B. Danser et penser avec les autres

Evelyne Clavier : Responsable d'Ulis en collège, doctorante sur les relations entre danse et la littérature
Michel Tozzi : Professeur émérite des universités

« Dance first, think after... It's the natural order ! »
  Samuel Beckett

Nous vous proposons au sein de cet atelier d’articuler le Contact Improvisation (forme de danse improvisée qui évolue à partir de contacts variés entre soi et ses partenaires) et la DVDP (Discussion à Visée Démocratique et Philosophique), afin de voir quelles compétences langagières et sociales ils sont à même de développer chez les élèves de la maternelle au lycée. On apprend en grande partie par le corps et c’est à partir du corps vécu et du corps perçu ainsi que dans le rapport au corps des autres que nous allons aborder des questions philosophiques autour du concept d’altérité. Aucun prérequis n'est nécessaire, ni en danse, ni en philosophie.

Le travail se fera de manière progressive, dans un cadre sécurisant, de manière à pouvoir donner libre cours à une parole et à une danse structurées, respectueuses du rythme de chacun et de chacune. Une tenue souple est conseillée. Pour se préparer à penser et danser, quelques pistes de lecture :

Pour le Contact improvisation :
Guisgand Philippe, L’improvisation : corps démocratique / corps citoyen in Approche philosophique du geste dansé : De l'improvisation à la performance Sous la direction de Boissière Anne et de Kintzler, Villeneuve d’Asq, Presses Universitaires du Septentrion, 2006
Kuypers Patricia, Contact Improvisation, Nouvelles De Danse N°38-39, Printemps, Bruxelles, Editions Contredanse, 1999.

Pour la discussion à visée démocratique et philosophique :
Pour le dispositif : « Animer une DVDP en classe », consultable sur www.philotozzi.com
Tozzi  Michel, La morale ça se discute, Paris, Albin Michel, 2014.                   
Sur des thèmes à discuter : Tozzi  M., Gilbert  M., Je philosophe avec mon enfant, Eyrolles, 2016.

Rebonds 5

DOC 1

Animer une DVDP en classe

Doc 2

Animer une DVDP en diaporama

Compte-rendu de la première DVDP

Quel est, dans la Danse contact improvisation, le rapport au corps de l’autre qui reçoit et impulse le mouvement ?

La Danse Contact Improvisation se présente comme une activité métaphorique des relations humaines qui d’ordinaire peuvent passer de la bienveillance à la confrontation. Elle s’effectue dans un langage non verbal qui peut ramener à un état primitif. Le contact, en lien avec le sens du toucher, interroge les codes sociaux et culturels qui parfois ne l’autorisent pas. Il peut mettre en danger, car il aborde des territoires inconnus où les distances entre les corps et leur rythme ne sont pas ceux de la vie quotidienne. Il pose également la question du contact genré. La Danse Contact Improvisation appelle donc à dépasser certains codes et un cadre protecteur permet de lever certains tabous et certains blocages. Ce qui se joue dans la Danse Contact Improvisation, c’est la mise en œuvre sans médiation d’un de nos sens. On franchit la bulle de l’autre pour arriver jusqu’à sa peau. Il demande un désir de relations réciproques et peut générer la joie de la rencontre furtive et le plaisir du faire avec l’autre.Quelle distinction faire entre le toucher et le contact (voir la deuxième DVDP)  ? Dans quelle mesure le Contact improvisation peut-il établir des relations égalitaires entre les personnes (voir la troisième DVDP) ? Voilà les deux questions en suspens.

Évelyne Clavier Enseignante dans l'académie de Paris , le 21 Août 2016 à 12:34

Nous poursuivons notre réflexion autour de la danse contact improvisation (DCI).

Lors de notre précédente discussion, était apparue la nécessité de faire la distinction entre toucher et contact.Si on se réfère au sens biologique du terme, le toucher met en jeu des récepteurs et des émetteurs. Il y a donc un agent actif et un agent passif. Il permet la prise d’information, l’exploration (à la manière d’un aveugle). Le toucher ne se réalise qu’avec la peau, alors que le contact peut s’établir aussi avec la voix, le regard …Le contact serait un acte engageant la réciprocité, il implique une réponse, voire le mouvement car le contact est le rapprochement mené à son terme : un point de passage entre deux mouvements.La distinction entre ces deux termes aurait aussi une dimension temporelle : le toucher serait plus du côté de la durée, alors que le contact semble plus furtif, borné, ponctuel. (Une distinction comparée à celle qui s’opère en français entre l’imparfait et le passé simple.)

Le mot contact contient le mot tact. Quel tact y aurait-il dans la danse contact improvisation. Pourrait-on définir une éthique de la DCI ?La danse contact nécessite l’adaptation au partenaire, l’acceptation de ses limites ou de ses envies. Il ne suffit que de quelques contacts pour cerner celles-ci et être capable d’y répondre, en ressentant les tensions ou la détente de notre partenaire. (Néanmoins on peut éprouver plus ou moins de satisfaction selon les partenaires.)L’éthique de la DCI pourrait se rapprocher de celle du Care : on ne peut entrer en contact avec l’autre que si on a bien conscience de soi (ses limites, ses possibilités).Le soin envers l’autre passe par l’écoute, la douceur, l’attention portée à son bien-être. Il faudrait aussi prêter attention à sa vulnérabilité, entraînée notamment par les déséquilibres. Cela ne peut se faire que dans l’empathie, la prise en compte de l’autre.La confiance a aussi une grande place à prendre dans cette relation réciproque, il faut savoir accepter l’autre et tenir compte de ce qu’il propose en acceptant aussi d’être soi-même surpris. Il est important de savoir qu’on peut dire non.

Synthèse de la DVDP du 21 août 2016En quoi la danse contact improvisation (DCI) est-elle égalitaire ?L'égalité dans la DCI réside dans la réciprocité : personne ne domine l'autre car l'initiative tourne. De plus, l'improvisation fait qu'on ne sait pas ce qui va se passer. Il faut donc être à l'écoute de l'autre, mais ça ne suffit pas pour que ce soit égalitaire, il faut aussi qu'il n'y ait pas d'obligation de répondre de telle manière, que ce soit par la force physique ou par la volonté. Au fond, on peut dire que l'égalité est liée à une complémentarité entre les partenaires. Chaque binôme produit une création originale, où chacun apporte quelque chose de différent.Si on compare : dans la danse de salon, c'est toujours l'homme qui mène et la femme occupe la place qu'il veut bien lui laisser. Dans la DCI, il n'y a pas de rôle assigné : on peut expérimenter le fait de guider et d'être guidé(e). Or faire de la place à quelqu'un et occuper une place sont aussi des actes constitutifs de la démocratie. De même, dans la danse de salon, l'improvisation est limitée car elle puise ses figures dans un code précis. Dans la DCI, il n'y a pas de savoir pré-existant, même si l'expérience compte. Tout se crée dans l'ici et maintenant. Mais s'il n'y a pas de code, il ne devrait pas y avoir d'experts. La DCI interroge la place des experts en démocratie.Toutefois, ne peut-on pas observer dans la DCI pratiquée dans l'atelier une certaine soumission à la consigne qui fait que l'on accepte de « jouer le jeu » d'un certain rythme qui ne correspond pas à la créativité de tout le monde ? Il semble en effet que la DCI atténue les différences, voire supprime la possibilité du dissensus. Il s'agirait alors d'une démocratie « bisounours », privilégiant l'harmonie par rapport à la confrontation.

Quelle est la place du sexe dans la DCI ? Le corps que nous rencontrons est-il désexualisé ?Il semble que le temps et la pratique jouent un rôle, qu'on s'habitue au corps des autres et que la gêne lié au genre disparaisse. Certains disent ne pas danser de la même manière avec une personne de sexe différent, même quand la gêne a disparu. Pour d'autre, le corps est désexualisé, tout en ayant un sexe. Il semble intéressant de faire l'expérience de l'absence de la dimension sexuelle dans le rapprochement des corps.

Le Contact improvisation est une pratique issue de la Judson Church , un mouvement chorégraphique post-moderne américain des années 1970 qui utilise le mouvement ordinaire et les gestes du quotidien pour effacer la distinction entre danseurs et non danseurs et faire sortir la danse des lieux institutionnels. Il se refuse à « toutes les formes de domination sociale ou d’intimidation dans les pratiques de la danse » (Chourlin, 1999)

 Le Contact Improvisation est une forme de danse improvisée qui évolue à partir de contacts variés entre soi et ses partenaires. « L’accès aux sensations premières du corps, la gravité que l’on éprouve toujours, mais rarement de manière consciente, l’apprentissage de la chute, du support, de la prééminence de la communication par le toucher, ouvrent soudain la porte à la danse pour des tas de personnes qui en étaient privés ». Ainsi, « sa pratique va s’étendre aux personnes handicapées physiques, mal voyantes et aveugles  » ( Kuypers, 1999) Une éthique du care  va donc de pair avec le Contact improvisation qui privilégie « l’écoute de l’autre et de soi » et qui « naît d’un comportement démocratique où des personnes peuvent échanger sans qu’une prenne le pouvoir sur les autres  ».(Guisgand, 2006)

Le Contact Improvisation se veut donc accessible à tous et ne demande aucune compétence technique au préalable, ni un corps particulièrement entraîné. Les figures acrobatiques auxquelles il peut donner lieu ne sont pas une fin. Il s’agit en premier lieu d’amener à une conscience de soi comme individu ayant un corps évoluant dans un espace-temps et nouant des relations avec d’autres corps.

Le Contact  Improvisation se pratique en ateliers ou en jam. A Paris, tous les premiers lundis du mois se déroule au Carreau du Temple  une jam accessible aux personnes de toutes mobilités http://www.carreaudutemple.eu/la-jam

 Tous les vendredis, on peut participer à une jam au Palais de la femme(11°)http://quefaire.paris.fr/fiche/72748_culture_s_jam_au_palais

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