privé

 
Document texte  

J'ai été inspectée quatre fois : Deux fois je l'ai reçu positivement, deux fois avec douleur, à chaque fois cela a fait donner à ma carrière des tournants importants.

 

Lors de ma formation, une inspection intelligente compte encore pour m'assurer de ma créativité et ma capacité à affronter les difficultés du métier. Pendant des années, à chaque inévitable moment de doute ou de fatigue, j'ai relu le rapport, tout élogieux, sans complaisance. Encore maintenant, j'applique les idées partagées avec l'inspectrice lors de l'entretien. Les eût-elle écrites que je les aurais peut-être lues comme des critiques, moins sûre de moi alors qu'aujourd'hui, trente ans plus tard. Mais l'alliance d'écoute de sa part, d'accueil de mes idées, de mes peurs, aussi, ont fait de cet entretien un ressort tout positif. Je pense qu'une bonne inspection dépend de la posture de l'inspecteur. Celle-ci était venue encourager une jeune enseignante, quoiqu'elle ait vu, et ses critiques orales comme ses compliments écrits me restent fondateurs.

 

La posture de nos cadres a-t-elle changé? J'ai moins bien profité des trois suivants. Mais toujours, ils m'ont aidé à passer des caps importants.

Une deuxième inspection, près de 15 ans plus tard, m'a fait affront. Elle a eu comme conséquence directe de me faire adhérer au Crap et commencer à écrire mon métier dans les Cahiers Pédagogiques pour mieux y réfléchir.

Seulement 5 ans ont passé avant que j'aie droit à des félicitations pédagogiques d'une troisième inspectrice. Sur le moment, ça a été comme du miel. Je me suis engagée plus avant dans la vie associative comme dans mon métier. Aujourd'hui, je repense à mon travail qui lui a plu :  il ne méritait pas que félicitations. J'avais tout fait pour la bluffer, ça a marché.

Ma quatrième inspection n'a pas jugé suffisant le niveau de mes élèves : avec le recul et un long entretien, à ma demande, auprès de mon inspecteur actuel, je réalise que mes exigences envers mes élèves, si joliment mis en action pour bluffer ma deuxième inspectrice,  n'avaient pas été bien hautes non plus. Cette troisième inspection, réussie, m'avait surtout servi à  passer le cap d'un besoin de vengeance sur le système, d'un besoin de prise de pouvoir sur mon travail. Après la quatrième, ratée, j'ai repris des études et décidé de travailler en sciences de l'éducation, sur l'accompagnement. A présent, je me pose la question de l'efficacité de mon travail, je n'ai jamais autant travaillé que depuis l'entretien où j'ai pu mettre toute l'histoire de ma carrière en perspective.  

 

Les inspections m'ont été utiles, cela ne fait aucun doute. Il m'a fallu apprendre à me mettre dans la bonne posture. Je suis restée à l'école parce que j'aime apprendre, certes. Mais n'ai-je pas aussi eu longtemps envie de rester un peu enfant?

Nos supérieurs ont du pouvoir symbolique. Ils ont la responsabilité de voir l'ensemble du système fonctionner. Tant que je les vois comme chargés me dire du bien, du mal, bref de me juger, moi, dans ma classe et ma discipline : je garde une posture infantile. Cela peut servir mon travail, surtout du côté positif, mais pour un temps limité seulement. Pour me faire grandir dans mon métier, sortir des jugements en bien/en mal, j'ai personnellement cherché de trois côtés : du côté des Cahiers Pédagogiques, y apprendre une réflexion autre que disciplinaire, et quelle réflexion! du côté de l'Université, y apprendre des groupes, des postures et de la réflexivité; enfin du côté de mes collègues, pour, malgré l'individualisme des inspections, tâcher de faire équipe.

 

Je finirai donc par quelques questions : Qu'est-ce qui permettrait aux inspecteurs de faire figure encadrante, au delà du jugement individuel et disciplinaire de chacun ? Quelle posture pourrait accompagner nos carrières sans laxisme, sans préjugés, sans autoritarisme? Certains fonctionnements d'inspecteurs sont-ils particulièrement infantilisants? Comment s'en débarrasser? L'inspection peut-elle grandir, pour faire un cadre adulte, à un métier adulte? Sous un autre nom? Ou faudra-t-il continuer à grandir, un peu avec elle, un peu contre elle, et malgré tout, bon an mal an, encadrés, plus ou moins bien, selon les individus?  Comment ce métier d'inspecteur,  qui reste si souvent un de nos cauchemars , peut-il évoluer ailleurs que dans des rêves puérils? Quelle réforme, quels recrutements, quelles formations pour ces indispensables maillons intermédiaires du système, qu'ils en deviennent une part dynamique et créatrice?

Sylvie abdelgaber

  Logo Google Drive