privé Ce fil est en édition sur Plume depuis le ven, 24/10/2014 - 10:36

Le travail des retours dans les ateliers à distance.

Je suis formatrice en écriture et dans ce cadre, animatrice d’atelier d’écriture littéraire ou de création. Il ne s’agit pas à proprement parler d’enseigner mais d’accompagner les participants de ces ateliers à l’émergence de leur voix propre. Pour le dire autrement : accompagner le processus de l’écriture qui se développe sur un axe vivant qui va du « lâcher » - ne pas réfléchir avant d’écrire, quitter les habitudes de la rédaction, ouvrir la porte à la langue que l’on porte en soi - « au construire » - prendre conscience de ses points d’appuis, de ses pivots, de ses territoires d’écriture, mesurer les effets produits par son texte sur des lecteurs, poursuivre la transformation de la matière première du premier jet, travailler un texte vers son aboutissement.

Le dispositif de l’atelier repose sur 4 temps, que cela soit en présentiel ou à distance : un proposition d’écriture que l’on raconte, accompagnée d’une médiation – un texte d’auteur qui est là pour nourrir le thème abordé, pour commencer à faire lever l’imaginaire avant l’écriture, pour mettre en route des associations libres, pour rattraper parfois l’auteur à son insu via une expression, un tempo et aussi, parfois, pour la contrainte formelle qui accompagne la proposition. Ce sont les moments 1 et 2. Puis vient le temps d’écriture – sous contrainte minutée en atelier, avec date de livraison et contrainte d’un nombre de signes, pour les ateliers à distance. Puis le temps des échanges, celui que l’on nomme les retours. Retours des autres participants qui prennent le statut de lecteur, retour de l’animatrice.

Le retour est donc l’un temps forts du dispositif – que lit-on quand on lit dans cette optique ? Il ne s’agit pas de céder à la tentation de la correction – il n’existe pas de modèle à suivre : pas de hors sujet en atelier – ni à celle de se substituer à l’auteur.

Voilà pour le cadre. Dans la pratique le passage de la réalisation d’un retour écrit qui se substitue au retour oral est un réel apprentissage. Surtout quand il s’agit d’en réaliser entre 6 et 12 pour chaque groupe, à livrer à date fixe. C’est un travail solitaire.
Sur les 4 ans où j’ai ainsi animé des groupes à distance via les ateliers mail j’ai connu et expérimenté bien des situations d’écriture. Même si l’on dispose d’une « grille » pour poser ses mots, elle ne permet pas toujours d’écrire avec aisance ledit retour.
La grille repose sur 3 points : le « salut » au texte, c’est à dire globalement l’effet produit par le texte. Puis pointer ce qui fonctionne et nourrit l’écriture, et enfin questionner ce qui pourrait être repris, les fils à tirer, pour pousser le texte plus loin. Tout cela en trouvant le « ton » : bienveillance, humour, attention. Et puis lorsque les retours sont livrés, ceux des autres participants compris, il est important de les lire et éventuellement de repréciser le cadre en cas de glissements ou de confusions qui confondent le texte et l’auteur ou si pointe l’oreille d’un désir de correction.
Mais de la théorie à la pratique il y a une distance qui varie d’un écart que l’on peut sauter sans danger à un gouffre.

Je me souviens des différents essais pratiqués.

Recevoir les textes des gens selon les groupes. Les enregistrer et les classer. Les imprimer. Les lire une première fois pour voir la tonalité des livraisons. Les lire une deuxième fois en les annotant en marge, repérer les grands axes en fonction des contraintes fournies par la proposition. Et par le type d’atelier : s’il est régulier chaque séance est autonome, ce qu’il s’agit de repérer de séance en séance c’est ce qui se passe dans la voix de l’auteur. S’il s’agit d’un atelier à genre – la nouvelle ou l’autobiographie pour ma pratique -, chaque séance s’enchaînant pour tendre à la réalisation d’un objet littéraire, le regard et l’écoute se déplacent.
Puis ouvrir un document Word pour entamer le travail d’écriture à partir de ces lectures et de ces notes. Être parfois prise en otage par le logiciel qui « plante » et qui plantera toujours même réinstallé, se fermant inopinément et perdant ainsi parfois des heures de travail.

Je me souviens ensuite avoir gommé l’étape de lecture globale et d’être passé aux notes au fil de la lecture.

Au début, ça se passe plutôt bien. Avoir suivi moi-même un atelier par mail comme participante m’aide beaucoup à trouver le ton, à oser progresser dans l’écriture du retour. Les inquiétudes du type : « ah mais si c’est écrit ça peut être plus violent pour le participant, à l’oral on peut doser et réagir immédiatement aux expressions de son interlocuteur », ce type de frein ne me pèse pas, convaincue qu’il s’agit avant tout de garder la bienveillance, de souligner ce qui produit des effets sur la lectrice que je suis, sur ma sensibilité qui me permet d’avancer dans la forêt des mots sans m’y perdre. Et qu’il s’agit pour les énergies en jachère du texte de questionner, d’inviter l’auteur à se questionner pour lui permettre ensuite d’y revenir. Mes retours sont longs – 2500 à 3000 signes. Je n’arrive pas à réduire.

Mais je me souviens aussi de la page blanche qui peu à peu pointera son nez. Ce moment terrible où bien que l’on lise et relise le texte posé sur le métier, rien ne vient. Rien à dire de ce texte ni des autres. C’est sans doute la plus grande difficulté : ce blanc. Et la tension qui monte au fil de la semaine, le tictac du temps qui reste avant la livraison du samedi avant midi. Ça devient obsessionnel, y penser sans cesse tout en travaillant à d’autres choses, car ma pratique à cette époque mêle des groupes en présentiel, en soirée, en w-e, auxquels s’ajoute deux jours et demi de bureau et de communication, et de ponctuels interventions en formation pour adultes. Quand ça ne vient pas, quand le texte reste obstinément mutique, l’épuisement s’installe. Le découragement, le doute. On se demande pourquoi on a choisi ce métier, quel besoin de s’infliger un tel pensum, que les textes des autres ça commence à bien faire et les siens alors ? On écoute avec plus de compassion les amis enseignants et leur cauchemar professionnel à eux : les copies. On refuse de réaliser des lectures diagnostics, c’est à dire la lecture de manuscrit sur lesquels faire retour, encore, à l’écrit. Tout s’assèche.

Le texte muet n’est pas en cause. C’est mon humeur de lectrice qui n’est pas réglée comme il faudrait. L’obstinément tu, l’illisible du texte vient de l’absence de curiosité joyeuse. Lire, ouvrir un chemin dans le texte, s’étonner, s’amuser, s’arrêter. Être surprise, détournée, emmenée soudain où l’on ne s’y attendait pas. Percevoir les mots et les silences. La qualité de ces derniers et la caisse de résonnance du texte. Bref, y être pleinement. Le réel déclic et la compréhension de ce qui peut parfois me freiner – hormis le « trop » des différentes casquettes à l’œuvre – vient des paroles d’un autre animateur lors d’une réunion pédagogique.

  • Pour moi, faire un retour, c’est comme écrire : il faut plonger et écrire au fur et à mesure de la lecture.
    - Ah bon ? Tu ne les imprimes pas avant, tu ne fait pas de lecture préalable ? Tu ne prends pas de notes ?

Je me souviens de son rire.

- Non, pas du tout, le retour se tisse au fur et à mesure que j’écris en lisant le texte.

Lors de la même réunion, chacun ayant apporté un retour, je réalise aussi combien je fouille profond dans les textes lus. Même si je ne suis pas la seule à descendre ainsi, d’autres creusent moins. Ce qui semble aussi convenir.

À partir de cet échange, j’ai un viatique extrêmement précieux : faire retour c’est écrire. Ce qui pourrait sembler d’une bête évidence provoque chez moi un déclic profond. Je n’imprime plus. Je lis et je plonge. Les blancs s’estompent. Écrire c’est aussi se relier à ce qui vient. À cette fameuse joie sourde qui tout en restant à la marge éclaire le chemin parcourut.

Puis si j’ai arrêté ce type d’animation ce fut moins par lassitude de cette pratique que pour supprimer les casquettes qui devenaient trop nombreuses. Plus tard j’ai retrouvé cette alchimie à travers l’essai d’un blog dans un groupe d’auteurs qui travaillaient sur leur chantier. Mais c’est une autre histoire.

Antoinette Bois de Chesne

Formatrice en écriture de création et en écrits professionnels
Formée par Aleph-Écriture
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