Comment enseigner lorsque l'on est en situation de  handicap ou porteur  d'une maladie invalidante? Quelles démarches effectuer? Quels  sont les aménagements  mis en place par l'Education nationale? Comment est interprétée et  appliquée  la loi du 11 février 2005 par l'Institution et ses représentants? Il s'agit de rendre compte dans ce fil de parcours d'enseignants et de témoigner de ce métier dans ses relations à la communauté éducative.

Rebonds 4

D'abord voici la lettre que j'ai lue au lycée où j'enseignais quand j'ai été déclarée inapte, euphémisme délicat, double peine oui....Parkinson puis salaire allégé des primes, parcours du combattant, pour comprendre qu'il n'y a pas de tendresse pour les "handicapés". D' abord la lettre:

>> EN GUISE D’INTRO UNE PETITE HISTOIRE ….> « J’avais rencontré le Marquis tout à fait par hasard…à moins que le hasard ne soit une invention humaine pour expliquer l’inexplicable…quoiqu’il en soit nous nous rencontrâmes. Je passais un concours dans le but de me stabiliser professionnellement comme aurait dit ma mère. J’étais donc attablée comme tout candidat et mon corps se sentait tout à fait étranger à cet espace où on le forçait à ne déployer que ce qui n’entravait ni les voisins ni les règles anti-triches de ce genre d’épreuves. Bref il était à l’étroit. J’avais pourtant tout organisé : la montre pour contrôler ma performance, les coupe-faim, la boisson, un stylo de rechange…cependant mon corps s’agitait ouvert à d’autres désirs que de rester immobile durant quatre heures. Tous les candidats étaient là et seules quelques tables désertes ravissaient certains candidats comptabilisant les concurrents déjà évincés.> Mon regard fit un tour d’horizon et ce fut à ce moment là que nos regards se croisèrent. Le contact de son regard eut un étrange effet sur ma main droite qui se figea, me rendant incapable de composer le moindre devoir. J’avais beau tenter d’écrire je ne parvenais à produire que des lignes dignes d’un électrocardiogramme. J’en paniquais. Tout ce temps passé dans la préparation du concours n’avait plus aucun sens. Ma main droite ne parvenait plus à écrire et je ne savais pas me servir de la main gauche à titre de remplacement provisoire. »>> IRONIE DU SORT ?> > Je me demandais comment commencer et je me suis rappelée du rock que j’ai parfois dansé avec Mme P. à certains pots de fin d’année…le rock c’est une façon de crier sa liberté> > Je commencerai donc par ces  quelques paroles de Land de Patti Smith…..> Je donne la version française mon anglais étant plus qu’approximatif…mais j’ai le texte original…> > (lire le texte)> > J’ai toujours été un peu rock’n roll même quand il y a 20 ans je suis arrivée en tailleur, surtout quand je faisais cours…> > Je n’aime pas les plans en trois parties ou en deux ou en quatre…j’aime laisser la pensée se déployer un peu comme une étoile, entre la toile de l’artiste et la toile de Pénélope.> Ce que je vais dire ne dérogera pas à cette façon de présenter ce qui me tient à cœur…l’ironie du sort…qui est tout sauf une tragédie.> > Parkinson…malgré tous les dénis, malgré toutes les feintes, celui que dans un texte je qualifie de Marquis de P., a eu raison de moi. Pourtant j’ai tout essayé : arrêter les médocs, affirmer que le médecin est un incompétent, pleurer, passer à l’offensive….rien ne peut aller contre la nécessité des lois naturelles, c’est ce que j’ai vite compris. Triste à admettre que le corps suit ses lois et que le libre-arbitre n‘est qu’une illusion de la conscience qui aimerait tant du haut de son narcissisme contrôler le monde. Mais au moins Parkinson a ceci de pratique c’est qu’il est un amant qui ne vous lâche pas : une fois qu’il est là pas de divorce possible, il est infidèle c’est vrai, mais il revient toujours.> > Peu partageur cependant. Quand il vous tient il vous veut pour lui seul. Vous  pouvez lui tenir tous les discours de la raison ou de la déraison, cela ne changera rien à son désir d’exclusivité.> > Cet amoureux encombrant vous envahit de sa présence et vous avez alors le plus grand mal à ne pas porter sur vous les marques de sa ténacité, le plus grand mal à exister pour vous, le plus grand mal à être reconnue pour vous-même.> Un jour j’ai compris qu’entre lui et moi il n’y avait que l’espace de ce qu’il m’accordait, c'est-à-dire la vie qu’il m’avait choisie.> > Comme dans toute histoire passionnée, le résultat fut douloureux. Son omniprésence me rendait inapte, selon la terminologie officielle, au métier d’enseignante. Vivre avec lui c’était le prix à payer.> > Me lamenter d’être qualifiée d’inapte au métier d’enseignante? Voilà qui serait pour le coup lamentable. Facile le jeu de mot, je l’accorde…donc je ne me lamenterai pas…et j’éviterai le style normalien, ne l’ayant jamais été, ce qui me valut peut-être  de rester sur la terre de mon enfance, Aubervilliers…mais en fait par choix, nullement par dépit. Peut-être aussi parce que je n’aime pas le poème de Prévert, Petits enfants d’Aubervilliers, petits enfants de la misère.. J’ai choisi de rester à la Courneuve, j’ai choisi Aubervilliers, ce qui étonnait toujours les élèves…> Peut-être parce que> la vraie noblesse est la pensée…> La vraie noblesse n’est et ne sera jamais l’érudition.> La  vraie noblesse n’est pas d’être la fille ou le fils de…> La vraie noblesse n’est pas une affaire de quartier ou d’arrondissement.> La vraie noblesse est le don de soi, sans contrepartie, autre nom de la générosité, pas celle de la morale religieuse, celle qui est exercice réel de la liberté réfléchie.> > Je ne vais pas sauter de joie non plus, à cette affirmation sans appel de mon inaptitude.  Ce serait pour le moins étonnant, surprenant…suspect. Non, je ne suis pas ravie de subir les choses, moi qui ai un style de vie rebelle et libertaire. Non , j’en veux à Parkinson de m’avoir contrainte à oublier mes projets insensés pour certains, géniaux pour d’autres, de  me fragiliser tous les jours un peu plus…> > Mais je ne suis pas une ânesse qu’on traînerait à la Mecque, je ne suis pas du genre non plus à combattre contre les moulins à vent. Non. Je sais une chose que Parkinson ne me retirera pas : je suis fille du désir…> Ce désir qui m’a toujours animée et poussée à construire ma vie.> Ce désir, puissance d’agir,> Ce désir, accomplissement de soi> Ce désir que je retrouve dans la peinture, dans l’écriture> Ce désir qui seul peut faire face à l’invincible nécessité> > Ce désir me porte…il porte parfois le nom de création.> Aujourd’hui, je tourne la page. J’oublie la tristesse. J’oublie mon corps qui parfois ne m’appartient plus…mais nous appartient-il vraiment ? J’oublie ces  30 ans au service des jeunes, comme pionne, directrice de colo, CPE, prof de philo….> J’oublie pour reconstruire…c’est ce que je fais de mieux…construire, reconstruire…toujours en devenir...deviens ce que tu es disait Nietzsche après bien d’autres…je suis dans ce désir de devenir, jamais achevée, toujours en recherche de, ouverte aux possibles qui font l’humain.…> > Voilà qui je suis. Une femme qui sait que vivre c’est se battre, avec ou sans Parkinson..> Vivre c’est inventer sa vie> Cela je crois que j’y suis apte….> >> Accoucher d’une étoile qui danse… C’est ainsi que Nietzsche définit l’art…> Pour qu’il y ait danse il faut se risquer à ce combat de la matière et de la force, à ce travail de l’art, invisible quand l’œuvre est achevée. Le hasard est là en apparence quand la tâche surgit, mais le hasard livré à lui seul ne produit rien. C’est la tâche de l’artiste que de voir derrière le hasard le sens qui surgit, de voir avec son œil et sa main.> Alors seulement l’œuvre s’anime et danse la liberté créatrice> > C’est cela être prof> C’est cela vivre> > Chercher du sens, en produire,> être humaine c'est-à-dire chercher à comprendre l’humain comme seul un misanthrope sait le faire,> ne pas être une gestionnaire des  moyens, une technicienne de la méthode,> faire ce que je suis,> refuser la vraie médiocrité qui est fermeture à l’inconnu,> défendre la noblesse de la pensée affranchie de la mollesse des certitudes  > Aimer porter le désir des élèves> Porter la contradiction pour éviter la torpeur de l’autosatisfaction> Décadrer pour recadrer et jouer de la norme> Vivre la liberté pour pouvoir l’enseigner> Voilà ma philosophie…libre de tout prêt-à-porter de la pensée> Une philosophie du vertige> Une philosophie que je vis> Cela, Parkinson ne me le prendra pas> > > Je ne serai plus prof> Je ne serai plus à J.Brel> Mais> Liberté> Je continuerai à clamer ton nom………..> > J’ai commencé avec Patti Smith, je poursuis avec Alanis Morissette> (lire)> > Merci Monsieur H. de m’avoir comprise> Madame C. d’avoir supporté mon désordre ordonné> Madame P. je me souviens donc de ces quelques rocks>  Mon enseignement fut souvent rock’n roll> Merci monsieur l’intendant pour avoir accepté souvent mes projets> Merci aux surveillants de m’avoir épaulée> Merci à l’infirmière qui prêtait son oreille quand rien n’allait plus> Je n’oublie pas le sourire de Mme D. qd je ne retrouvais pas le badge…que j’ai mis un an à obtenir> > Merci à mes collègues pour leurs grincements de dents> Ou pour leur soutien parfois> Et merci Ersilia> Charlotte> Raphael> Portez vous aussi ce désir> Qui a pour nom> L’amour de vivre>                                                                                                                          > Ironie du sort ? non> Inaptitude ?non> Juste face à moi> Face à ma vie> Celle que j’ai choisie et continuerai de choisir… 

Puis le parcours administratif qui mérite un rebond à lui seul

 mais avant, le site que j ai créé: son but, sortir du silence....

 

http://maryseemel.wordpress.com/

Je suis Parkinsonienne depuis bientôt dix ans; je n'ai pas envie de raconter ce que Kafka n'aurait pas imaginé. Après un rude combat et je le souligne même si je vais me faire des ennemis, une indigence du soutien syndical, une solitude sans nom, la peur qui s'associe au handicap, la culpabilité cultivée, le désir d'en finir, j'ai assez de recul affectif, "moins la haine" diraient certains, pour souligner ce qui fait gravement défaut dans notre institution: la prise au sérieux du travail de prof, et l'indétermination totale d'un mot qui cache une diversité d'enseignements et par conséquent la nécessité d'établir non seulement un parcours individualisé ( ce qui aujourd'hui tente d'être fait), mais aussi et surtout, et là on en est loin,  d'offrir des propositions de "reclassement administratif" qui ne soient pas considérés comme un "pis aller" pour les profs. Je m'explique: proposer un reclassement en secrétariat administratif est certes sympathique, mais le travail de secrétariat est un travail qui suppose une réelle formation et surtout un libre choix de la part de celui ou celle qui l'exerce. Ce n'est pas parce que vous êtes frappé d'un handicap qu'il faut pour autant vous considérer comme inapte sur tous les plans et notamment celui de la prise de décision du choix de votre vie. Parkinson affaiblit physiquement. Vous avez des problèmes d'équilibre parfois, des difficultés à l'oral aussi, des tremblements intempestifs dus à la prise de dopamine. Une grande fatigue vous envahit au moment où le médicament cesse d'être efficace. La maladie s'aggrave quand vous êtes dans un lieu agité. Ce qui manque c'est une réelle réflexion sur ces maladies et de mettre au point un réel aménagement de travail qui ne soit pas une généralité valable pour tous,  mais une réelle prise en compte de l'individu concerné. Bien sûr on objectera que l'institution a des structures à ce propos. Certes. Mais ce n'est pas suffisant que de demander au prof de s'adapter...De se former pour... Il faut prendre en compte ce qu'il est, ses compétences et cela, j' ai eu du mal à le croiser, même s'il y eut un réel miracle et que j'ai croisé la bonne personne pour sortir du trou noir...Mais tout le monde n'a pas nécessairement "la chance de ".

les structures sont là...ce qui manque c'est un rapport humain au handicap, et ce d'autant plus que le handicapé est dans une situation de fragilité.  

le handicap est rupture avec l’environnement. Cela élargit notablement la notion.

Il y a bien plus de handicapés qu’on ne le croit.

C’est pourquoi il convient de parler de handicap au pluriel .

Rajoutons une précision. Il y a rupture avec l’environnement, entendons par là une autre façon de vivre son rapport à….Autre rapport au temps, à l’espace, aux hommes. La question que nous posons ici est celle de savoir qui fixe cette mesure du temps, cette représentation de l’espace, ce lien social qui détermine le regard de l’autre.

Derrière la représentation du handicap se profile celle de la norme, de nos valeurs.

Pourquoi, à un moment, lla rupture devient motif d’exclusion?

Comment glisse-t-on du handicap au préjugé social?...telles sont les questions à creuser.

Avoir un pied trop court est une gêne pour le corps, pas pour la liberté de choisir. Aie cette réponse à l’esprit en toute occasion : tu verras que la gêne est pour les choses ou pour les autres, non pour toi. Manuel, 9 Epictète

Merci Maryse pour votre témoignage et votre réflexion sur  les handicaps   dans notre société , réflexion née de votre expérience personnelle et professionnelle.  

 Une information .Le  programme de Recherche européen  Horizon 2020 a dans ses objectifs  un défi  sociétal :   "L'Europe dans un monde en évolution: des sociétés inclusives, innovantes et réflexives" 

 Au vu de votre expérience  , on est encore loin de "ces sociétés inclusives,  innovantes et réflexives" , un vrai  défi pour  l'Education nationale qui se devrait d'être exemplaire  tout comme l'Etat français dans le respect de la loi du 11 février 2005 . 

Que faire pour que"ces sociétés inclusives" que visent la Recherche européenne  ainsi que la loi de Refondation en affirmant le 8 juillet 2013 l'Ecole inclusive  ne demeurent pas des utopies généreuses?  

 

Évelyne Clavier Enseignante dans l'académie de Paris , le 6 Mai 2014 à 19:28

La loi fixe  un cadre général. Il est nécessaire mais pas suffisant. Certains gestionnaires confondent encore maladie incurable et " qu'en faire de ce poids lourds". De la pitié ils en ont, trop même...Je n'ai jamais demandé des larmes. J'attendais une solution créative m'incluant dans la démarche. Moi, je m'en suis sortie, mais combien doivent finalement se justifier d'exister? Combien de petits chefs dans notre  Administration n'ont pas compris que certaines maladies vous invalident tant, qu'après une heure de trajet, vous dire d'attendre face à un bureau vide, car l'heure c'est l'heure(!) est scandaleux.

c'est l'application intelligente de la loi le problème, c'est le côté mécanique de la prise en charge, le rictus qui blesse, la voix qui se hausse parce qu'un jour, à une réunion de reclassés, vous rappelez que les "reclassés" ont un prénom, un nom, une histoire. On a vite fait de vous sortir de votre appartenance au temps des autres...Vous êtes hors...hors la loi de la compétence, du sourire et de la communauté tant écrite et si invisible,, la communauté scolaire.

Elle est où cette communauté qui ne voit jamais à temps un prof souffrir?

apprenons l'entr'aide sortons de notre égoïsme et la loi sera secondaire

MARYSE EMEL Professeure de philosophie, le 6 Mai 2014 à 19:57

Il y a les handicaps qui se voient, et ceux qui ne se voient pas. Parfois, les uns entraînent la peur ou la pitié, les autres l'indifférence. Mon handicap ne se voit pas, même si la maladie ronge mes nerfs un peu plus chaque jour, me faisant perdre ma motricité et mon énergie.

Pour ma part, l'institution a apporté ce que j'attendais d'elle : aides techniques pour palier mes difficultés, aménagements demandés pour compenser la fatigabilité.

Chance inouïe dans mon cas : quand l'emploi du temps donné par mon administration en début d'année m'a fait bondir (les recommandations du médecin du travail n'étaient pas respectées), ce sont mes collègues qui se sont mobilisés face à mon désarroi et ont modifié les EDT pour que je puisse continuer à exercer sans risque pour ma santé. Oui, les équipes soudées, ça existe encore et je suis bien contente d'en faire partie. Mes collègues reconnaissent mes points forts, et connaissent mes points faibles. Et je connais les leurs, d'autre nature certes, mais ne serait-ce pas cela que l'on appelle la complémentarité?

Je voulais partager avec vous cette petite note d'espoir. Les mentalités évoluent, lentement certes, mais c'est à nous aussi d'accompagner nos collègues, nos élèves et leurs parents pour que petit à petit, chacun trouve sa place, même si elle est différente de celle que l'on envisageait. En guidant les plus jeunes vers l'acceptation de la différence, ils seront sans doute des adultes plus ouverts à l'autre.

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