Un enseignant, un professionnel de l'éducation parle, beaucoup, il écrit aussi. Rarement par plaisir, ou par goût, mais c'est bien une activité professionnelle. Toutes sortes d'écrit : des annotations sur les copies, des comptes-rendus, des rapports, des « appréciations » dans les bulletins d'élèves, des messages à ses collègues, voire même des articles dans des revues pédagogiques…

On n'y consacre pourtant guère d'attention. On se laisse bien souvent gagner par les facilités des formules toutes faites, ou encore le jargon du langage administratif. Regardons de plus près nos pratiques d'écriture, tentons d'en faire des opportunités de développement professionnel : voilà le pari de ce dossier lancé par les Cahiers pédagogiques.

Quelques axes sur lesquels nous recherchons des contributions :

  • Votre fonctionnement personnel, voire vos astuces, pour vous débrouiller des écrits que vous avez à produire dans votre métier ;
  • Des pratiques avec vos collègues, à l'échelle de l'établissement, autour des écrits : par courriel, dans le cadre d'un journal d'établissement, de la rédaction de projets, etc.
  • Votre rapport à l'écrit professionnel, par exemple en tenant un journal pédagogique.

Ce dossier est programmé pour janvier 2015, mais nous souhaiterions discuter dès maintenant autour d'éventuelles contributions : nous ne demandons pas d'article abouti du premier coup, mais quelques pistes pour nous aider à constituer progressivement notre dossier. N'hésitez pas à prendre contact pour nous faire part de vos idées, de vos envies, de vos propositions.

Rebond 1
Du pensum au texte : la métamorphose d’un lien  

Un pensum. Tel m’est longtemps apparu l’écrit professionnel. Assurant des fonctions variées, je me voyais pourtant proposer une gamme fort riche de travaux d’écriture. Mais de rapports en annotations de copies, d’appréciations trimestrielles en bilans d’activité annuels, une fatalité me poursuivait. Condamné à écrire a posteriori dans un cadre contraint et un temps borné par la fin du trimestre ou de l’année scolaire, je me sentais comme l’esclave face au pensum, prisonnier de la quantité de laine à filer d’ici la fin de sa journée.

Depuis février 2014 toutefois l’écrit professionnel, à mes yeux, a changé. La cause de cette métamorphose ? Le «cursus ALO (Atelier maîtrise de la Langue et découverte de l’Orientation)». Un dispositif dont l’idée avait germé dans mon esprit, et que la direction du collège accepta de mettre en oeuvre à la rentrée 2014. S’est alors ouverte une période de plusieurs mois destinée à développer ce concept, et créer les conditions de sa mise en oeuvre future. À commencer par la première d’entre elles : réunir les acteurs sur qui celle-ci reposerait.

Écrire pour les «happy few», ou le défi de la diversité

 

Il fallut d’abord écrire pour les «happy few», tout premiers lecteurs au sein de la communauté éducative du collège. Relativement homogène géographiquement, ce premier public n’en était pas moins divers : enseignants, conseillère d’orientation, principale, élèves, parents !

Par-delà cette diversité, quelques caractéristiques durent être prises en compte, sous peine d’être illisible. D’une part, il s’agissait d’un public logiquement peu réceptif en dehors des temps dévolus au travail scolaire à des explications écrites. D’autre part, l’expérience laissait craindre qu’élèves et parents ne fuient devant certains termes, tel le qualificatif «professionnel» qui laisse imaginer une pré-orientation vers la voie professionnelle, ou encore l’interminable «parcours individuel d’information, d’orientation, et de découverte du monde économique et professionnel» dont les contours impossibles à mémoriser font craindre de s’y perdre. Enfin, il fallait tenir compte de la méfiance souvent suscitée par l’ouverture précoce sur le monde économique et professionnel, pour différentes raisons, chez certains parents et enseignants.

Dans quels buts m’adressais-je à ce public ? Pour gagner son intérêt, en suscitant sa curiosité ou son envie. Pour qu’il perçoive immédiatement l’esprit du dispositif. Enfin, pour favoriser l’amorce d’un dialogue dans ce qui était encore la phase de conception.Ces objectifs dictèrent donc plusieurs choix d’écriture.

Le choix d’un matériau sémantique valorisant, et rassurant tant il fait écho à des références familières. En témoigne l’acronyme désignant le dispositif : «ALO», sur lequel on reviendra plus loin. Par ailleurs, dans le premier message adressé aux parents, le qualificatif «professionnel» fut banni au profit notamment des champs lexicaux de la culture et de la réussite (la première phrase par exemple commençait par «Cultiver ses capacités d’expression ou rebondir [...]»).

Le recours à des tableaux, pour exposer le plus clairement possible le fonctionnement du dispositif. Dans le dossier de présentation actualisé au fil des réunions préparatoires et envoyé aux enseignants y ayant participé ainsi qu’à la conseillère d’orientation et à notre principale, la présentation du projet s’articulait ainsi en trois tableaux tenant chacun sur une page. Le premier exposait les «principes» : contexte motivant la démarche, objectifs, apports visés. Le deuxième décrivait l’«action» : public visé, outils, déroulement dans le temps. Le troisième enfin, exposait les modalités d’ «évaluation de l’action».

La place faite à l’image, dans le cadre d’une langue hybride. La première impression visuelle produite par un texte sur son lecteur pesant souvent lourd dans sa réception, chaque document écrit (dossier de présentation, premier message à l’attention des parents) faisait d’abord apparaître le logo du dispositif. À travers lui en effet, il s’agissait d’exprimer l’essentiel du projet, et d’offrir un aperçu instantané de son enjeu. Aux élèves, ce logo dit notre souci de prendre en compte leurs représentations : les motifs du ballon figurant le «O» et du «smiley» ornant ce dernier empruntent à leur quotidien, et le nom du dispositif fait écho à une célèbre réplique signée Nabilla qui chante encore dans leurs bouches... Dans le même temps, le mouvement du ballon sautant au-dessus du «A» et du «L» expriment clairement le but : leur permettre d’avancer et de franchir des étapes situées devant eux, de manière à développer un esprit à la fois serein et conquérant figuré par le sourire et le clignement d’oeil ornant ce ballon. Que dit ce logo aux familles ? Que l’on fait appel à elles comme actrices d’un dialogue, dans lequel elles ne seront pas perdues (le sigle «ALO» se retient aisément), et qui vise à permettre à leur enfant de prendre tout son élan vers la suite de son parcours. Aux interlocuteurs institutionnels enfin, ce logo montre l’unité du projet par le caractère synthétique du sigle et sa cohérence avec la culture des élèves, en même temps que la volonté de contribuer à leur construction personnelle et intellectuelle (les latinistes reconnaissent dans ce sigle une forme verbale signifiant «j’aide à grandir») et l’ambition de stimuler le dialogue entre les acteurs de la communauté éducative (par l’homophonie avec l’interjection «allô»).

Écrire pour les «critiques», ou le défi de la crédibilité

 

Il fallut aussi écrire pour les «critiques», membres de l’institution scolaire appelés à juger la qualité technique du projet. Certains étaient géographiquement proches et avaient un visage familier (direction du collège, directrice du CIO de Stains), d’autres se réduisaient encore à un nom assorti d’une fonction (IA-IPR de lettres du secteur).

Pour moi, leur jugement procédait essentiellement de leur expertise technique, et de leur responsabilité dans la mise en oeuvre efficace des objectifs officiels de l’institution scolaire.Dès lors, quels effets viser en m’adressant à eux ? Faire percevoir la cohérence du concept. Faire percevoir la dynamique humaine dont il procède. Démontrer l’intérêt, pour nos élèves et l’institution scolaire, de conjuguer les deux domaines de connaissances et de compétences en jeu.

Là encore, ces objectifs donnèrent lieu à des choix d’écriture dont le dossier présentant le projet portait la marque.

Premier choix : proposer un discours nettement articulé. Tel était le rôle de la table des matières figurant en deuxième page du dossier de présentation. Celle-ci annonçait les parties suivantes : «l’esprit du projet en quelques mots : extrait du premier message d’information adressé aux familles» ; «principe» ; «modalités» ; «apports» ; «bibliographie» ; «annexes».

Deuxième choix : produire un discours situé au croisement des univers qu’il s’agit de faire se rencontrer, commençant ainsi à prouver la possibilité d’une telle rencontre. À cela devaient contribuer les références convoquées dans la bibliographie. La première rubrique de cette dernière par exemple regroupait ainsi, entre autres, un rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale (La place et le rôle des parents dans l’école, 2006) et une étude prospective du cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers (Talent mobility : 2020 and beyond, 2012).

Troisième choix : enraciner le propos dans un parcours humain et professionnel. Autrement dit, poser clairement la situation d’énonciation et l’ «ethos» de l’énonciateur. C’était le rôle de la «présentation du porteur de projet». Tenant sur une page, celle-ci mettait en avant deux types d’informations : «fonctions assurées depuis 2007 au sein de l’établissement en rapport avec la problématique du projet», et «publications».

Dernier choix : être le plus clair possible. De là, le recours prédominant à deux formes. La liste, pour expliquer le principe du dispositif ou les apports visés. Et le tableau, pour expliquer le fonctionnement global du cursus, les modalités d’ évaluation de celui-ci, et les modalités concrètes de mise en oeuvre de l’ «Atelier maîtrise de la Langue et découverte de l’Orientation» en 5e comme du travail trans-disciplinaire sur la maîtrise de la langue.

Écrire pour les «éditeurs» : l’aventure continue...

 

Sans ces premiers lecteurs et ces critiques, le «Cursus ALO» n’aurait eu aucune chance de voir le jour. Mais à terme, pour exister pleinement, le dispositif ne doit-il pas aussi intéresser des «éditeurs», séduire les adjuvants potentiels de sa diffusion en dehors du collège ?

Comme tout éditeur, ces destinataires ont à répondre d’une «ligne éditoriale» correspondant aux objectifs de l’organisme dont ils relèvent, et de l’utilisation des moyens financiers investis. L’effet visé à leur égard est donc double : susciter la confiance, et mettre en évidence la pertinence du projet au regard des priorités du lecteur.

Le premier de ces «éditeurs» fut la Mission Académique Pédagogie, Innovation, Expérimentation. Contactée au printemps 2014, une conseillère académique me demanda de présenter le projet sous la forme d’un dossier standard à compléter avec ma principale, pour être présenté au Comité de validation fin juin. Je déchantai, me croyant rattrapé par la malédiction de devoir écrire dans un cadre contraint... Il n’en fut rien : ce dossier se présentait sous la forme d’un document «word», laissant par le jeu de la mise en page et de la taille des caractères beaucoup de souplesse dans l’utilisation des espaces laissés pour renseigner des rubriques à la fois ouvertes et stimulantes. Courant juin, un échange électronique me permit d’apporter des précisions demandées par mon interlocutrice après réception du dossier.  

Paraître, pour le «Cursus ALO», c’est aussi dans l’idéal sortir du collège pour développer la mobilité des élèves, futurs acteurs d’un monde où celle-ci triomphe. Comment ? Grâce à des séjours scolaires permettant aux élèves de se familiariser avec leur environnement national et européen. Tel est un des objectifs du dispositif quand il naviguera à pleines voiles. Bien sûr, cela exige de trouver des moyens financiers. À ce stade, nous envisageons de contacter deux partenaires possibles.

D’une part, la Fondation Henri Lachmann. Son créateur présente un profil atypique qui n’est pas sans rappeler l’esprit d’ouverture du «Cursus ALO» : chef d’entreprise, il est aussi membre du Conseil national éducation - économie, et président de l’Institut Télémaque oeuvrant pour la promotion sociale, dont je suis le relais dans notre collège depuis 2008. Parmi les premiers éléments mis en avant dans une présentation synthétique en préparation : mon propre parcours (ancien élève d’une grande école, professeur principal de «3e en alternance» et référent de plusieurs dispositifs classiques permettant l’ouverture sur le monde économique et professionnel), et le renouvellement des outils mis en oeuvre par lʼÉducation nationale pour permettre cette ouverture dont tient compte ce dispositif innovant. 

Autre partenaire financier possible : le Fonds Social Européen, qui entend «intégrer les personnes défavorisées et lutter contre les discriminations dans l’emploi», et «améliorer le système d’éducation et de formation». Pour monter un dossier de demande de financement, nous sommes entrés en contact avec la «Cellule de lutte contre le décrochage scolaire» du SAIO de Créteil. Reçu au printemps 2014, le dossier à lui transmettre offre, comme celui de la MAPIE, un mélange de contraintes (rubriques prédéfinies) et de souplesse (dans la formulation et la mise en forme) qui stimule la créativité plutôt qu’il ne l’entrave.    

 

Ainsi devenu espace de création, l’écrit professionnel a acquis une véritable dimension poétique, la nécessité stimulante de tisser des liens - entre des lecteurs, des temps, des univers variés - redonnant tous ses droits... au texte !

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