Changer la formation des enseignants, changer la conception même de la formation des enseignants (bureau du CRAP)

Si on veut que les enseignants puissent pleinement répondre aux défis nouveaux de l’éducation dans les prochaines années, il faut revoir la conception restée dominante de la formation, aller plus loin que les évolutions institutionnelles diverses, depuis la création des IUFM jusqu’à leur mort et la création des ESPE.
Les défis, ce sont notamment : …
- les nouveaux publics scolaires, et pas seulement les élèves difficiles ou en difficulté, mais la jeunesse telle qu’elle est aujourd’hui (génération « petite Poucette », zapping et effets de la mondialisation, etc.)
- le tsunami numérique qui à bien des égards détruit les représentations anciennes du rapport aux savoirs et oblige à réinventer celui-ci
- l’exigence de nouvelles compétences : savoir travailler coopérativement, manier une grande diversité d’oraux, écrire rapidement, rechercher des informations et savoir les gérer en vérifiant leur fiabilité…
- l’importance de pouvoir résister au « bougisme », au culte du présent et à l’indifférence au passé, de conserver les héritages du passé (Histoire, Culture, patrimoine) non par des déclarations lyriques ou des anathèmes, mais par une stratégie de « passeurs culturels » rusés et efficaces.
- l’apport des neurosciences en matière de connaissances sur la mémorisation, l'effet des émotions, l'engagement et l'inhibition des processus, connaissances à coté desquelles nous ne pouvons pas passer et qui aident chacun à se connaitre et à comprendre sa manière d’apprendre et interrogent la manière d’enseigner.

Les mauvaises solutions seraient :
- tout reporter sur la formation initiale, alors que le temps de celle-ci reste très bref, et - surtout si on la considère comme « achevée » à un moment donné -  laisser penser qu’on « maîtrise » alors le métier et qu’on n’a plus rien à apprendre
- s’enfermer dans une conception restrictive du métier d’enseignant, qui ne peut être ni une science (qui s’appuierait sur des « preuves » scientifiques), ni un art (un cours n’est pas une œuvre d’art ! le « feeling » ne suffit pas), ni une simple question d’ingénierie (l’enseignement se réduisant à des techniques et dispositifs)
- opposer une formation « théorique » à une formation « pratique », valoriser cette dernière comme si on ne pouvait apprendre que par l’expérience et par le contact avec des plus expérimentés, comme si on n’avait pas besoin de bousculer cette expérience, de la mettre à distance.
- concevoir la formation comme remède à des manques : la formation doit être conçue comme normale, banale, intégrée au travail et non comme moyen de combler des insuffisances. D’une certaine façon plus on se forme, plus on ressent les besoins de se former toujours davantage.
- sous-estimer ou surestimer la dimension locale. Oui, l’établissement doit jouer un rôle majeur dans la formation des enseignants : co-formation, échanges organisées, travail d’équipe, partage de lectures et de pratiques. Mais non, cela ne peut pas être la seule dimension : les échanges avec d’autres établissements, d’autres niveaux d’enseignement sont nécessaires, vitaux mêmes pour ressourcer le métier et éviter les routines et ne pas réduire la formation à l’adaptation à un poste de travail.

Avançons  quelques propositions, prolongeant celles que nous avons pu émettre en 2012 à l’occasion des débats sur la refondation, mais aussi à la lumière de ces cinq dernières années.

Principes directeurs

Affirmons d’abord que doit être inscrite dans les missions des enseignants une obligation de formation.
Mais le terme fonctionne dans les deux sens. Si les enseignants avaient cette obligation
sous forme d’un crédit d’heures, à dépenser sur plusieurs années, heures qu’ils pourraient utiliser
de différentes manières (par des universités d’été, par des formations académiques, par
des formation internes,…), cela nécessiterait qu’il y ait en face une offre suffisante. Les mouvements
pédagogiques pourraient par exemple être aidés pour proposer des universités d’été qui
seraient agréées par le donneur d’ordre que serait le MEN et contribuer à cette offre plurielle de formation, qui ne peut être exclusivement institutionnelle.
Si les besoins en formation ne sont pas tout à fait les mêmes pour les futurs enseignants,
les néo-titulaires et les praticiens expérimentés, la participation à certaines actions
de formation continue, peut, par le contact avec leurs futurs collègues expérimentés, au
moment même où ceux-ci sont en réflexion sur leur métier, enrichir les étudiants en formation
initiale.

La formule « enseigner est un métier qui s’apprend » s’est imposée dans le débat public.
Le référentiel de compétences 2007, légèrement modifié en 2010, complété par celui du 25 juillet 2013  est dans l’ensemble reconnu comme une base pour concevoir la formation. Sur quels principes la fonder, à la lumière des expériences passées ?

1. La formation initiale aux métiers de l’éducation ne peut être que longue. Dans l’intérêt des enseignants débutants comme des élèves qui leur sont confiés, l’entrée dans le métier doit être progressive, encadrée, accompagnée.
2. La formation aux métiers de l’éducation ne peut se concevoir qu’en alternance entre des temps de pratiques effectives auprès d’élèves, accompagnés, en observation puis en responsabilité, et des temps d’analyse, d’élaboration, d’approches théoriques.
3. La formation aux métiers de l’éducation ne peut s’évaluer que de façon qualitative, en acte, sur la durée. Une épreuve sur table, quel que soit le thème de la composition, le passage ponctuel devant un jury, quels que soient ses membres, ne suffiront jamais à attester des compétences à gérer des groupes d’élèves, à organiser des apprentissages, à s’insérer dans le collectif d’une équipe éducative.

Comment faire évoluer la formation ?

Le recrutement doit se faire dès l’amont de la formation professionnelle sur des critères simples, en partie communs à l’ensemble des métiers de l’enseignement : une culture générale suffisante, une maitrise de l’expression écrite et orale, une expérience dans le contact avec la jeunesse (ce qui permettrait de valoriser l’expérience professionnelle antérieure ou des engagements associatifs).

Après le recrutement, la formation doit se faire dans une école professionnelle, fortement
intégrée au monde éducatif, au sens large : une école où se côtoient et sont formés ensemble  des professionnels de différents horizons, de différents niveaux d’expérience ; une école utilisant des ressources et des compétences variées, des mondes universitaire, associatif, culturel. C’est ce que devrait être l’ESPE, mais nous en sommes encore loin, malheureusement. Les ESPE restent des composantes des universités, où prévaut le master universitaire, encadré par des enseignants du supérieur, sans doute attachés fortement aux disciplines d’enseignement traditionnelles ou bien à une conception académique des sciences de l’éducation.
Il faudrait que les ESPE deviennent pleinement des établissements autonomes. Construites sur le modèle des « hautes écoles de pédagogie » suisse, ces écoles recruteraient par concours d’entrée, au plus tard à l’issue de licence, délivrant des masters professionnels à l’issue de deux années de formation. Elles croiseraient fortement les ressources en formation d’enseignants du primaire et du secondaire expérimentés, bénéficiant de formation de formateurs, et les ressources de laboratoires
universitaires, appuyant des recherche-actions. Elles incluraient une importante formation de formateurs, pour l’accompagnement des débutants, l’analyse de pratiques professionnelles.
On peut s’appuyer sur quelques exemples de ce qui fonctionne déjà dans ce sens, mais qui est loin d’être majoritaire. Car restent privilégiées les pratiques universitaires avec tous leurs effets
pervers (cloisonnement, luttes de clans,…). On trouve trop peu dans les ESPE ces professeurs en temps partagé qui peuvent être des médiateurs efficaces entre le terrain et la recherche.

Ajoutons que si on prend au sérieux l’acronyme “ESPE”, le “E” final implique que la formation s’étend aux éducateurs hors éducation nationale, notamment les personnels associatifs intervenant dans le périscolaire mais aussi ceux des collectivités territoriales. Avec en vue des co-formations possibles EN/hors EN, dans l'idée de favoriser la coopération. Cela correspond aux "maisons de la formation" proposées il y a quelques années dans l'Appel de Bobigny. Déjà des formations communes premier-second degré sont à développer, sur des sujets comme l’éthique professionnelle, la gestion de l’hétérogénéité, l’évaluation, autant de moyens de construire une continuité, au-delà de la diversité des métiers de l’éducation.

La formation de formateurs  est indispensable. Si on accorde de l’importance à la formation des enseignants, on doit faire évoluer considérablement la conception même de l’enseignant d’ESPE qui doit devenir pleinement un « formateur » qui raisonne davantage en termes de « dispositifs de formation » que de « cours universitaires ». On peut trop souvent constater des situations paradoxales où l’on en vient à prôner des méthodes actives en faisant surtout des cours magistraux. Les formateurs actuels sont aujourd’hui recrutés essentiellement sur leur excellence académique. C’est légitime. Mais on peut constater aussi que la maîtrise des courants pédagogiques et des principales recherches dans ce domaine (et pas seulement dans celui de la didactique de la discipline) est très aléatoire. Cela contribue au développement d’une vulgate bien souvent très éloignée des thèses initiales, à une certaine doxa pédagogique s’accompagnant d’approximations. Il importe donc de mettre en place une véritable formation de formateurs qui leur donne des outils dans ce domaine et dans celui de l’analyse de pratiques et développe leurs compétences au service des formés. Ces compétences ne sont pas les mêmes que celles d’un inspecteur, même s’il y a des points communs : nécessité de savoir recueillir des besoins, d’être à l’écoute, de faire respecter des objectifs…
Le formateur doit être « habile », maitriser des savoir-faire en matière de communication et de gestion des groupes. Avoir été ou être un enseignant efficace ne suffit pas. Rien de tel pour développer les compétences nécessaires que le travail en équipe. Il faut donc impérativement reconstituer des équipes de formateurs, et inclure dans leur temps de service du temps pour se co-former, échanger, préparer des stages, faire l’analyse collective d’outils, collaborer avec des chercheurs.

Mais, répétons-le, nous sommes surtout attachés à la nécessité de concevoir la formation comme un processus qui s’inscrit dans la durée. La formation doit se poursuivre après la titularisation sur plusieurs années. Les ESPÉ doivent être partie prenante de la formation continue, comme c’est d’ailleurs indiqué dans leur cahier des charges.
En parallèle et en complément  la formation doit se faire aussi dans les établissements. Nous soutenons toute mise en place d’un statut de professeur-formateur dans le secondaire sur le modèle des «maitres formateurs» du primaire. En même temps, il nous semble utile de considérer que c’est l’ensemble de l’établissement ou de l’école qui est formateur. On privilégierait alors l’accueil des stagiaires dans les établissements engagés dans des projets d’établissement forts et dans l’innovation.
Les Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation doivent ainsi développer des
partenariats et des conventions avec des établissements, mais aussi avec les associations
partenaires de l’École et les mouvements pédagogiques. Si les textes le recommandent, on a bien du mal à en voir la réalisation effective.

Il conviendrait aussi de considérer qu’il n’y a  pas une seule voie d’accès au métier, mais plusieurs
(directement par le concours, par la VAE et la formation tout au long de la vie, par voie
interne...) et donc aussi plusieurs temps et modalités de formation.

La formation continue peut avoir plusieurs dimensions :
• accompagner le changement (nouveaux programmes, réformes, etc.)
• actualiser les savoirs disciplinaires, s’approprier de nouveaux savoirs (numérique, neurosciences…)
• perfectionner ses pratiques professionnelles et innover, par exemple en développant de nouvelles pratiques d’évaluation
• évoluer dans sa carrière.
Selon les objectifs les opérateurs pourraient être différents dès l’instant où le “donneur
d’ordre”, c’est-à-dire l’État employeur délivrerait des agréments dans le cadre d’un plan
national de formation.
La formation doit tenir compte de la possibilité de quitter l’enseignement. Si nous sommes
convaincus qu’  “enseigner est un métier qui s’apprend” (et pas une vocation), cela signifie
aussi qu’on peut le quitter et envisager une autre carrière dans et hors de l’éducation nationale.
Il importe donc que les formations soient qualifiantes et puissent être prises en compte dans un port-folio et un bilan de compétences.

Chaque enseignant devrait être incité à une auto-formation (recherche d’informations sur les recherches, lectures, partages). L’établissement doit trouver les moyens de favoriser ce partage (ce qui passe par un budget de documentation pédagogique, par la mise en place d’espaces favorisant les échanges, par la circulation d’informations, par une organisation du travail qui le permette).

La formation doit d’autre part concerner les personnels de direction dans le second degré. Leur responsabilité est grande dès lors que leur rôle devrait surtout consister à exercer un leadership partagé ou distribué, à organiser le travail de façon à favoriser à en faire des communautés apprenantes ou établissements formateurs. Des formations communes avec des enseignants seraient d’ailleurs très pertinentes également. Il faut développer leur “habileté stratégique” et faire en sorte qu’ils sachent articuler dimension administrative et dimension pédagogique. Des pratiques intéressantes existent aujourd’hui dans le cadre de l’ESEN, il faut les développer mais surtout envisager là encore la formation tout le long de la carrière.

Rôle de l’Inspection dans la formation
Les missions des inspecteurs ont évolué. Leur rôle dans la formation continue des enseignants est important pour organiser celle-ci localement tout particulièrement. Mais il est difficile de bien articuler la tâche de formation et celle d’inspection. Les inspecteurs n’ont pas forcément des compétences de formation, ils doivent savoir mobiliser des ressources et faire confiance envers ceux qui assurent les formations demandées. La relative indépendance d’équipes de formateurs, surtout dans le second degré, telle qu’elle existait dans les années 80-90 avec les MAFPEN, doit à nouveau être mise en avant, même si la collaboration et l’harmonisation entre inspecteurs et formateurs doit être recherchée, mais de manière horizontale et non verticale.
La formation ne peut pas être :
- un déversement d’informations officielles
- ce mélange que l’on trouve parfois de prescriptions descendantes et d’appel à l’initiative des formés sous forme d’ateliers sans dispositif rigoureux où chacun doit « se débrouiller »
- un cadre rigide qui ne saurait pas s’adapter aux besoins
Elle doit être motivante, constructive, répondre aux attentes, mais aussi savoir justement dépasser les attentes initiales, elle doit autant rassurer que déstabiliser, autant déstabiliser que rassurer (non, ce qui est proposé n’est pas inaccessible, oui, chacun a les compétences pour changer ses pratiques, non, changer ses pratiques n’est pas remettre en cause sa personne et ses compétences actuelles, mais non, innover ne consiste pas à rebaptiser ce qu’on a « toujours fait », etc.) Se former, tout le contraire d’un formatage, mais plutôt aventure, parcours, maitrise plus grande de son métier, empowerment.

 

En résumé, quelques propositions
1. garantir l’autonomie (financière et pédagogique) des ESPÉ
2. proposer une formation simultanée et en alternance avec une part importante de formation
commune (sciences et sociologie de l’éducation, éléments de docimologie, connaissance des courants pédagogiques, etc.)
3. instaurer une formation de formateurs aux outils de l’analyse de pratiques et aux méthodes actives dans les dispositifs de formation
4. Garantir une proportion importante de “temps partagé” dans la composition des personnels des ESPÉ
5. Instituer un statut de professeur-formateur dans le second degré.
6. Favoriser la mise en place d’ “établissements formateurs” (chaque établissement devant l’être à terme)
7. Favoriser, au sein des ESPÉ, des partenariats avec les mouvements d’éducation populaire et
pédagogiques
8. Etaler la formation initiale sur plusieurs années avec des facilités pour accéder à des stages et des formations à l’intérieur ou à l’extérieur des ESPÉ.
9. Inscrire dans les missions des enseignants et dans leur évaluation une obligation de formation sous forme d’un crédit d’heures à utiliser sur plusieurs années.
10. Faciliter la mise en place et l’agrément d’universités d’été et de moments de formation proposés par les associations complémentaires de l’École et les mouvements pédagogiques.