privé

Les enseignants font de nombreux et importants écrits au quotidien : écrire au tableau noir, écrire aux parents, Rédiger des projets …et remplir des rapports d’évaluation sur les élèves. Cette dernière tâche est considérée comme très lourde2. En effet, il est très difficile de mettre en mots l’évaluation du processus d'apprentissage, le rapport aux objectifs scolaires, surtout si ceux-ci ne sont pas très clairs pour soi-même en tant que professionnel ou encore moins pour les élèves.

Comment rédiger l'évaluation d'un parcours d'élève : que dire et comment ? A qui ça profite ? Afin d’être attentif à ne pas ficher durablement l'élève (le dossier de l'élève est demandé par les employeurs dans les apprentissages suite à la scolarité obligatoire) et à ne pas le stigmatiser, car les paroles s'envolent et les écrits restent parfois durablement au sein de l’administration scolaire.

Nous observons combien il est difficile de se centrer sur l'activité de l'élève dans les évaluations et de décrire l'enfant plutôt dans son processus d'apprentissage que dans un rapport constant au seuil de réussite et à une absence de connaissances et/ou de compétences. Comment les écrits sur l'évaluation de l'élève peuvent dépasser "l'enfant adjectivé" (Cifali, 1994) ou les superlatifs afin qu’ils profitent réellement aux apprentissages des élèves ?

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Dans l’écriture de l’évaluation, quels sont les mots pour dire et écrire ?

Dans la directive officielle, les enseignants devraient écrire des évaluations afin que les élèves progressent, et surtout qu’ils soient stimulés par ce genre d’écrits. Bien que la directive officielle3 tente de clarifier les types d’évaluations, pour les enseignants, ce travail d'écriture reste un exercice de style difficile à faire et à surmonter parfois. Ils se trouvent devant un dilemme: pouvoir dire et surtout écrire où en sont les élèves à une étape des apprentissages. Ils doivent trouver les bons mots pour le dire afin de ne pas blesser et stigmatiser les élèves dans leurs parcours des apprentissages, parcours sinueux et très différents pour chacun.

Aller au-delà des adjectifs ou des superlatifs, du jugement

La directive officielle énonce que les élèves sont évalués sur l’acquisition des objectifs et des compétences du plan d’études romand par : très satisfaisant (l’élève progresse avec aisance), satisfaisant (l’élève progresse mais il peut rencontrer certaines difficultés) et pas satisfaisant (l’élève progresse peu ou ne progresse pas ; il peut rencontrer des difficultés). Les enseignants savent pour la plupart que les évaluations d’autrefois basées sur des « adjectivations » ne sont plus de mise. Plus personne n’écrit d’une manière aussi explicite dans les rapports d’évaluation : « cet élève est paresseux, ou tricheur, etc… ».

De même, dans les situations où l’élève va bien – « très satisfaisant, l’élève progresse avec aisance », l'enseignant peut être tenté par un : « RAS » (Rien A Signaler) alors que l'élève a le droit d’avoir des feedbacks beaucoup plus précis et plus qualitatifs.

Dans tous les cas, il est difficile de cibler avec précision les atouts et les manques des enfants

Identifier le problème chez l’élève est difficile et donc écrire professionnellement sur ce qui empêche d’apprendre est vraiment une tâche complexe (. Les enseignants font une série d’hypothèses qu’ils testent afin de comprendre la difficulté, l’isoler et chercher des pistes de travail avec l’élève. C’est le jugement professionnel de l’enseignant qui est à l’œuvremais cela relève du tâtonnement. Lorsqu'il s'agit de mettre en mots, donc de figer la situation d'un élève à un instant précis alors même que cet élève est en mouvement dans un processus d'apprentissage, il est facile de tomber dans le jugement de valeur.

Par exemple, lorsque l’enseignant pense qu'un élève est intelligent mais « paresseux », il prend beaucoup d'énergie à le formuler de manière acceptable : « Alphonse prend beaucoup de temps à se mettre au travail. Une fois son travail commencé, il le termine pourtant rapidement ». Cela équivaut à dire « qu’il est paresseux mais intelligent ». Mais pour se donner des pistes d’action, l'enjeu est donc de bien comprendre ce qui se joue derrière ce mécanisme. Pourquoi l'enfant prend-il du temps ? Par quelles étapes doit-il passer pour se mettre au travail ? Lorsqu'il n'est pas actif, est-ce qu'il ne fait rien ? Atteint-il les objectifs ? Et si l'on veut rester sur le comportement comment l'aider à devenir plus efficace ? Toute la difficulté réside donc à prendre conscience de nos jugements de valeur parfois à l'emporte pièce mais inévitables pour mieux comprendre ce qui se cache sous le comportement d'un enfant.

L’enseignant : entre attente et anticipation des apprentissages de l’élève

De même, s'il pense qu'un enfant ne « passera jamais l'année » ou va échouer dans deux ou trois ans, l'enseignant va avoir beaucoup de difficultés à investir l'instant et le présent de l’enfant – l’effet des attentes de l’enseignant ou l’effet Pygmalion est bien là, ou la prophétie auto-réalisatrice (self fulfilling prophecy). Il va peut-être se rappeler des nombreux entretiens de parents où ces derniers se sont plaints de ne pas avoir été prévenus avant afin de mieux aider leur enfant. Dans ce cas, l'enseignant peut être tenté de trop anticiper les problèmes, sous la pression des attentes des parents et afin de se protéger par rapport à l’institution, bien avant que ces problèmes d’apprentissages ne se présentent vraiment : « Amélie obtient de bon résultats, cependant ces connaissances manquent de solidité ».

Verba volant, scripta manent. Les paroles s’envolent et les écrits restent ! dit ce proverbe de l’antiquité, proverbe qui nous rend attentifs à la plus grande des prudences lors de l’écriture d’un texte et dans le choix des mots et des expressions … afin que celui-ci soit le moins interprétable, le moins contestable possible … L’enseignant, sous la demande et précaution institutionnelle, doit laisser des traces, des écrits ; et c’est en cela que l’exercice est périlleux. Car tout ce qui ne se dit qu'à l'oral s’oublie et ne semble pas avoir été entendu par les parents. Mais ce que l’enseignant rédige, subsiste dans le fichier de l’élève (l’élève est fiché, ce qui dans le contexte suisse pourrait avoir une certaine connotation4) et peut porter à interprétation et surtout préjudice à la personne qui est concernée.

Les écrits d’évaluations face aux plusieurs lecteurs : l’élève, les parents, les collègues, la hiérarchie

Dans la culture enseignante, les professionnels font attention à ce genre d’écrits qui s’adressent à plusieurs personnes. Premièrement, cet écrit s’adresse à l’élève, qui peut ainsi savoir où il en est dans ses apprentissages à un moment donné. Mais les parents en sont aussi des lecteurs. Les parents interprètent ces écrits, souvent en lien avec leur propre scolarité, leurs émotions, leurs réussites et leurs échecs à l’école, leurs peurs, leurs projections et les espoirs qu’ils mettent dans l’avenir de leur enfant. Les termes utilisés dans ces rapports sont toujours interprétables, même au-delà du sens que l’enseignant a pu mettre à un moment donné de l’histoire scolaire de l’élève. L’un des grands risques serait d’évaluer les parents à travers les enfants. En effet, si l'enfant n'est pas bien encadré pour les devoirs, s'il manque beaucoup ou s'il arrive très fatigué à l'école et que les parents ne changent pas de comportement, l'enseignant peut-être tenté de mettre une remarque dans le carnet et évaluer le parent plutôt que l'enfant.

Les écrits des évaluations sont aussi lus par les collègues-enseignants, par les pairs, afin que ces derniers sachent quels sont les élèves qu’ils vont suivre et où ils en sont par rapport à leur progression dans les apprentissages.

Les enseignants disent aussi que rédiger les évaluations des élèves lorsqu’on garde l’élève dans sa classe pendant plusieurs années n’est pas la même chose que lorsque l’élève passe chez un collègue. L’enseignant qui garde l’élève deux années de suite, se donne des pistes de travail avec l’élève et encourage l’élève dans ce processus parfois plein d’embûches de l’apprentissage « Mathieu a fait de nombreux progrès cette année. En 4P, il va devoir encore exercer la lecture afin d'acquérir plus de fluidité ». Mais lorsqu’il passe l’élève à un collègue, il doit, par souci de précautions et de transparence, donner des informations qui peuvent figer l’élève dans ses difficultés « Adeline est maintenant bien à l'aise en numération. En revanche, elle a encore beaucoup de difficultés à résoudre les problèmes mathématiques ».

Les écrits sont aussi lus par la hiérarchie, ou les directeurs d’école et ces rapports sont autant de révélateurs de la pédagogie de l’enseignant, la manière dont il considère l’enseignement-l’apprentissage, son rapport aux difficultés de l’élève ainsi que du rapport de l’élève aux savoirs scolaires. Est-il toujours en train d’externaliser les difficultés de l’élève (c’est la faute à l’élève) ou peut-il être partie prenante autant dans ses apprentissages que dans ses difficultés face aux savoirs ? Comment écrire au mieux afin que tous ces lecteurs potentiels comprennent le message ?

Quel est le message de ces écrits professionnels ? Quel est leur but ou leur fonction ?

Les évaluations écrites : informer, classer, stimuler ou motiver, aider, encourager les élèves ….

Il faut aussi l’avouer et les recherches en éducation nous l’ont beaucoup montré (Merle, 1998; Perrenoud, 1998), l’évaluation créée aussi des injustices scolaires et sociales pour la suite du parcours de l’élève. L’évaluation, malgré toutes les précautions gardera sa part d’arbitraire, ne sera jamais neutre ou objective.

Sachant tout cela, un jugement et un positionnement professionnel éthique (Jeffrey, 2013) s’impose à l’enseignant. Comment évaluer l’élève de manière à l’encourager et à le motiver ? Que donner comme pistes à l’élève pour qu’il puisse élaborer sa propre auto-évaluation, comprendre ses forces et ses faiblesses ? Qu'est-ce que l’évaluation apprend finalement à l’élève ? Lui permet-elle de s’améliorer vraiment ? Lui fournit-on les outils ? « Pierrette ne termine pas ses plans de travail dans les délais ». L’enseignant « l'encourage à demander plus rapidement de l'aide afin qu'elle puisse apprendre à mieux s'organiser ». Ou le laisse-t-on avec le « verdict de l’évaluation » sans aucune possibilité d’y travailler et y remédier comme dans la phrase « Marc ne connaît pas ses livrets » ?

Notes :

Andreea Capitanescu Benetti, chargée d’enseignement, LIFE - Laboratoire-Innovation-Formation-Education, Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Formation des enseignants primaires. Patricia Riedweg, enseignante à l’école primaire genevoise, Département de l'Instruction Publique, (DIP).

Ducrey, F., Guilley, E., Hrizi, Y., Petrucci, F. avec la collaboration d'Elisabeth Issaieva Moubarak-Nahra (2014). Analyse de la charge de travail des enseignant-e-s de l’enseignement primaire ordinaire. Genève : Service de la recherche en éducation. – en ligne : http://www.geneve.ch/recherche-education/doc/publications/docsred/2014/a...

http://icp.ge.ch/ep/etidep/IMG/pdf/d-dgep-01a 17_evaluation_des_competences_et_connaissances_des_eleves.pdf

Références bibliographiques :

Butera, F. Buchs, C. et Darnon, C. (dir.). (2011). L'évaluation, une menace ? Paris : PUF.

Cifali, M. (1994). Le lien éducatif : contre-jour psychanalytique. Paris : PUF.

Hutmacher, W. (1993). Quand la réalité résiste à la lutte contre l’échec scolaire : analyse du redoublement dans l’enseignement primaire genevois, Genève : Cahiers du Service de la recherche sociologique, 36. En ligne : http://www.ge.ch/recherche-education/doc/publications/cahiers/36/quand.pdf

Jeffrey, D. (2013). L’éthique dans l’évaluation scolaire. Québec : Presses de l’Université de Laval.

Merle, P. (1998). Sociologie de l’évaluation scolaire. Paris : Que sais-je ?

Perrenoud, P. (1998). L’évaluation des élèves. De la fabrication de l’excellence à la régulation des apprentissages. Bruxelles : De Boeck.

Rebonds 2

Deux difficultés me semble-t-il dans cet article, d'ordres différents :

Une problématique difficile à cerner : le problème abordé porte-t-il sur des questions relevant de l'écrit, des formulations à trouver pour communiquer de l'information ou des analyses à tel ou tel destinataire (ce qui est annoncé à la fin du troisième paragraphe) ? Ou bien s'agit-il de traiter la difficulté d'évaluer en elle-même, quelle que soit la forme sous laquelle on communique ensuite les résultats de l'évaluation (paragraphes 12, puis 24) ? Je crois qu'il faudrait davantage choisir.

S'agit-il d'un état des lieux, ou de propositions ? Peut-être faudrait-il préciser d'une façon ou d'une autre, par exemple dans un encadré, sur quoi votre propos est fondé (des études menées par le LIFE ?). Mais surtout, je crains que la promesse annoncée par la question de la fin du troisième paragraphe ne paraisse pas tenue au lecteur à la fin de l'article. Il faut dire qu'elle était ambitieuse… En tout cas, il me semble qu'il faudrait rester plus modestement à un état des lieux de ce qui se fait et des difficultés qui apparaissent, ou alors s'engager plus nettement sur des propositions en faveur de formes d'écriture sur l'évaluation effectivement utiles, en particulier aux élèves.

D'accord pour cette nouvelle version, merci de la reprise.

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