NE DITES PLUS ACCOMPAGNEMENT !
« L’accompagnement est un mot-valise » : posons la valise, ne disons plus « accompagnement ». Et par la même occasion faisons le ménage dans les adjectifs qu’on lui accole... : il y a beaucoup trop d’aspects différents derrière ce terme. Je propose d’essayer de trouver des termes précis qui permettent de distinguer les différentes pratiques fourrées sous ce nom. Et, à partir de là, de militer pour la suppression du terme « accompagnement », du moins dans tout un tas de ses usages.
Selon les cas, l’accompagnement c’est : le « cours » (le travail de base de l’enseignant) / la remédiation / l’aide / le soutien / l’approfondissement/ le tutorat/le suivi individuel/ l’aide à l’orientation / l’aide méthodologique / la prise en charge psychologique / (j’en oublie...)
Comment choisir le bon terme ?
Se poser des questions pour trier :
- Cela se passe où ?
• dans la salle de classe, dans les heures d’emploi du temps ?
• dans l’établissement, mais hors emploi du temps ? • Hors établissement ?
- Cela est institué comment ?
• cela fait partie du travail de la classe
• c’est un dispositif institutionnel global, avec des heures, des cases dans l’emploi du temps
• cela entre dans un projet d’équipe ou d’établissement
• c’est spontané, dans le relation prof-élève ou adulte élève, sans cadre
• c’est implicite et naturel entre élèves
- Qui accompagne ? :
• le prof (un des profs) de l’élève ?
• une équipe de profs ?
• une équipe d’adultes, pas tous profs ?
• un adulte « spécialise » ?
• un ou plusieurs autre(s) élève(s)
- Pour quels élèves ?
• obligatoirement tous ?
•potentiellement tous, mais pas forcément ?
• ceux qui sont volontaires ?
• ceux qui ont des difficultés scolaires ?
• ceux qui sont en échec ?
• ceux qui ont des « problèmes » (de tous ordres) ?
- Combien ?
• en grand groupe (classe) ?
• en sous groupe de taille variable ?
• individuellement ?
- Cela porte sur quoi ?
• aide à l’apprentissage (surmonter les difficultés « ordinaires »)
• aide pour revenir sur des difficultés anciennes, ou particulières (élèves allophones nouvellement arrivés, par ex)
• méthode de travail
• Aide pour « se sentir bien » (inclusion ?)
- Cela fait partie :
• des missions de l’enseignant dans son enseignement disciplinaire (ou pluridisciplinaire),
• des missions des tous les enseignants (du système)
• cela relève des compétences d’un professionnel autre (psychologue, conseiller d’orientation...)
Bien entendu, ces questions sont incomplètes, il faudrait affiner et ajouter les cas que j’ai oubliés.
Mais une fois qu’on a ces réponses, on peut dire :
« c’est dans la classe, dans l’emploi du temps ordinaire, cela concerne les élèves qui ont des difficultés scolaires, c’est fait par une équipe des profs de la classe, en sous groupes de taille variable » : c’est de l’aide ou du soutien ... et bien entendu, cela fait partie des missions des enseignants.
ou bien,
« c’est dans l’établissement hors emploi du temps, sans cadre institutionnel, c’est pris en charge par deux ou trois professeurs de la classe avec d’autres adultes, cela vise à aider un élève (individuel) l’élève à ne pas décrocher » : c’est du suivi individualisé, et bien entendu, cela fait partie des missions de tous les enseignants...", etc.
Si j’avais pu mettre ici autre chose que du texte, il deviendrait imaginable de construire cela comme un arbre ou un algorithme...Peut-être des fils différents sur ces différents termes (et d’autres) permettraient de faire rebondir ? Pour démêler la pelote bien embrouillée de l’accompagnement, séparons les fils, d’abord, patiemment. On rembobinera après, si c’est nécessaire...
"Militer pour la suppression du terme accompagnement et "essayer de trouver des termes précis qui permettent de distinguer les pratiques fourrées sous ce nom".Et si, au lieu de chercher à remplacer un terme par un ou plusieurs autres, on essayait d’abord de se mettre d’accord pour savoir de quoi on parle et trouver les éléments susceptibles de caractériser -comme le suggère Françoise Colsaët- les pratiques relevant de l'accompagnement des élèves ? C'est sans doute ainsi que l'on peut espérer donner un peu de consistance à un concept que l'on peut qualifier de "mou".Maëla Paul le stipule d’emblée dans son volumineux ouvrage : l’accompagnement n’est pas une pratique clairement identifiée, mais "une posture spécifique" susceptible d’être présente dans une infinie variété d’interventions dans le champ social. Pour rester dans le cadre scolaire, la posture d’accompagnement peut donc se retrouver aussi bien dans le déroulement d’une séquence d’enseignement-apprentissage en classe entière que dans des dispositifs périphériques, dont Françoise Colsaët propose une première liste et que M. Paul qualifie de "nébuleuse". Le dernier avatar de cette longue généalogie se nomme précisément accompagnement personnalisé, contribuant ainsi à jeter un peu plus de confusion entre dispositif et posture : il y a fort à parier que certains enseignants adoptent davantage une posture d’accompagnement (peut-être sans le savoir, tout comme Monsieur Jourdain avec la prose) dans le cadre de leur enseignement ordinaire que d’autres qui interviennent dans des dispositifs de soutien, de tutorat… ou d’accompagnement personnalisé.Dans ce Cercle, nous réitérons notre souhait de dépasser les appellations, les discours officiels, les déclarations d’intention et du "travail prescrit" pour nous centrer sur le "travail réel", c’est-à-dire au plus près de ce qui se fait et se dit en matière d’accompagnement des élèves. Toute la question étant alors de savoir à quoi reconnaître cette posture d’accompagnement dans un cadre scolaire, voire péri-scolaire.Nous disposons pour cela de quelques ouvrages de référence cités dans notre bibliographie introductive, en particulier celui de M. Paul évoqué ci-dessus et celui de G. Wiel et G. Levesque, Penser et pratiquer l’accompagnement. Mais nous sommes là en présence d’ouvrages qui développent des approches de l’accompagnement que l'on pourrait qualifier de « maximalistes » et aussi généralistes que possible, souvent fort éloignées (sauf chez G. Wiel) du monde de l’Ecole. Ils peuvent cependant nous fournir d'utiles éléments de réflexion susceptibles de nous aider dans l'élaboration d'une première grille d'analyse de nos pratiques dites d'accompagnement. (cf fiches de lecture de ces deux ouvrages dans le FIL "Notes de lecture sur l'accompagnement).Nous proposons donc de poursuivre les échanges dans ce Cercle à partir de la triple interrogation suivante :- quelles compétences et/ou attitudes permettent de caractériser la posture d’accompagnement en milieu scolaire ?- qu'est-ce que les démarches d'accompagnement apportent de plus aux élèves… et aux enseignants ?- pour se développer, une telle posture doit-elle s’inscrire dans des moments ou des dispositifs spécifiques ou bien a-t-elle toute sa place dans le cadre de la pratique quotidienne de la classe –et vocation à prendre place "au cœur du métier d'enseignant" ?
Comme nous l’avons déjà écrit par ailleurs –et pour éviter la multiplication des malentendus sur le terme accompagnement- nous souhaitons que le débat sur ces questions s’engage à partir de la relation de pratiques aussi contextualisées et aussi précises que possible. A vos traitements de textes !
avec Jean-Pierre Bourreau (co-animateur de ce cercle)