Ce fil est en édition sur Plume depuis le mar, 09/12/2014 - 22:39

L'idée du dossier que vous allez lire résulte d'une rencontre entre des membres de l'équipe des Cahiers Pédagogiques et des formateurs d'Aleph-Écriture, venus conduire une réflexion sur les pratiques d'écriture et d'accompagnement à l'écriture des coordinateurs des dossiers, pour les Cahiers. Il semblait alors intéressant, notamment pour interroger les différents points de vue, d'ouvrir le champ de réflexion de ce dossier à des pratiques d'écriture autres que celles de l'école, en sollicitant des contributions d'autres pédagogues, formateurs ou praticiens des ateliers d’écriture.

De fait, les enseignants et les formateurs parlent, beaucoup. Ils écrivent aussi. Parfois par plaisir, ou par goût, mais souvent par obligation tant l’écriture est partie prenante de leurs activités professionnelles. Sur un tableau, sur des copies, dans un logiciel, dans un cahier de textes (désormais souvent numérique), sur un carnet d’élève, sur un bulletin. Des annotations, des préparations de formation, des projets d'intervention, des comptes-rendus et des bilans, des « appréciations », des messages à des collègues, voire des articles dans des revues pédagogiques, des billets de blogs, des mémoires. De quoi faire un dossier !

L’écrit est donc partout. Pourtant, au quotidien, comme en formation, on accorde trop peu d’attention au processus de l’écriture (comment s’y prendre ?) et à ses produits (de quels écrits a-t-on vraiment besoin et pour quels effets ?). On peut être séduit ou rassuré par les facilités des formules toutes faites, le jargon du langage administratif, la rhétorique savante et contrainte des textes universitaires. On profite rarement de la distance que permet le passage par l’écriture, de ses dimensions heuristiques et herméneutiques et de leurs capacités à transmettre l'expérience. L’enjeu de ce dossier n’est pas tant de travailler à mieux écrire que d’écrire pour mieux travailler.

Il manque certainement ici des écrits de l’entredeux, entre vies privée et professionnelle, si présents à l’ère des communications numériques, mais si délicats à exposer par écrit. Nous aurions ainsi souhaité évoquer un échange de courriels entre un enseignant et une parente d’élève, où les écarts de maitrise de l’écrit aggravent les incompréhensions quant il s’agissait d’améliorer la communication ; un emballement dominical, toujours par courriel, au sein de l’équipe d’un établissement, à propos d’incidents entre professeurs et élèves, et la réciproque entre élèves, sur d’autres réseaux sociaux. Il y aurait sans doute également à dire sur la place des forums et autres espaces de discussion collective dans la constitution de la culture professionnelle des enseignants et des éducateurs, par exemple lors de débats publics sur la notation des travaux des élèves, ou encore des formateurs.

Le plan de ce dossier distingue l’écriture pour le travail (première partie) de l’écriture sur le travail (deuxième et troisième parties). Mais il y a bien continuité : écrire est toujours une manière de penser le travail, que l'on choisisse les termes exacts pour remplir un bulletin trimestriel ou que l’on s’expose en racontant ses pratiques dans un article de pédagogie. Et elle est bien en tant que telle un instrument de développement professionnel, à l’échelle individuelle, dans une réflexion sur ses pratiques, et à l’échelle collective, en nourrissant les échanges dans une équipe.

Nous espérons avoir évité la naïveté d'une écriture "totalitaire" qui se suffirait à elle-même (« z’aviez qu’à lire ce qui est écrit ! »), pour être attentif également à l’écriture comme arrangement avec et reconstruction de la réalité, comme support de relations professionnelles complexes et de stratégies qui peuvent l'être tout autant. Jamais facile de trouver les bons mots, et un rapport d’inspection peut ainsi être salutaire comme destructeur. Écrire est aussi un enjeu institutionnel : il y a toujours un risque à écrire pour dire ce que l’on a à dire.

Les écrits durent, certes, mais valent avant tout quand ils s'inscrivent dans des processus vivants : pour leurs auteurs, pour ce que l’effort d’écriture leur a apporté ; pour les lecteurs, par ce qu’ils vont faire de leur lecture. En l’occurrence, nous souhaitons vivement que vous trouviez là de quoi avoir envie d’écrire, ne serait-ce que pour nous dire ce que vous a inspiré ce dossier.

Au plaisir de vous lire !

Rebonds 3

Proposition pour la citation littéraire :

L'absence qui me tient lieu de souffle recommence à tomber sur les papiers comme de la neige. La nuit apparaît. J'écris aussi loin que possible de moi.

André du Bouchet, Dans la chaleur vacante, 1961.

Alors engendrer des mots noués à d'autres en images de choses déposées dans le fond des liens entre eux pour décrire est sans pourquoi

 

Les phrases sont des flaques étroites d'eau faible, et le sont sans cesser d'émettre si faire phrase sans cesse de la pensée est.

Jean-Patrice Courtois, Les jungles plates, Nous, 2010.

Il arrive que lirécrire tremble de terre et secoue vif un ou une qui va venir ou revenir à lui à soi.

Albane Gellé, bougé(e), Seuil, 2009.

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