Professeur de français en collège, je me suis porté volontaire pour participer à une expérimentation de « classe de 6eme sans notes » cette année. Tous les  membres de l’équipe ont été volontaires également  -condition  primordiale-  il me semble, pour un tel projet qui demande un investissement important. L’établissement mène l’expérience sur deux classes de sixièmes, avec pour objectif de la poursuivre  sur le niveau 5e, et de l’étendre –peut-être- sur tout le niveau 6eme.

Au début, mon avis sur l’absence de notes était un peu ambigu, de même que mon positionnement partagé, car je suis aussi père d’un élève de 6eme, et je suis très attaché aux notes qu’il peut rapporter à la maison.  On sait bien que les enfants d’enseignants ont des parents très « collants » non ?... et qui suivent au plus près leur scolarité. 

Cela dit, au bout de deux mois d’expérience, je vois de grands avantages ressortir clairement de cette forme d’évaluation par compétences, sans notation chiffrée. Tout d’abord, précisons ma démarche : avec mon collègue de français travaillant dans l’autre classe, nous avons opté pour des grilles d’évaluation de compétences par ceinture (comme au judo) : une grille pour la grammaire, une pour la conjugaison, une pour la lecture, une pour l’écriture, et une dernière pour le travail de groupe. Ces échelles de ceintures sont pratiques et adaptables à tout, me semble-t-il, y compris à l’attitude des élèves. 

Les premières compétences de chaque grille doivent être faciles à acquérir, de manière à ce que chaque élève puisse obtenir sans difficulté sa première ceinture et trouve la motivation nécessaire pour adhérer au projet. C'est d'ailleurs le premier point que j'observe : les élèves, encore très joueurs, apprécient ce système qui leur sert de repère. Finies les notes, OK. Donc, perte de repères ? Mon enfant ne saura plus s'il est bon ou mauvais ! Qu'entends-je ? Dans tous les cas, souhaiteriez-vous qu'il entende cette deuxième option ? Votre enfant va en avoir des repères, et pas qu'un peu ! Sur chaque évaluation, des compétences bien précises sont listées et renvoient aux grilles. Ainsi, par exemple, un travail d'écriture peut servir à évaluer des compétences d'écriture, ou de langue, ou encore de travail de groupe, tout dépend de ce que j'aurai décidé d'évaluer selon mes objectifs pédagogiques. Mais l'élève aussi saura exactement ce sur quoi il est évalué, et les parents pourront en prendre connaissance également.

Le deuxième point positif de notre expérimentation, c'est que nous avons pris le parti de développer l'auto-évaluation. Ainsi l'élève remplit sa grille en indiquant s'il pense avoir échoué, moyennement réussi ou réussi dans chaque compétence. De semaines en semaines, leurs retours sur eux-mêmes s'affinent et l'analyse de leur travail devient de plus en plus pertinente.

Chacun commence à comprendre ses forces et ses faiblesses, mais encore, un élément de changement primordial, c'est que les élèves en souffrance scolaire deviennent conscients qu'ils savent réaliser des tâches, et se sentent reconnus pour cela, alors qu'avec le système des notes, s'ils avaient eu une « mauvaise » note, il n'en auraient pas pris conscience.

Ce sont ces mêmes élèves (dont un m'a dit qu'il commençait à aimer l'école alors qu'il l'avait toujours haïe – ce sont ses propres termes) qui me sollicitent à présent pour repasser une compétence non acquise. Parce que l'évaluation par compétence ne peut être pédagogiquement intéressante que si elle est accompagnée d'aide et de remédiation, je mets en place le système suivant : Chaque élève qui le souhaite peut retravailler les une ou deux compétences  qui lui font défaut, chez lui, à son rythme, et peut la repasser en classe, à l'oral. Je prévois des moments dans mes séances pour cela. En ce qui concerne l'écrit, ils peuvent aussi retravailler une expression écrite à partir de la correction.

Ce qui compte, c'est que rien ne soit figé, gravé dans le marbre, et que les élèves puissent tenter et retenter jusqu'à la réussite. C'est bien le troisième point positif de notre expérimentation.

Celui-ci est cependant accompagné d'un point négatif, c'est que toute cette mise en place est ultra-chronophage pour moi, et que j'ai l'impression de ne plus travailler que pour cette classe là et de délaisser un peu les autres.
C'est un constat que je partage avec plusieurs autres collègues. Est-ce qu'on travaille trop ? Est-ce qu'on ne sait pas s'y prendre ? Est-ce que la 2eme année sera plus facile ?

Il y a bien d'autres points positifs à notre expérimentation. Des évaluations interdisciplinaires (ex : français / histoire pour les textes fondateurs) ; un système de tutorat entre élèves qui renforce les liens entre eux (ou les crée). Il permet d'une part, aux élèves en difficulté, de revoir des notions tout en étant rassurés (parce que les « élèves coach » sont apparemment plus « fin » pédagogues que nous, ou du moins, moins anxiogènes) et d'autre part, aux tuteurs,  de revoir des notions, de les fixer ou de développer des compétences plus fines. Tous y trouvent leur compte.

Nous avons fabriqué nos propres échelles de compétences par ceintures.  Ce système nous bloque parfois, car nous ne savons pas trop où placer certaines compétences, ou bien nous en découvrons certaines auxquelles nous n’avions pas pensé. Par exemple, pour la grille sur l'écriture évaluant surtout l'aspect formel, nous devons dire aux élèves que d'autres compétences « invisibles » dans leurs grilles existent pourtant, qu'elles sont validables dans sacoche, et qu'on leur en parlera au coup par coup.

Pour le reste, et bien...Le choix du logiciel Sacoche pour valider les compétences fait que je dois adapter mon système d'évaluation. Nous avions opté pour un système d'évaluation à trois niveaux : non acquis, acquis, TB. Or Sacoche  propose 4 niveaux....

Nous tâtonnons, nous revenons quelque fois en arrière, mais au final, je pense que nous avançons quand même. Attendons la fin du premier trimestre et le conseil de classe pour avoir un peu plus de recul...

Rebond 1

Votre texte me touche particulièrement, à deux endroits:

- le passage où vous parlez des élèves en difficulté, qui prennent peu à peu confiance dans les enseignants et dans leurs propres capacités à réussir : certes, il ne faut pas crier victoire , ni penser qu'ils vont tout de suite devenir de brillants sujets : mais pensez-vous possible, avec votre mode de travail, de les faire sortir durablement de l'échec?

- La relation avec les parents nous intéresse aussi beaucoup : vous êtes à la fois enseignant et parent! Avez-vous développé pour les parents un argumentaire que vous utilisez lors des rencontres parents-professeurs ou autres contact, pour leur expliquer, les convaincre de l'efficacité de votre méthode de travail.

En tout cas, j'espère que vous continuerez ainsi avec le dynamisme et la confiance dont vous faites preuve  , et que vous contaminerez plein de collègues,

Michèle Amiel

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