Ce moment où tout est possible

La rentrée. Ce moment de l’incertain, de l’excitation et parfois de l’inquiétude. Nous anticipons durant ce moment où nous ne les connaissons pas encore. Ce moment où ils sont omniprésents par leur absence. Ceux sans qui la classe n’est qu’une simple salle, les élèves.
Que se passe-t-il donc dans notre tête, alors que nous lisons leurs noms sur une liste ? Imaginons-nous leurs visages ? Rêvons-nous nos relations ? Essayons-nous d’anticiper le premier contact ? Et si… Et quand, et comment, et…
Ces moments nous permettent de devancer les situations pour ne pas avoir à les subir, pour mieux les appréhender et mieux les savourer. Chacun choisit sa combine, prépare cet infini d’hypothèses avec ses propres tactiques, pas toujours les mêmes. Tel choisira de respirer l’odeur si caractéristique des feutres pour tableau. Telle autre, très organisée, prévoit tous ses cours, ainsi que le matériel nécessaire pour le trimestre à venir. Un autre, encore, inspecte méticuleusement chaque recoin de cet établissement dans lequel il enseigne pourtant depuis vingt ans. Une autre choisit de ne pas y penser, il arrivera bien ce qui arrivera. Certains, même, en prévision, comme une réassurance, choisissent de ronchonner d’avance sur le matériel toujours en panne ou encore le fait que, c’est sûr, cette année encore, c’est eux qui auront Kévin et Jennifer. Ce jour est une forme de catharsis vécue seul autant qu’en équipe.
Nous le vivons d’ailleurs bien plus souvent encore qu’on ne l’imagine, ce temps des possibles. Chaque lundi matin, est une promesse autant qu’une source de questionnements. Une semaine à découvrir. Découvrir comment nos activités prévues s’accommoderont des impondérables. Il neige, vous avez vu ! Il neige ! Et l’enseignant, sachant que la neige est l’un de ses pires adversaires cherche, comme toujours, dans son cartable, sac à malice, l’astuce pour parer les imprévus. Ainsi, chaque matin, sur le chemin de l’école, nous nous surprenons à observer le ciel. Soleil rasant équivaut à plaisir anticipé de retrouver les élèves. Ciel bas et lourd, mauvais signe.
Leur météo intérieure non plus ne s’accorde pas toujours avec notre programme. On cherche des signes, on hésite, car bien entendu, de notre météo personnelle aussi dépend la rencontre de nos 31 réussites. Alors, aujourd’hui, radio ou pas ? Musique ou infos ? Chaque détail devient comme une passerelle qui nous rapproche de la rencontre.

Depuis la porte de ma salle encore vide, je les attends. L'impatience me gagne. Je voudrais qu’ils soient déjà à la porte, entrés, assis. Soudain, je les vois. Ils sont dans le couloir. Ils sont à la porte. Ils sont là. Tout devient clair. Aussitôt je devine, à leurs sourires. A leur précipitation. Au ton du « bonjour » qu’ils m’adressent. Je sens que c’est un bon jour. Que tout est possible, ensemble.