Une citation empruntée à l’un des travaux.

 

Rebonds 2

J'aime beaucoup la lecture fine, attentive et respectueuse, des textes évoqués, les éléments d'analyse s'appuyant sur des citations. À la limite, on les aimerait plus longues pour les journaux de formation (voire un extrait plus long à mettre en encadré accompagnant l'article ?).

On pourrait passer beaucoup plus vite sur les préliminaires, pour aller à l'essentiel du propos. Là aussi la description du dispositif peut être renvoyée dans un encadré. Et je trouve toujours préférable, dans les articles de notre revue, de donner dès que possible à voir au lecteur la réalité que l'on évoque plutôt que de commencer par des affirmations ou des argumentations un peu générales : pas de promesses, des faits ! Et si ceux-ci sont suffisamment parlants, le lecteur comprendra d'autant mieux les conclusions qu'en tirent l'auteur, voire les tirera lui-même sans qu'on lui tienne la main.

Nouvelle version, très bien ainsi. Nous aviserons pour la présentation des encadrés au moment de la confection de la maquette.

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