L’été, pour se former ?
Depuis de nombreuses années (pour ainsi dire depuis que j’ai débuté dans l’enseignement), j’ai toujours consacré au moins une semaine de mes vacances d’été pour participer à une formation de type pédagogique, soit comme participant de base, soit comme animateur d’atelier ou organisateur. Oserai-je dire que ça ne me semble pas scandaleux de demander à tous les enseignants (allez, soyons modérés, disons une fois tous les cinq ans…) un petit moment de leurs vacances à se former, oui, en dehors du temps scolaire.
Il est vrai que j’ai toujours tiré beaucoup de satisfaction, d’énergie de ces semaines pédagogiques, tout en découvrant une région, la richesse de la France, y compris ses spécialités gastronomiques parfois, et en rencontrant de nombreux collègues, souvent motivés et intéressants, avec des expériences diverses, surtout quand se confondent les niveaux scolaires et qu’un chef d’établissement peut côtoyer un professeur des écoles débutant par exemple.
Au diable l’ironie des anti-pédagogues devant ce qu’ils qualifieront facilement de « rassemblements boy-scouts » dès lors qu’on se préoccupe de convivialité, d’échanges pédagogiques ou de production d’outils et de dispositifs. Quoi, faire du théâtre, ou « pire », un atelier clown, se mettre en situation d’apprenant lors d’un atelier, parler de son projet d’établissement pour la rentrée prochaine dès le petit déjeuner ! Tant pis pour les pisse-froid et autres cyniques. Oui, on peut prendre du plaisir à se former, dans un cadre qui reste professionnel, ce qui ne veut pas dire austère et sans âme.
La semaine qui vient (18 au 25 août) a lieu la traditionnelle rencontre d’été du CRAP-Cahiers pédagogiques qui est vraiment une occasion de se ressourcer. Plusieurs facteurs font le succès de cette initiative annuelle :
◾le fait que soit pratiquée une pédagogie active : les « ateliers » ne sont pas un abus de langage comme dans certaines universités d’été où un intervenant communique et répond à des questions
◾le mélange d’ateliers de réflexion et production et d’activités où on peut aussi « apprendre autrement » : par le théâtre, par la danse, par la pratique artistique, par la découverte du pays, par la « rando-philo », etc.
◾un aspect essentiel : durant ces rencontres, les animateurs d’un atelier se retrouvent « animés » dans d’autres, et pour des formateurs expérimentés, il est toujours intéressants de se retrouver dans la peau du « formé » ou disons plutôt du participant ; de plus, en général, les animateurs d’une année sur l’autre se retrouvent aussi dans cette situation en alternance dans le temps
◾l’alliance de la rigueur organisationnelle (respect des horaires, pas toujours facile, mais globalement satisfaisant, sans rigidité excessive ; accomplissement de ce qui a été prévu pour l’essentiel, souci de partage de la parole, place essentielle donnée à des moments 
régulation et de la convivialité (comme chacun sait, on apprend autant à table ou autour d’un verre que lors des moments effectifs de travail, car on échange, on se donne des idées, on fait marcher la machine à créativité)
◾la combinaison subtile du collectif et de l’individuel. Le risque existe toujours d’une prédominance d’un esprit de groupe qui créerait de nouveaux conformismes, imposerait un penser-correct et stigmatiserait les différences trop marquées. Les organisateurs y veillent et cela me parait aussi essentiel. Et un bon antidote à un conformisme collectif reste l’humour, celui qui s’exerce envers soi-même : on a l’occasion plus d’une fois de se remettre en cause, de nous moquer de la tentation du recours à des gourous ou à des dogmes. Et cela, c’est particulièrement appréciable…
J’ajoute que nous avons fait le choix d’organiser garde et animations pour enfants de stagiaires, ce qui apporte une autre dimension à ces rencontres, quand on finit pas compter un enfant pour trois adultes. Cela impose des contraintes (avoir des animateurs, bien sûr), mais permet aussi d’accueillir de jeunes collègues.
La satisfaction finale des participants, l’important taux de renouvellement des participants (il n’y a heureusement pas que des fidèles et vieux briscards !), tout cela, en ces temps parfois moroses, « fait du bien ».
A partir de 1985, le CRAP avait aussi participé en tant qu’organisateurs aux « universités d’été », financées par le Ministère (les animateurs faisant le choix en l’occurrence du bénévolat, qui est une règle d’or dans nos mouvements) et qui permettaient là aussi des travaux fructueux. Si nos sessions étaient plus institutionnelles, dans l’ensemble, elles reprenaient une grande partie de l’esprit de nos rencontres d’été. Des années après, bien des participants s’en souviennent notant le contraste entre les universités d’été organisées par les mouvements pédagogiques et celles s’inscrivant dans un cadre universitaire où il était beaucoup moins question d’échanges et de dispositifs pédagogiques, où le souci de la classe et de la pratique avec les élèves était bien moins présent.

Dans les années 2000, ce dispositif, finalement pas si coûteux que cela, a été abandonné. Ce qu’on appelle encore « université d’été » a souvent peu à voir, répétons-le, avec un stage d’été d’une durée raisonnable fondée sur la mise en activité des participants et non sur des conférences (même si celles-ci ont leur intérêt si elles sont des moments de stimulation, qu’on peut ensuite commenter, qu’on peut se réapproprier dans des petits groupes).

Le ministère envisage des « universités d’automne » pour la mise en place de la réforme du collège. Espérons que l’organisation en sera pensée autrement que ce qui se pratique depuis plusieurs années. Et il ne serait pas interdit de faire appel aux mouvements pédagogiques pour faire bénéficier de leur expérience longue ce genre de manifestations.
Je vois plusieurs conditions pour que ça fonctionne efficacement :
◾bien cerner l’objectif (former des formateurs ou former des enseignants sur leur pratique de classe, ce n’est pas la même chose, même si dans les deux cas, on parlera bien de ce qui doit se faire en classe)
◾consacrer les deux tiers du temps à des travaux d’ateliers, des ateliers où on prend le temps d’élaborer des outils, de réfléchir ensemble (et non un tourbillon d’ateliers tournants)
◾imaginer une façon de rendre vivantes les conférences (questions travaillées au préalable, système de petits groupes après l’intervention, présence d’un « discutant » qui interpellerait le conférencier, y compris en jouant l’avocat du diable)
◾travailler à fond les objections qui peuvent être faites à la réforme du collège, y compris sous forme de jeux de rôles ou de débats simulés, afin de trouver les « bonnes réponses »
◾utiliser des outils modernes, depuis la vidéo jusqu’à twitter comme supports de discussion
◾se fixer des objectifs de production clairs et s’y tenir (quel écrit ? pour quoi faire ? comment restituer les travaux d’ateliers ?…)
◾favoriser les échanges hors temps de travail en évitant le pseudo-temps libre où chacun se disperse (savoir utiliser le temps du soir, d’une façon ou d’une autre), veiller à ce qu’il y ait donc une vie collective, même pour une durée limitée à trois jours.
Je reviendrai dans mon prochain billet sur le sujet, peut-être en livrant quelques réflexions suite à la semaine que je vais vivre à Angers, à animer un atelier (avec une collègue ) autour de l’évaluation à l’heure du socle commun, à débattre, notamment avec Michel Develay, invité lors d’un moment de conférence, et à revenir bien sûr sur la réforme du collège, à laquelle nous consacrerons une soirée. Et puis allez, je boirai un verre de l’excellent côteaux du Layon ou un rosé d’Anjou en pensant à tous ceux qui préparent la rentrée bientôt…
Des aperçus visuels de nos rencontres d’été :
https://www.youtube.com/watch?v=zVoytgafXCs
https://www.youtube.com/watch?v=H-n8X_J-9oo
Dans le cercle Miettes de CRAP 2015: Travailler ensemble à une école plus juste

Rebond 1

et une suite avec un second billet dont voici le lien:

http://blog.educpros.fr/Jean-Michel-Zakhartchouk/2015/08/26/lete-pour-se...

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