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Les enseignants produisent de nombreux écrits en lien avec leur métier. On pense en premier lieu à ces écrits professionnels consubstantiels à la profession enseignante comme les écrits relatifs au suivi de l’activité professionnelle (compte-rendu d’enseignements dans le cahier de texte, par exemple) et de la scolarité de l’élève (évaluation dans le livret, par exemple) ; on pense également à la correspondance professionnelle (demande de subvention pour un projet, par exemple), etc. Au-delà de ces écrits à produire dans l’exercice de la profession, on observe, dans le contexte généralisé de déploiement du numérique, notamment des réseaux sociaux, que les enseignants sont de plus en plus nombreux à partager des traces écrites liées à leurs pratiques professionnelles. Ces publications sont parfois produites en réponse à une attente de l’institution (action innovante formalisée et partagée dans la bibliothèque nationale Expérithèque qui recense des innovations et de expérimentations pédagogiques, par exemple) qui souhaite que soient valorisées et partagées les productions « métier » ; d’autres fois, elles sont en lien avec la co-production et/ou le partage de ressources dans le contexte de l’appartenance à des réseaux sociaux professionnels non institutionnels (contribution à l’élaboration collaborative d’un manuel par l’association d’enseignants Sésamath, par exemple) ou à l’articulation de l’institutionnel et de la recherche (par exemple dans le cadre du réseau des LéA « Lieux d’éducation associés à l’IFÉ ») ; d’autres fois encore, elles s’inscrivent dans un mouvement spontané et libre (création d’un forum de discussion sur le Web à propos d’un problème professionnel, par exemple). Cros (2009) remarquait déjà la place grandissante de l’écrit dans un monde où pourtant l’image semble prépondérante, phénomène qui ne s’est pas démenti depuis. Ces écrits diffusés sont souvent des productions directement liées aux pratiques (préparation de séances, devoirs d’élèves et corrigés, projets élaborés…) ; parfois, ils concernent des éléments plus personnels (ressentis par rapport à des élèves difficiles, difficultés relationnelles avec les parents d'élève, voire interrogations sur la possibilité même d’exercer ce métier…). Ces écrits sur le Web ne sont pas organiquement liés aux pratiques, il s’agit d’écrits sur les pratiques. Si certains sont produits dans un cadre institutionnel, d’autres sont produits plus librement. Le passage sur le Web 2.0 ne s’accompagne pas seulement d’un changement de support, il questionne notamment la reconnaissance du statut de document et les phénomènes d’auteurisation ; Pédauque (2006) objective ces phénomènes sous le terme de « redocumentarisation ». D’autres écrits sur les pratiques sont produits avec une visée explicite de professionnalisation, par exemple, les mémoires en formation initiale de enseignants ; ils rejoignent les écrits professionnels par le fait qu’ils s’inscrivent dans les attentes institutionnelles.

La fonction première du langage est la communication qui est illustrée par la compétence « Maîtriser la langue française à des fins de communication » attendue chez les professeurs et les personnels d'éducation, qu’ils soient pédagogues ou éducateurs. La communication est en jeu dès lors que l’écrit est adressé à un récepteur, or, paradoxalement, alors qu’il permet communication et échanges, l’écrit échappe à celui qui le produit dès lors qu’il est lu par un tiers dont les dispositions ne peuvent pas être totalement anticipées. Quelques soient les précautions de celui qui écrit, il ne pourra pas contrôler l’interprétation du lecteur ; l’écriture est donc toujours prise de risques. A cette fonction de communication, Cros (2009) en ajoute deux autres posées comme essentielles que l’auteur nomme « fonction épistémique » et « fonction heuristique ». Cette dernière renvoie à la réflexivité ; si on apprend de son expérience (Dewey, 1938), la formaliser est a contrario difficile : l’écriture favorise la mise à distance de l’expérience. La fonction épistémique, quant à elle, renvoie au lien étroit entre langage et pensée ; l’écriture est élaboration cognitive de la pensée, instrument du développement de la personne. De même que Vygotski (1935) observe que le « parler pour soi » est le plus souvent le plan de résolution d’un problème, l’« écrire pour soi » est un instrument de développement qui permet de mettre à jour sa propre pensée et mais aussi d’apprendre à se connaître (Chabanne et Bucheton, 2002). L’écriture a donc un coût cognitif important, pourtant, alors même que la forme écrite permet un retour aisé sur une production première qui pourrait être couchée à la volée en vue de la reprendre, et sans que les premières versions ne soient rendues publiques, la réécriture est, elle aussi, souvent vécue comme un moment difficile (Barré de Miniac, 2000). Ces ancrages permettent de fonder le lancement d’une formation continue à l’écriture professionnelle prenant en compte ses fonctions communicative, épistémique et heuristique, en objectivant l’écriture dans et l’écriture sur les pratiques avec leurs problématiques spécifiques. Et pour ancrer cette formation dans une perspective de « genèse instrumentale » (Rabardel, 2005/2009), l’activité productive (la réalisation de tâches d’écriture) a une place prépondérante, ainsi que les médiations interpersonnelles (les échanges au sein du groupe en formation).

Entrer en formation par l’analyse d’écrits

La formation commence par des activités d’analyse d’écrits qui ne sont pas ceux des participants. Pour saisir les enjeux d’une écriture professionnelle et approcher les effets concomitants du passage sur supports numériques, la première activité est une analyse d’écrits liés au métier d’enseignant. Cette activité, première car elle demande moins d’implication cognitive et personnelle qu’une mise en écriture, prend appui sur des écrits d’enseignants produits dans quatre types de contextes : 1-Extrait de site d’associations d’enseignants ; 2- extrait de site où il existe un cadrage de la production (site institutionnels ou en lien avec la recherche en éducation) ; 3-document produit dans l’activité enseignante ; 4-document produit dans le cadre d’un projet (recherche, publication pédagogique). Les participants étaient invités à analyser ces écrits par petits groupes de trois ou quatre participants. Il leur était demandé d’identifier le document : qui l’a écrit et pour qui ? De quoi s’agit-il (un écrit dans ou sur les pratiques professionnelles) ? De quel « temps » s’agit-il ? Etc. Ils devaient également rechercher des éléments de réflexivité et de collaboration dans la production et/ou les pratiques professionnelles décrites, et faire une approche « critique » du document en le qualifiant. Le tableau 1 reprend les éléments qui ont retenu l’attention des membres d’un groupe de travail sur un dossier.

 

Tableau 1. Un exemple d’analyse produite à partir d’un dossier de quatre documents

1-Extrait site associatif

2-Extrait blog des LéA

3-Extrait de projet d’établissement

4-Article soumis aux CRAP

Réflexivité : à partir du moment où le document diffusé sera utilisé

Réflexivité : dans l’atelier décrit, mais pas dans le document

Réflexivité : en amont de rédaction du document

Réflexivité : analyse complète d’une expérimentation pédagogique sur du long terme

Collaboration : partage de connaissances, de pratiques, d’informations

Collaboration : création collaborative de projet

Collaboration : institutionnalisée par rapport à la situation de production du projet ; collaboration attendue d’une équipe

Collaboration : partage d’une expérience, d’observations, de réflexion

Appartenance à une communauté identitaire

Information ponctuelle ; communication efficace

 

Reconnaissance attendue pour un travail achevé

Qualificatif : collaboratif

Qualificatif : descriptif

Qualificatif : illisible

Qualificatif : réflexif

« Temps du clic »

« Temps de l’écrire »

« Temps de la concertation »

« Temps de la réflexion »

Les participants ont analysé que la fonction de « communication » pouvait amener à une sorte d’« illisibilité » (tableau 1 ; document 3 ; qualificatif) : ils entendent par-là que les enjeux profonds du projet d’établissement sont masqués par une écriture sibylline. Ils ont trouvé un fil conducteur dans le dossier : les « temps » qu’ils ont identifiés laissent transparaître différentes dimensions du développement : l’immédiateté du « clic » sur le Web, l’écriture « communication », la concertation, la réflexion approfondie.

Les participants sont entrés dans la formation par cette activité d’analyse qui les a amenés à situer différents types d’écrits, leurs contextes de production, les effets qu’ils produisent sur ceux qui les écrivent et sur ceux qui les lisent. Les dossiers fournis aux différents groupes en vue de l’analyse à réaliser dans cette première activité étaient tous différents. La discussion générale a porté sur les enjeux de l’écriture ; sur ce qui peut être considéré comme une écriture professionnelle et ce qui ne l’est pas ; sur les écrits dans et sur la pratique.

S’engager dans une production descriptive et dans le partage

La première activité de production, réalisée individuellement, visait à faire entrer les participants dans une écriture descriptive ; l’engagement a été soutenu par une première tâche de courte durée combinant le domaine matériel et le domaine idéel (Oriol-Boyer, 1980). Un acrostiche a été proposé sur le terme « professionnel » : la contrainte matérielle était de trouver pour chaque lettre de ce mot, un terme ou une expression commençant par cette même lettre ; sur le plan idéel, il était demandé que la personne choisisse des termes qui la caractérisent en tant que professionnel de l’éducation et/ou de la formation.

Ensuite, il a été demandé d’associer à chacun des termes évoqués, ou à quelques termes caractéristiques, une situation professionnelle vécue (par exemple « P : Positive, comme le jour où j’ai cherché ce qui était positif chez l’élève A avec lequel je me sentais mal à l’aise depuis le début de l’année. »). Puis, chaque participant a été invité à choisir la phrase qu’il percevait comme le caractérisant le mieux parmi les situations évoquées, et à décrire très précisément la situation évoquée. Cette activité constitue un premier niveau qui vise en premier lieu à travailler la décentration : celui qui écrit doit se projeter pour présenter la situation avec clarté, donner suffisamment d’éléments pour que le lecteur puisse d’une part comprendre ce qui s’est passé, d’autre part saisir les enjeux de la situation sur le plan professionnel.

Les participants étaient prévenus qu’au milieu de cette activité de production, il y aurait un temps d’échange au sein du petit groupe de travail, puis que la production redeviendrait individuelle. Ce temps d’échanges sur une production individuelle a plusieurs visées : il s’inscrit directement dans la volonté des formateurs de fédérer les participants qui vont devoir, dans la suite de la formation, aller de plus en plus vers une écriture professionnelle réflexive ; il permet à celui qui écrit d’intégrer le regard des pairs ; la lecture des autres productions donne une connaissance de ce que d’autres écrivent et permet de s’autoévaluer par comparaison. Ce temps d’échange était très cadré : pour éviter que l’interaction ne débouche sur des échanges oraux, il était demandé aux relecteurs d’écrire et non de parler ; de plus, le retour sur chaque production était circonscrit : il ne s’agissait pas d’évaluer ni de contrôler le processus d’écriture, mais, dans une posture d’ami critique, de « donner » des mots ou expressions pour enrichir le travail de production de chacun des membres du groupe de travail. L’écriture reprenait ensuite, individuellement, en se saisissant ou non du fruit des réactions écrites. Cette première production portait en germes les visées de la formation : oser écrire ; oser montrer en surmontant les appréhensions liées à la visibilité ; partager et donner, autrui étant considéré comme partie prenante du développement.

La phase de travail suivante a été un temps de réflexion individuelle sur l’activité d’écriture qui venait d’être réalisée, non pas sur le produit, mais sur l’activité elle-même, en recherchant les ressorts facilitant et les obstacles ; le cas échéant, en repérant la nature de obstacles (mise en écriture, situation remémorée, repérage des éléments importants, volonté de taire de choses, exposition de soi…) ; en analysant les apports de cette activité d’écriture à son développement professionnel ; en intégrant une réflexion sur le changement d’objectifs qui aurait pu être amené si l’écrit avait eu vocation à être rendu public. Ces retours réflexifs étaient ensuite mutualisés par petits groupes de travail, sous la forme d’une représentation visuelle rendant compte de visées de l’activité en termes de développement professionnel ; des ressorts facilitant ou entravant l’atteinte de ces visées ; de contraintes qu’induirait la visibilité. Si le groupe repérait des points de désaccord, ceux-ci pouvaient être mis en évidence. La figure 1 reprend la représentation visuelle créée d’un groupe de travail.

Figure 1. Représentation visuelle sur les apports de l’activité de production

Cette représentation comporte trois éléments : un escalier, un ressort, une longue vue. L’escalier montre un empilement d’éléments qui contraignent l’écriture : rapport problématique à l’écrit, contraintes du cadre, le temps qui contraint par l’échéance, effort intellectuel, exposition à autrui. Le ressort met en évidence les éléments qui ont dynamisé l’écriture : situation identifiée et choisie comme contenant une question ou un problème, parler à la première personne, bienveillance et confiance dans la lecture, habitude d’écrire, contrat de communication clair, ami critique ou/et référence conceptuelle. La longue vue donne la visée de l’activité pour ce groupe de participants : l’activité d’écriture a été ressentie comme augmentant le sentiment d’efficacité personnelle et l’estime de soi, comme permettant d’augmenter ses compétences à écrire, comme donnant des outils pour une auto-évaluation.

Discussion et conclusion

Ces premières activités ont permis de fédérer le groupe de formation et d’amorcer les activités suivantes qui allaient être centrées sur l’écriture professionnelle. L’activité de production a permis aux participants de prendre conscience d’obstacles personnels (en termes de rapport problématique à l’écrit, de nécessité de fournir un effort cognitif pour écrire, de crainte de s’exposer). Le cadre est perçu à la fois comme un obstacle à surmonter et comme un ressort de l’écriture parce qu’il est clair, qu’il permet de contextualiser la question à développer dans sa propre expérience, qu’il permet de parler à la première personne. Les participants ont identifié leur habitude d’écrire comme un atout, mais les regards sont importants : l’attitude d’ami critique et l’attitude bienveillante réclamée pour la lecture sont ressenties comme des ressorts.

Les participants ont écrit et assumé la prise de risques. L’activité a joué sur le phénomène d’auteurisation : la situation leur a permis d’être « auteurs », elle a augmenté leur sentiment d’efficacité personnelle et leur estime de soi. Elle semble aussi avoir joué sur la dimension épistémique puisque les participants disent qu’ils ont développé leurs compétences à écrire. Les échanges ont contribué à outiller l’auto-évaluation. La réflexion individuelle puis collective qui a suivi l’activité d’écriture et qui a débouché sur la représentation visuelle a permis une mise à distance de l’expérience. Du point de vue du développement, on peut dire que l’activité a permis de produire et a participé à la construction d’un instrumen).

Références

Barré de Miniac, C. (2000). Le rapport à l’écriture : aspects théoriques et didactiques. Lille : Presses du Septentrion.

Chabanne, J.-C. et Bucheton, D. (2002). Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. L’oral et l’écrit réflexifs. Paris : Presses universitaires de France.

Cros, F. (2009). La carte ne coïncidera jamais avec le territoire. Dans F. Cros, L. Lafortune et M. Morisse, L’écriture en situations professionnelles. Québec : Presses Universitaires du Québec.

Dewey, J. (1938). Experience and Education. Toronto : Collier-MacMillan.

Oriol-Boyer, C. (1980). Lire pour écrire. Atelier d'écriture et formation des maîtres. Pratiques, 26, 94-112.

Pédauque, R.-T. (2006). Le document à la lumière du numérique. Paris, France : Cépaduès.

Rabardel, P. (2005). Instrument subjectif et développement du pouvoir d’agir. Dans P. Rabardel et P. Pastré (dir.), Modèles du sujet pour la conception. Dialectique activités développement (p. 11-29). Toulouse, France : Octarès Editions

Vygotski, L.S. (1935/1962). Thought and Language. Cambridge, MA: MIT Press.

Rebond 1

Merci beaucoup pour cette proposition, qui me paraît déjà bien aboutie. La présentation de la formation est dans l'ensemble claire et convaincante, et ça me semble une très bonne idée de s'attarder sur l'affiche. Il faudra qu'on voit au moment du passage en maquette si la résolution de la photographie est suffisante. Pour cela, pourriez-vous me l'envoyer en fichier à part, au format image ?

Quelques remarques tout de même :

1. L'introduction risque en effet d'être redondante avec d'autres textes. Mais il peut être utile de reprendre au moins certains éléments dans un encadré. Si vous le voulez bien, nous pourrons finaliser ce point précis lorsque je disposerai de l'ensemble du dossier.

2.  Par contre, il me semblerait utile de prévoir un encadré pour présenter le dispositif de cette formation : le cadre dans lequel elle est organisée, les participants, etc.

3. J'ai mis un peu de temps à comprendre le tableau présenté dans la première partie de la formation, et je ne suis pas sûr d'avoir bien compris en particulier à quoi renvoie les termes « réflexivité » et « collaboration »,… Peut-être faudrait-il préciser une légende pour chaque ligne ?

4. Et le paragraphe qui suit me semble également un peu obscur : en quoi la fonction de communication peut-elle amener à de l'illisibilité ? Pourriez-vous reformuler ce point ?5. À propos de la conclusion : je me permets de vous ennuyer avec une de mes marottes, la chasse au verbe « permettre »… Il apparaît à six occurrences dans vos deux paragraphes de bilan, ce qui, d'expérience, me semble le signe d'une difficulté à décrire le réel et pas seulement le souhaité, ce qui s'est effectivement passé et pas seulement ce que l'on veut bien en retenir… Pour le dire autrement, deux convictions : il y a forcément des éléments qui ont moins bien fonctionné dans une journée de formation, ou au moins fonctionné de façon inattendue ; les réactions des participants sont forcément diverses, chacun d'entre eux, avec son parcours propre, a plus ou moins adhéré aux propositions. Là, on ne le voit pas du tout. Il est certes délicat de présenter succinctement le bilan d'une telle activité, en évitant les conclusions à l'eau de rose, ou les fades mi-chèvre mi-chou, « c'était déjà pas mal, mais on fera mieux la prochaine fois ». Mais il me semble utile de s'attarder sur ce qui vous a surpris dans les réactions des participants, agréablement ou pas, sur les hiatus qui donnent à voir des éléments cachés, sur les imprévus inévitables lors de la confrontation d'un dispositif comme le vôtre à des pratiques réelles.6. Enfin, la fin du texte est tronquée, sans doute juste un copier coller problématique ?

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