privé

Nous avons rencontré deux enseignantes du lycée Paul Langevin de Suresnes. Leur engagement préfigure-t-il une redéfinition du métier déjà engagée sur le terrain ? Propos recueillis par Michèle Amiel et mis en forme par Yannick Mével.

 

Des enseignantes engagées au quotidien
Barbara Dartigues est professeure de sciences physiques et membre très active d’équipes diverses (classes, projets…), référente (accompagnement d’élèves de seconde en difficulté), tutrice ; professeur principal, coordonnatrice disciplinaire,  chef de travaux, membre de l’équipe de direction, membre du conseil pédagogique, du conseil d’administration, formatrice… « En arrivant au lycée de Suresnes j’étais ravie d’arriver dans un établissement à forte dominante scientifique. Les classes de seconde m’ont fortement intéressée, avec certains élèves en difficulté : ce n’étaient que des collégiens avec deux mois de plus ! Je n’ai pas voulu entrer  dans un système de cours classiques, magistraux. Très vite de nombreux  de projets sont arrivés. Dès la première année, j’ai  participé  au conseil d’administration : la vie du lycée dans sa globalité  m’a toujours intéressée. J’étais aussi professeur principal de seconde. Chaque année, je dis que je ne recommencerai pas et chaque année, je redemande à l’être”.
Agnès Raimon est professeure de sciences de la vie et de la terre et membre très active d’équipes diverses (classes, projets…), professeur principal, coordonnatrice disciplinaire,  référente,  membre du conseil pédagogique, du conseil d’administration, du conseil de discipline, formatrice d’adulte, tutrice de professeur stagiaire… « Je suis au lycée depuis plus de 20 ans. Nous avons vu le public énormément changer, et face aux difficultés, il a bien fallu trouver une solution. Jeune professeure, j’ai reçu beaucoup d’aide de la part des anciens dans l’établissement et cette aide m’a permis de mieux intégrer mes fonctions. Lutter contre l’absentéisme, le manque de travail, cela m’a poussée à intégrer la fonction de professeur principal. Prendre la responsabilité du laboratoire, je m’y suis sentie obligée  pour résoudre des relations conflictuelles entre personnels. Mais j’ai conclu que c’était une bonne expérience pour comprendre le fonctionnement de l’établissement du côté de l’intendance. Quant à la fonction de référente - accompagner les élèves en difficulté-, cela m’est apparu comme la continuité du travail de professeur principal. Avec 36 élèves dans la classe, on peut passer à côté du besoin de certains élèves. »

Au cœur de l'émergence du collectif, elles contribuent à une redéfinition de la liberté pédagogique de l’individu à l’équipe.
BD : Quand les salles sont occupées en physique chimie, la seule solution c’est de faire les même TP. Certes, on parle de liberté pédagogique,  mais en fait c’est de la liberté pédagogique de l’équipe qu’il s’agit. C’est-à-dire qu’on définit ensemble ce qu’on va faire, on disposera tous du même matériel sur la journée pour des TP. Sinon impossible de fonctionner !
AR : Ça me fait rire dans les BO quand on voit écrit partout dans  les programmes « liberté pédagogique » : en fait c’est très cadré puisque on a une épreuve pratique qui entre dans l’évaluation du baccalauréat-  l’Evaluation des compétences expérimentales-, et qui  détermine nos TP.
BD : C’est qu’on n’a pas le choix de faire ou pas des activités interdisciplinaires : tous les programmes des disciplines scientifiques l’imposent. Il faut être plus polyvalent. Quand je suis arrivée au lycée,  il y ait beaucoup de projets, mais moins de cohésion entre les professeurs que dans mon collège où les élèves étaient très difficiles. Malgré notre individualisme, nous sommes  obligés de travailler ensemble, dans le cadre des Travaux personnels encadrés par exemple…
AR : Les profs sont individualistes certes, mais je constate  une évolution : nous  communiquons beaucoup plus. Avec mon expérience de  professeur principal, je trouve que les membres de l’équipe pédagogique travaillent plus ensemble qu’il y a cinq ans.
BD : Nous avons rencontré des difficultés l’an dernier concernant l’évaluation par compétences en terminale Scientifique : de grosses différences d’évaluation entre deux jurys. Cela a entraîné de nombreux échanges dans l’équipe disciplinaire. L’enjeu était de taille car peu de temps après il y avait les épreuves expérimentales   pour le bac de Sciences et Techniques de laboratoire. C’est une épreuve de 4 heures coefficient 7,  il ne fallait donc pas retrouver ces différences entre deux jury .Nous avons vidé notre sac, travaillé ensemble l’évaluation par compétences et nous avons fini par nous apercevoir que pendant un an, nous n’avions peut-être pas enseigné dans le bon sens.

Elles  assument des fonctions autrefois dévolues à la hiérarchie (emplois du temps, gestion des salles et du matériel) ou à des spécialistes (orientation, COPSI) et en partie aujourd'hui renvoyées au collectif. Elles se retrouvent souvent en position d’arbitres des conflits entre professionnels. Cette situation les fait s’interroger sur leur statut entre « primus inter pares » et intermédiaires hiérarchiques. 

BD : Quand de nouveaux collègues arrivent dans l’établissement, certains enseignants voudraient leurs laisser seulement les niveaux les moins gratifiants : des secondes difficiles ou des L / ES, en invoquant souvent que lorsqu’ils sont arrivés c’étaient comme ça. Moi, je préfère la rotation et  c’est ce choix que je propose à la direction qui décide en dernier ressort…et en général reprend mon choix car elle sait que j’ai une vision globale de la situation de l’équipe, que j’élabore le projet que je pense le plus cohérent, le meilleur pour les élèves, le moins difficile pour les nouveaux collègues. Cela crée cependant des conflits entre enseignants. Force est de constater, c’est toujours les même personnes qui nient la réglementation et qui refusent  quand le sort les désigne pour tel ou tel service.  Chaque année il y a conflit…
Le chef des travaux doit se tenir informé sur  toutes les nouvelles pratiques pédagogiques d’autant plus qu’il est en contact fréquent avec l’inspection pédagogique qui demande  d’impulser toutes les pédagogies nouvelles, en dernier les compétences. Ce n’est pas toujours simple  quand, dans mon cas, je suis une des plus jeunes de l’équipe de sciences physiques.
AR : Je suis tout  sauf  un chef. Il s’agit surtout d’être à l’écoute des autres avant de prendre une décision, la meilleure possible. Surtout avec un budget limité.  Prendre en compte la diversité des demandes des profs, leur personnalité, c’est important dans une équipe.
BD : Situation  délicate parce que, finalement,  je suis assise entre deux chaises : le corps d’inspection  me fait des demandes,  les enseignants me font des demandes et l’administration m’en fait d’autres ; toute cette pression est assez pénible. Parfois il faut acter les choses, n’en déplaise à certains…
AR : On n’a pas de poids. Les collègues acceptent volontiers la décision que l’on prend si elle est motivée. Il faut leur expliquer. On ne peut pas faire tel TP parce que… le coût pour trois classes de première S c’est énorme par rapport au budget…
AR: Mon mari travaille  dans le privé. A un moment, il était effaré du fait qu’il avait des collègues qui arrivaient d’une autre boite informatique, on les faisait travailler le samedi sans les rémunérer mais la société leur offrait un repas pizza gratuit. Quand j’ai vu arriver nos réunions de concertation  le midi avec le sandwich offert  je me suis dit ça y est, c’est les repas pizzas. Cadre, mon mari ne compte pas ses heures et je me dis que cela évolue dans ce sens  pour nous maintenant.

Alors, un autre métier est-il en train d’émerger ? Leur réponse est ambivalente : entre demande de reconnaissance et volonté de ne pas s’y enfermer…
BD : Le problème  majeur, c’est que cet engagement représente beaucoup de temps, qui n’est absolument pas reconnu. Je ne parle pas d’argent mais de reconnaissance de la part des membres de l’institution.
AR : Le temps ! On nous en demande beaucoup. On ne peut pas être dans notre discipline, dans les classes, à gérer des conflits, à se former… moi, je travaille mais je ne compte même plus mes heures. Les gens ont des week-end, moi j’ai des soirées où je bosse comme une dingue…
BD : Cependant, tout pris en compte, c’est le gain qui l’emporte. La principale compétence que j’ai dû développer c’est la communication. Chaque année, je connais un peu mieux le système. J’ai beaucoup appris aussi sur les pratiques de mes collègues : j’observe de plus près  les pratiques de chacun, cela m’amène à me poser  plus de questions : « ah, l’autre fait ça comme ça, finalement  c’est pas trop mal ; je vais essayer et changer ma façon de faire inchangée  depuis dix ans. »
AR : Il  faut rester modeste quand vous parlez de chef. C’est une responsabilité qui tourne. Je suis tutrice cette année mais je ne veux plus me présenter au conseil d’administration parce que ce sont  toujours les mêmes qui y siègent. Et puis je ne suis plus coordonnatrice de labo. J’ai délégué la fonction à quelqu’un d’autre. On ne peut pas être partout. 
BD : Il y en a qui ne sont qu' « enseignant dans leur classe », et qui font ça très bien. En fait sur dix personnes il y en a toujours deux  très innovantes et motrices, un bon groupe qui travaille beaucoup mais ne se met pas assez en avant et puis un ou deux qui ne changeront pas.
AR : il faut vraiment que les responsabilités tournent. J’en ai assumé plusieurs  pendant un certain temps et je dois dire que ça m’a un peu usée. Et là j’ai dit j’arrête, il faut que je fasse un break.
BD Je ne pense pas que l’institution va aider les profs à évoluer, vue la lenteur du système…En fait, nous ne comptons que sur nous-mêmes : nous essayons de faire des projets au niveau de l’établissement scolaire. La solution, c’est l’échelle locale, avec un chef d’établissement à qui on donne du pouvoir.