Les compétences, c’est un sujet à rebondissements. On en parle beaucoup, on se dispute, on ne fait pas grand-chose. Mais enfin, vous n’en avez pas assez de discuter toujours de la même chose ? On n’a pas tout dit ?  Il semble que non.
On ne sait pas toujours bien de quoi on parle d’ailleurs quand on parle de compétences. Chacun y va de sa définition, de ce qu’il sait ou croit savoir. Restons-en aux sources, le préambule du décret de Juillet 2005 établissant le socle Commun. Une compétence, a trois aspects A LA FOIS : une résolution de tâches complexes, la mobilisation des ressources, l’efficacité et l’autonomie (au sens de réussir seul). Les trois sinon rien.
Socle et compétences ne sont pas synonymes. Le Socle appelle à développer chez les élèves des compétences. L’un semble ne pas aller sans l’autre. Pas de socle sans compétences, par définition. En revanche, l’inverse est vrai. On pourrait très bien dans les classes utiliser le concept de compétences sans qu’il y ait un Socle à la clé.
2004-2005/ 2014, les compétences devraient être devenues de l’acquis pour les enseignants. Ce devrait même être de l’inné chez les jeunes profs (ceux qui ont reçu une formation bien entendu). Dix ans après l’annonce d’un Socle, où en est-on ? Pas bien loin me semble-t-il ? A peine né, en 2004 (loi sur l’avenir de l’école) et 2005 (le décret évoqué ci-dessus), c’est le désamour  quasi immédiat et quasi-total de l’Institution.
Sur le terrain, c’est le début d’une bataille qui est présentée comme celle des Anciens et des Modernes. Aucune indifférence aux compétences. La querelle est binaire, trop bien sûr. On se dit pour, ou contre. Dix ans après, personne n’a gagné, surtout pas les élèves. Car c’est surtout d’eux qu’il s’agit. Avec le Socle, on n’évalue pas par compétences, on travaille par compétences. Mieux, on met en place des situations d’apprentissage afin que les élèves deviennent de plus en plus compétents.
Dix ans après, personne n’a gagné. Le Socle est toujours là. Mais pas le L.P.C., le livret personnel de compétences. Il vient d’être enterré définitivement. Le Ministère travaille activement à redéfinir les termes, à proposer une liste plus accessible des compétences à développer.  Espérons que ce texte-là sera mieux accepté par les profs, mieux accueilli par la communauté enseignante, plus accompagné par l’Institution.  Que chacun puisse se saisir de ce nouveau Socle afin de permettre à tous les élèves de développer leurs compétences !

Rebonds 5

En fait, il me semble qu'il y a moins de réticences en collège d'entrer dans une logique de compétences, mais pas assez d'accompagnement pour le faire réellement, en ne confondant pas travail et évaluation. En primaire, c'est plus compliqué. Ou bien on pense qu'on fait ça depuis toujours (ce que je ne crois pas du tout!), ou bien on pense que compétences veut dire évaluationnite et remplissage d'usine à cases. Il s'agit plus que jamais de montrer qu'il n'y a aucune contradiction entre compétences, connaissances et culture, mais que ce qui importe, c'est que les élèves aient une capacité de mobilisation, qu'on échappe au quizz ou aux questions pour un champion (savoir énoncer des choses sans savoir à quoi elles renvoient vraiment) ou au savoir bâti sur le sable, vite appris, vite oublié

jean-michel Zakhartchouk

Chez nous, en français, le discours c'est "la formulation du LPC va changer, attendons de voir". Statu quo.

Comme je ne peux pas partager avec mes collègues sur ce point, je m'y suis mise à ma manière, en laissant tomber l'évaluation par compétence (tout le monde met des notes, je ne vais pas faire bande à part, surtout avec des parents très présents), en m'inspirant de l'article de Caroline d'Atabekian (le titre ressemble à "Comment je me suis mise à travailler par compétences") et en mettant de côté le Socle commun. Donc pour chacune de mes séquences, je donne aux élèves 3 compétences à atteindre ou à entrainer (avec quelques critères d'évaluation et la méthode  à côté, au cas où les parents voudraient s'en mêler), que j'ai reformulées selon mes besoins, mais en cohérence avec le socle. Exemples en 6ème : "Tenir son classeur", "Utiliser le dictionnaire", "Raconter une histoire à l'oral", "Travailler en groupe", "Répondre à un questionnaire de lecture", "corriger ses erreurs d'orthographe", etc. A la fin de la séquence, les élèves peuvent s'auto-évaluer, je valide ou pas, et j'essaie d'offrir d'autres occasion de valider ces mêmes compétences dans les autres séquences. A la fin d'une séquence, j'affiche ceux qui ont validé certaines compétences, sous forme de liste d' "experts en..." capables d'aider les autres sur ce point.

Sur la définition de "compétence", je n'ai pas d'avis. Je ne sais pas si je procède par "tâche complexe", "mobilisation de ressources" et "efficacité / autonomie". En revanche, je sais très bien ce que je vise dans ma séquence, et les élèves aussi. C'est ma boussole pour les contenus, ce qui m'aide à faire des choix par exemple, à distinguer entraînement et évaluation. J'ai l'impression de davantage enseigner ce que j'évalue et de n'évaluer que ce que j'ai enseigné.

Dans mon collège, le niveau 6e est "sans note" au premier trimestre. Pour la suite de l'année, la plupart des enseignants sont revenus aux notes, quelques-uns, dont le suis, en restent aux compétences. Le niveau 6e sera entièrement "sans notes" toute l'année à partir de la rentrée prochaine.

Tout cela met en route d'intéressantes réflexions mais encore trop tournées, à mon avis, vers l'évaluation et pas assez sur les modes de travail, d'une part, et sur l'appropriation par les élèves, d'autre part, du processus d'acquisition des compétences ( les deux sont liés). Tout l'intérêt du changement est en effet, non pas tant de dire "tu as la couleur jaune" plutôt que "tu as 8,5" , mais de formuler la compétence ( par exemple " présenter une information à la classe de façon complète et claire") , et que chacun puisse prendre conscience du niveau où il en est, et ce qu'il a à faire ou à savoir pour progresser. Ca n'a l'air de rien, mais s'organiser pour que les jaunes et les rouges puissent retravailler la compétence pendant que les bleus ont seulement à la perfectionner et que les verts aident les autres ou font autre chose, c'est une gymnastique mentale à acquérir. Et  il n'est pas plus facile de se demander comment les élèves vont entrer dans ce processus, alors que l'école les habitue massivement à recevoir une  évaluation dans l'après-coup du travail et à la stocker sans rien en faire de spécial, si ce n'est de l'ajouter à la "moyenne", jusqu'à la suivante.

Sur ce dernier point, je tente de progresser cette année en 6e. Pour rendre le travail de lecture (en classe) qui a clos la séquence sur les Fables, j'ai pris la classe par demi-groupes , l'autre étant en recherche au CDI , afin de pouvoir individualiser davantage la réflexion (plus tard dans l'année, ce sera en classe complète). Je leur ai rendu le devoir évalué, avec des symboles de couleurs,  sur trois compétences de lecture : comprendre l'explicite, comprendre l'implicite et faire des hypothèses, reformuler par des mots ou un dessin. Chacun reporte d'abord les couleurs sur son tableau annuel de compétences et on échange sur les évolutions . Comme nous sommes à la fin du trimestre, je demande à chacun quelle couleur il se mettrait à lui-même sur son bulletin, non pas comme une "moyenne" du trimestre, mais au vu du point où il en est arrivé à ce moment-là. Discussion avec Shuaib qui, montrant de bonnes compétences jusque-là, a fait un travail bâclé pour ce dernier devoir bilan... Qu'est-ce que cela veut dire ? En fait il avait bien compris, mais il a mal lu les consignes et écrit en réponse des phrases mal rédigées dont certains n'ont pas de sens. C'est donc plutôt sa compétence à "rendre compte de sa compréhension" qui n'a pas fonctionné ... Occasion aussi pour moi de réfléchir  sur la façon d'évaluer une compétence... ou plutôt ses manifestations, et mes façons de les solliciter, et avec quelle pertinence.

Mais le plus important est d'aller vers la suite. Sur une feuille de couleur qui va rester en bonne place dans leur classeur, je leur demande d'écrire ce qu'ils ont à faire pour passer au niveau supérieur de compétence  ; et pour cela d'utiliser les remarques et conseils que j'ai écrits assez classiquement au long de leurs devoirs pendant que je les corrigeais. Rommy me dit d'abord "Vous ne m'avez rien mis sur ma feuille !". En regardant mieux, il trouve deux fois dans son devoir "je ne comprends pas ta phrase" ;  une fois "tu as oublié la deuxième partie de la consigne"; et deux fois "où as-tu vu cela dans la fable ? ". Il traduit donc, sur sa feuille de couleur , qu'il doit  relire ce qu'il écrit pour s'assurer que c'est clair ; relire la consigne ; et vérifier si ce qu'il croit comprendre et qu'il écrit peut être vrai d'après le texte. D'où une discussion intéressante qui s'engage : dans cette fable, "Le renard et la cigogne" , peut-on faire l'hypothèse que le renard a joué un mauvais tour à la cigogne pour pouvoir la manger ? Possible, vu le caractère habituel du renard. Mais là, dans ce texte, y a-t-il des indices en ce sens ? Non, aucun. Il faut donc vérifier avant d'affirmer. Nous dirions : travailler les limites de l'interprétation.

Mon choix a donc été de passer plus de temps à cette prise de conscience par chacun qu'à la "correction" proprement dite, qui s'est faite à l'oral seulement. C'est un choix. La feuille de couleur, leur "feuille de route" personnelle,  sera sur la table lors des prochains travaux de lecture en classe. Une façon parmi d'autres de ne laisser s'installer ni la démotivation (je suis mauvais, c'est comme ça), ni la causalité externe ( c'est trop dur).

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Intéressant à plus d'un titre tout cela. D'abord parce que dans la semaine va sortir un article sur le collège dont il est question, avec les réponses du chef d'établissement, et que nous allons donc avoir pour la première fois un cercle en lien avec un article du site.

Intéressant aussi parce que cette phrase : "Il faut donc vérifier avant d'affirmer. Nous dirions : travailler les limites de l'interprétation." qui je crois parlait d'une compétence élève, se révèle à la lecture de l'article être aussi une compétence enseignant, qui nait et s'affine notamment grâce au travail par compétences des élèves, comme un miroir tendu à l'enseignant donc. 

Christine Vallin Rédactrice en chef des Cahiers pédagogiques, le 23 Février 2014 à 07:45

Ce qu'ont écrit Agnès et Florence me passionne à plus d'un titre.

La première réflexion qui me vient, c'est que ce que, enfin, on sort de la problématique "pilotage par l'évaluation" qui a fait tant de mal au socle, aux compétences, à l'enseignement. Dans ce que je lis, il me semble qu'on est enfin dans ce qui fait la raison d'être de l'école et la raison de travailler des enseignants : la construction des apprentissages des élèves. Si comme le souligne Michèle dans son texte initial, les compétences, inscrites dans la loi depuis 2004, ont tant de mal à s'inscrire dans la réalité, c'est que l'institution les a abordées par l'évaluation avant de poser les bases de leur construction. Afin d'instaurer un climat concurrentiel? Plus que le développement des compétences des élèves, l'enjeu de cette instrumentalisation était (semblait être? Peu importe la réponse du moment qu'on sort de cette logique) la mise en cause de la professionnalité des enseignants, la mise en cause de l'école publique. J'ai le regret de dire que nous crapistes, avec le sentiment d'être isolés dans nos démarches pédagogiques - nous sommes perpétuellement dans une sorte de recherche-action -, nous avons pu renforcer ce rejet en nous posant en donneurs de leçons à ces-profs-qui-ne-veulent-surtout-pas-changer. Dans les démarches ci-dessus, j'apprécie cette capacité à avancer sans abdiquer la recherche mais aussi sans ignorer (au contraire) les collègues.

J'étais dans un établissement où, avant 2004, on se réunissait une fois par semaine, collègues de la segpa et du collège (pas tous, des) pour travailler sur cette notion de compétence, nous avions même constitué sur cette base explicite une liste intersyndicale et non syndiqués, majoritaire au CA. L'arrivée en 2002-2003 d'une nouvelle direction qui a imposé sa vision des compétences : "on fait ce qu'on sait faire, on note et on transforme en couleurs", puis, quand il y a eu le LPC, on se partage les items : "qui valide quoi, et quand parce qu'on ne va quand même pas tout valider en 3ème" (je cite textuellement parce que j'en suis encore ulcérée) a abouti à l'oubli des compétences.

La deuxième force des textes d'Agnès et Florence est de répondre à une autre question posée ailleurs par Michèle : "peut-il y avoir compétences sans contenus disciplinaires". Elles nous montrent qu'en tout état de cause, les compétences prennent leur place dans le travail disciplinaire. Est-ce à dire que tout peut continuer comme avant? Sans doute pas. Prenons l'exemple cité par Agnès de l'utilisation du dictionnaire. Elle ne concerne pas que le français. Le 8 février, l'AFEF (assoc. des enseignants de français) organisait une rencontre-débat sur le lexique. La piste que j'en ai tirée est que ce ne sont sans doute pas les mêmes composantes de cette compétence qui sont travaillées en français (correspondances grapho-phonétiques, relations lexicales...) et dans les disciplines scientifiques et que parfois ce n'est peut-être pas le même dictionnaire qui convient. Une des chercheuses (Annie Camenish qui a déjà écrit dans les Cahiers) a même explicité ce qui selon elle relevait du français et ce qui relevait des sciences dans ce travail. C'était passionnant.

Enfin, le texte de Florence montre comment les compétences travaillent ou devraient travailler le cadre institutionnel en particulier la classe : difficulté à travailler de front avec les verts, les bleus, les jaunes, les rouges, partage de la classe en demi-groupes dont l'un est au CDI... Mais si tous on travaille en permanence par compétences, le CDI n'y suffira plus et surtout il ne sera plus un lieu disponible pour les élèves, notre collègue prof-doc ne pourra plus elle-même faire SON travail, étant tout le temps pilotée par nos besoins. Quand nous travaillions par compétences avec mes collègues nous avions obtenu des alignements etc.  pour pouvoir co-animer de façon interdisciplinaire sur des tâches complexes, pour avoir des groupes modulables etc.

Bref, il y a un vaste territoire à explorer, peut-être un nouveau continent, l'avenir le dira.

Je viens de visionner une conférence de Jacques Tardif "l'approche par compétence un changement de paradigme". Voici le lien pour ceux qui seraient intéressés.

http://formation2dot0.blogspot.fr/2014/02/lapproche-par-competences.html#!/2014/02/lapproche-par-competences.html

Sur le même site on trouve ce texte assez éclairant, je trouve :

"Et pour fixer les idées, découvrons avec M. Philippe Péaud (Académie de Poitiers), une analyse sémantique et étymologique du mot "compétence" :

Champ sémantique : compéter – compétent – compétence. Mots de la même famille, ayant la même racine (competere) : compétiteur, compétition, compétitif, compétitivité.La racine competere a donné les mots : compétiteur, compétition, compétitif, compétitivité c’est-à-dire « se rencontrer au même point ».Et elle a donné aussi les mots : compéter, compétent, compétence c’est-à-dire « être en état convenable pour »• Les significations portées par le mot « compétence » sont centrées sur l’idée du « juste rapport » (competentia), ce qui le distingue des autres mots de la même famille, centrés sur l’idée de rivalité, de concurrence (competitio, competitor). Autrement dit, l’unité de sens « compéter – compétent - compétence » montre que la compétence ne se caractérise pas par l’atteinte d’un objectif fixé d’avance, en obtenant les meilleurs résultats possibles ; ce qui la caractérise, c’est la pertinence, c’est-à-dire le fait de convenir exactement à l’objet dont il s’agit. Compétence doit donc s’entendre au sens général de convenable, approprié.• L’unité de sens « compéter – compétent - compétence » est le résultat d’un emprunt au latin juridique competens, participe présent du verbe competere, « convenir à ». C’est ce qui définit le premier sens du mot compétence : le ressort d’une juridiction (la compétence de tel tribunal), c’est-à-dire l’aptitude reconnue légalement à une autorité publique de faire tel ou tel acte dans des conditions déterminées. Cette signification apparaît au XIIIe siècle et est encore utilisée de nos jours dans le domaine juridique. De là, par généralisation, va découler l’idée de capacité, d’habileté reconnue à quelqu’un du fait de ses connaissances et de son expérience (à partir du XVIIe s.), cette reconnaissance lui conférant le droit de juger ou de décider. Même en son sens plus général, le mot compétence garde sa signification de « pouvoir d’agir », qui lui vient de son sens juridique spécialisé. La compétence, c’est donc à la fois le fait de pouvoir disposer de moyens qui permettent d’agir comme de disposer d’un pouvoir sur quelqu’un ou quelque chose pour agir ; à cela s’ajoute le fait qu’elle n’existe pas en soi, elle n’existe que si elle est reconnue, c’est-à-dire perçue par autrui à partir de différents éléments attestant à ses yeux de l’existence d’une compétence.• L’élève compétent sera donc celui qui a le « pouvoir d’agir », c’est-à-dire qu’il dispose non seulement de connaissances mais qu’il a aussi une expérience des situations dans lesquelles il convient d’utiliser telle ou telle compétence ; cela suppose donc qu’il ait l’occasion de s’entraîner à mobiliser les mêmes connaissances dans différentes situations afin d’avoir suffisamment d’expérience pour construire une compétence2. Disposer du « pouvoir d’agir » signifie également que l’élève compétent est celui qui prend, en toute autonomie, des décisions ; les situations offrant une telle possibilité sont des situations complexes face auxquelles l’élève doit apprendre à analyser la situation pour déterminer ce qu’il doit faire3 . Enfin, pour l’enseignant, il s’agit de faire une place à l’observation des élèves au travail, dans différentes situations complexes, pour pouvoir recueillir suffisamment d’éléments lui permettant d’inférer la présence chez tel ou tel élève d’une compétence ; évaluer des compétences c’est donc faire la synthèse de plusieurs observations des élèves mis en situation de travail."

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