Naissance d’un prof… du troisième type.

 

Première rencontre interdisciplinaire

« Dis moi, tu aurais des idées de projets interdisciplinaires Maths / Sciences ? En 3e, quelque chose où on utilise les fonctions, ça m’intéresserait… »

Nous sommes quelques jours avant la rentrée, je viens d’être accepté par l’équipe pour faire partie de Clisthène et c’est par ces mots que mon nouveau collègue de maths m’accueille.

« … Mais si tu as d’autres idées, bien sûr, je suis preneur…. »

Des idées de projets maths / sciences… Bon… Je réfléchis. Vite, je passe mentalement en revue les programmes de la 6e à la 3e, les différentes activités, cherche à quel moment j’ai besoin des mathématiques. Besoin des mathématiques ! C’est là le premier réflexe quand on se retrouve plongé dans l’interdisciplinarité. On réfléchit d’abord à sa discipline et on cherche ce que pourrait, nous, apporter les autres. J’avais une vision « disciplinocentrée ».

«  Mais,au fait… C’est quoi exactement le programme de maths en 3e ?» Je commence à avoir des sueurs froides  à l’idée de devoir consulter tous les programmes officiels de toutes les disciplines pour tous les niveaux de la 6e à la 3e afin de trouver des connexions entre ma discipline et les autres. Heureusement, les collègues me rassurent :

« Chacun d’entre nous a rédigé une grille d’objectifs disciplinaires. Pour chaque niveau, on a rédigé les objectifs en termes de connaissances et de capacités à acquérir. D’ailleurs, si tu pouvais en faire une pour les sciences, ça nous aiderait à trouver des idées de projets.»

Je rentre de cette première journée avec mon premier devoir maison. Rédiger, pour chaque niveau, de façon synthétique, ce que signifie pour moi l’enseignement des sciences. Mais ce n’est pas un mémo personnel, une feuille de route, ni même un document d’harmonisation pour les collègues de ma discipline. C’est un document à destination des collègues d’autres disciplines.

Comment expliquer simplement mais précisément ce que j’attends d’un élève de 5e dans le domaine scientifique à mes collègues d’espagnol, d’EPS et d’arts plastiques ? Qu’est-ce qui compte pour moi ? Comment perçois-je l’enseignement scientifique ? Quel est l’absolu et l’accessoire, les seuils et les jalons, ce qui est du domaine du pur disciplinaire et ce qui est partagé par d’autres ?

Au fur et à mesure que je rédige cette grille, ma vision commence à se transformer. Des liens apparaissent, un réseau surgit. Je commence à distinguer les connexions, les répétitions, les voies sans issue et certaines incohérences. De l’idée « que peuvent m’apporter les autres disciplines, je passe à l’idée « qu’est-ce que ma discipline peut apporter » puis à l’idée « qu’est-ce qui est spécifique à mon enseignement et qu’est-ce qui peut être mise dans un « pot commun », travaillé sous d’autres angles, avec d’autres approches? »

Et c’est ainsi que je me suis retrouvé, au bout de quelques années, à aborder la détermination des végétaux en rédigeant un conte, à travailler sur l’impact de l’homme sur l’environnement en étudiant en espagnol les tortues du Costa Rica, à mesurer des fréquences cardiaques sur une piste d’athlétisme avec mon collègue d’EPS, à étudier l’environnement urbain en parcourant le quartier en compagnie du professeur d’Histoire- géo, à expérimenter les mélanges aqueux pour fabriquer une boisson et son contenant avec les arts plastiques. Je devenais interdisciplinaire.

 

Bien sûr, ça ne se fait pas en un claquement de doigts. Je suis passé par différentes phases.

Il y a eu, par exemple, la phase « accroché aux programmes », par habitude, par sécurité. Celle d’« Interdisciplinarité absolue » où j’en venais à oublier les spécificités de ma discipline et, du coup, celle des autres et où je me croyais capable d’aborder à moi tout seul l’enseignement des maths et la maitrise de la langue. Aujourd’hui, au bout de 5 ans, je suis arrivé à un certain équilibre entre spécificité disciplinaire et transversalité. Cela m’a apporté une ouverture, des connaissances et des techniques. Une fois qu’on accepte de quitter, pour un instant, la posture de celui qui sait, une fois qu’on accepte de dire « je ne maitrise pas, peux-tu m’expliquer ? » on apprend et on finit par se rendre compte que ça enrichit notre pratique disciplinaire. On enseigne mieux parce qu’on a appris, avec le collègue de maths, comment aborder la proportionnalité et l’argumentation avec la collègue de français. Mais ça a demandé du temps, du travail, des efforts, des échanges constants.

 

Première co-intervention.

 

La rentrée vient d’avoir lieu et c’est mon premier cours à Clisthène. Je ne connais pas les élèves, ils ne me connaissent pas. Mais mon premier cours n’est pas un cours de sciences, où j’accueille les élèves dans ma salle, prêt à leur expliquer le programme et mes exigences, cette routine un peu stressante des premiers cours.

Ce premier cours, je le passe avec ma collègue de français, avec la classe de 4e. On débute un projet français - sciences sur les volcans et on va tenter de déterminer les deux types de volcanisme à partir d’extraits de textes littéraires.

C’est une sensation un peu étrange. Je ne suis pas dans ma salle de sciences, je ne suis pas seul. Je me sens observé, évalué, par les élèves et par ma collègue. Des milliers de questions m’assaillent : « vais-je être crédible ? » « Vais-je réussir à assoir mon autorité ? «  « Faire cours avec un collègue, les élèves vont-ils prendre ça pour de la faiblesse ? » « Comment établir le contact ? «  « Quand intervenir, pour les explications comme pour les rappels à l’ordre ? »

Le cours commence et ces multiples interrogations disparaissent. En activité, les élèves nous interpellent indifféremment, nous circulons, nous nous croisons, passons d’un groupe à l’autre. Au moment de la synthèse, chacun prend le moment de faire le bilan, de revenir sur les notions. Je  sors de la classe en se disant qu’au final, ce n’était pas si terrible et que la présence de l’autre, loin d’être déstabilisante, est plutôt rassurante. Et j’ai dit, première fois d’une longue série : « je ne sais pas, demande à ma collègue » sans que ça me plonge dans les affres de l’insécurité.

 

Faire cours en co-intervention, c’est nouveau. Quand les élèves sont en activités et que nous sommes à deux dans la classe comme ressources, c’est assez facile. On circule de table en table, de groupes en groupes, on échange quelques mots.

C’est un peu plus compliqué quand on doit faire une synthèse ou apporter des notions de façon magistrale. On est sous le regard de l’autre, pas un élève, mais un pair. On ne peut s’empêcher de se sentir évalué.  On n’est plus dans un one man show mais dans un duo. L’espace de la salle s’en trouve modifié, on partage le bureau, le tableau, les travées.

C’est délicat aussi quand un problème de comportement surgit. Qui intervient ? Comment ? Ai-je le droit d’intervenir ou dois-je laisser le collègue gérer ? Parfois on fait front, en harmonie mais il arrive qu’on gère le problème différemment, parfois en désaccord, avec le risque que les élèves s’engouffrent dans cette brèche.

 

Mais c’est aussi un moment d’enseignement formidable où on se retrouve assis au fond de la salle, à côté d’un élève, à écouter le collègue et découvrir des domaines insoupçonnés sur l’art, la domotique ou l’histoire des nombres, où on repère comment s’y prendre avec cet élève qu’on a, nous, du mal à gérer, comment expliquer la conversion des unités ou aider à améliorer la syntaxe.

Parfois, on est celui qui mène, parfois on n’est que l’assistant ou le technicien.

 

La confiance s’installe, le jugement disparait au profit de l’entraide et de la complémentarité.

Là encore, ça ne se fait pas facilement, ça ne se fait pas rapidement, tant l’habitude « un prof, une salle, une classe » est ancrée. Mais une fois l’habitude prise, on en vient même à souhaiter voir arriver dans son cours le collègue de maths ou de français pour donner un coup de main sur telle ou telle notion qu’on sait difficile à aborder.

 

Premier pas comme tuteur

C’est ma seconde rentrée à Clisthène et je suis tuteur d’un groupe de 12 élèves. Ca a l’air simple, tuteur, une sorte de professeur principal mais pour 12 élèves de niveaux différents. Je devrais m’en sortir, après tout, il s’agit juste de rendre le bulletin en mains propres aux parents trois fois dans l’année, de superviser l’aide au travail deux fois par semaine et de gérer et animer le temps de bilan du vendredi.  A priori, je devrais m’en sortir.

Au bout d’un mois, je suis moins optimiste. En fait, tuteur, c’est un vrai métier.

Les aides au travail déjà. Aider à faire les devoirs, ça va, je m’en sors à peu près, même si j’ai du revoir Thalès, les didascalies, le schéma fonctionnel et les diphtongues. Mais au delà de l’aide aux devoirs, il y a aussi l’aide pédagogique, c’est à dire connaitre pour chaque élèves ses points faibles, ses difficultés et ses blocages, les compétences non acquises et pouvoir lui proposer, lorsque surgit l’inévitable « j’ai rien à faire, mes devoirs sont faits », des exercices adaptés à son niveau. Ca demande donc de vérifier ses cahiers, ses évaluations, de demander avis et conseils aux collègues.

Tuteur, c’est aussi gérer le côté éducatif. C’est trouver dans son casier un rapport d’incident et découvrir que son tutoré a été insolent, s’est battu, a perturbé le cours. C’est organiser une rencontre entre l’élève et le professeur concerné pour établir un dialogue, proposer une réparation, poser une sanction. C’est appeler les parents, les informer, éventuellement prendre rendez vous, contacter l’assistante sociale, la COP, le centre social, faire le point avec le CPE et la vie scolaire.

 

Tuteur, c’est, lors du temps de bilan, expliciter les décisions d’équipe, écouter les râleries diverses, rassurer, consoler, remettre les événements de la semaine à leur juste place, expliquer que la dispute avec Tiffany s’arrangera sans doute, que non, le prof de techno ne la déteste pas et que non, vraiment, on ne peut pas utiliser le portable dans l’établissement, que ça a déjà été dit la semaine d’avant, et celle d’avant et celle d’avant.

 

Tuteur, c’est, enfin, connaitre le parcours scolaire d’un élève par coeur, le conseiller au mieux, établir une relation de confiance et de respect avec lui et sa famille. C’est le rassurer et le cadrer, sanctionner et encourager, le secouer et le féliciter.

Un vrai métier.

 

Cédric Pignel, professeur de Sciences de la Vie et de la Terre au collège Clisthène, Bordeaux.