"Redisciplinarisation" de l'AP ? par Yves Lecocq

Cela fait bien longtemps que je ne suis pas intervenu, mais suis toujours très attentif aux échanges, et tiens en particulier à remercier ceux d’entre vous qui ont alimenté réflexion et documents sur la réforme du collège.
Justement, sur ce point, je voudrais vous soumettre ce qui représente pour moi un problème, concernant les contours pris par l’AP dans cette réforme... en tout cas, tels qu’ils sont présentés sur Paris.
Lors de l’Université d’automne, il nous a été précisé par quelqu’un de la DGESCO, et cela a été repris lors d’autres réunions et formations par différents inspecteurs, que l’AP devait être “un cours comme un autre”, et que finalement, ce qui changeait par rapport à un cours ordinaire, c’était simplement la posture de l’enseignant, davantage tournée vers un accompagnement des élèves, et la mise en oeuvre d’un pédagogie différenciée...
Evidemment, cela mène à s’interroger sur ce qui est sous-entendu dans ce discours concernant les pratiques pédagogiques mises en oeuvre lors des cours ordinaires... mais revenons à l’AP. Avec le fait que cet AP sera prélevé sur les horaires des différentes disciplines, et avec une approche de l’AP qui semble exclusivement mettre en oeuvre l’approche par compétences, certes en recherchant des compétences transversales, mais en partant d’abord du disciplinaire... je me pose quelques questions :
- Quelle place pour les compétences les plus basiques de l’”apprendre à apprendre” (organiser son travail, se concentrer, etc.) ?
- Quelle place pour la réflexion sur l’apprentissage des cours (différents styles d’apprentissage, techniques de mémorisation, stratégies et projets mentaux) ?
- Et au-delà, quelle place pour les approches qui partent du vécu des élèves en situation d’apprentissage (techniques d’explicitation, gestion mentale, etc.) ?
Je ne cache pas une réelle inquiétude, car l’exploration de ce vécu, cette explicitation de ce qui est mis en oeuvre tout au long du processus d’apprentissage, me semblent des clés fondamentales pour accompagner vers la réussite les élèves les plus en difficulté (et je rejoins ici complètement les analyses de Bonnery, peut-être plus que celles de Rochex).
Et d’ailleurs, quid des élèves en difficulté : j’avais cru comprendre qu’ils seraient au coeur de cette réforme, et c’était la raison majeure de mon soutien à celle-ci... Or, que ce soit dans le cadre de l’Université d’automne ou dans celui de la formation des formateurs, il semble bien qu’ils ne soient plus prioritaires, et d’ailleurs on en a au total bien peu parlé...
Alors, quel est votre sentiment sur ce que je ressens comme une forte tendance à la “redisciplinarisation” de l’AP ?
Bien à vous.

Yves Lecocq
Formateur sur Paris

Rebond 1

Merci à Yves Lecoq de nous alerter sur les risques de dérives institutionnelles dans la mise en place de l'accompagnement personnalisé en 6e, à la rentrée prochaine. Selon nous, ce qu'il appelle la (re)disciplinarisation pose au moins deux problèmes.

D'une part, il importe de ne pas rabattre l'AP sur un "apprendre à apprendre" plus proche de cours de "méthodologie" que d'un véritable accompagnement à partir "du vécu des élèves en situation". C'est seulement ainsi que l'on peut espérer permettre aux élèves de construire, non seulement les compétences transversales auxquelles Y. Lecoq fait allusion, mais aussi ces "gestes de l'étude" chers aux membres de l'équipe ESCOL, et dont l'appropriations par les élèves passe par la mise en place de démarches spécifiques comme les "échanges de pratiques scolaires" que nous présentons dans notre ouvrage. (1)

Plus fondamentalement encore, l'AP peut – et devrait - constituer un lieu privilégié pour travailler avec les élèves, notamment les plus en difficulté, leur triple rapport à l'École, aux savoirs scolaires et à l'apprendre, dans un cadre rigoureux et exigeant. Par ailleurs, nous savons, d'expérience, qu'un tel dispositif d'accompagnement est en mesure de contribuer à la restauration de la confiance en soi et de l'image de soi chez les élèves les plus fragiles.

D'autre part, il nous semble que l'approche disciplinaire a tout à fait sa place dans le cadre de l'AP, comme nous l'avons expérimenté. La "pause réflexive"(2).  invite les élèves à revenir sur les apprentissages réalisés au cours d'une période déterminée pour identifier les savoirs en jeu dans une séquence d'enseignement-apprentissage (un cours, l'étude d'un chapitre, la conduite d'un projet pluridisciplinaire, etc…). Une telle démarche présente un double intérêt :- elle permet aux élèves de faire la distinction entre le "faire" et l'"apprendre" et ainsi de mieux identifier les savoirs en jeu dans la séquence concernée ;- elle permet à l'enseignant de prendre la mesure des décalages entre ses visées s"apprentissages et ce que les élèves ont retenu de la séquence… et d'envisager les moyens d'y remédier, à court ou à plus long terme.

Mais on peut aussi penser à d'autres modalités d'accompagnement des élèves dans le processus même d'apprentissage, dans le cadre ordinaire de la classe : avec la familiarité de plus en plus grande des élèves avec l'informatique et le numérique, l'enseignant devient de moins en moins le pourvoyeur principal des informations et des savoirs dans sa discipline ; en revanche, il a sans nul doute à accompagner les élèves dans l'élaboration de leurs connaissances et l'appropriation d'une culture commune.

On voit que, dans un cas comme dans l'autre, les élèves en difficulté sont bien au cœur des préoccupations des enseignants-accompagnateurs.Dans ce nouveau Fil, il nous semblerait particulièrement intéressant de faire part de démarches d'accompagnement des élèves dans l'appropriation des savoirs disciplinaires, que ce soit dans le cadre de l'AP ou dans celui de la classe au quotidien.

Au plaisir de vous lire et d'échanger sur cette (re)configuration de l'articulation entre accompagnement et apprentissages scolaires.

Jean-Pierre Bourreau et Michèle Sanchez (Co-animateurs du cercle sur l'accompagnement)

(1) Rendre la parole aux élèves. Clés pour les accompagner sur les voies de la réussite. Chronique Sociale 2013 - Clé n° 6 Développer les "échanges de pratiques scolaires"

(2) ibid  Clé n° 5 Mettre en place des moments de "pause réflexive"

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