privé Ce fil est en édition sur Plume depuis le ven, 24/10/2014 - 10:36

Pourquoi est-ce que j’écris autant? Voilà la question qui m’a été posée et à laquelle je dois essayer de répondre dans cet article. Et il m’a fallu presque 6 mois pour mettre en ordre dans ma tête la réponse à cette question.

Je ne pense pas pouvoir cacher très longtemps mon attirance depuis toujours pour l’écriture, celle que je pensais être la seule valable, l’écriture de fiction, narrative et créative, et comme beaucoup, j’ai écrit, à partir de l’adolescence, jusqu’à l’âge qu’on va dire adulte, sans réticences et sans pudeur, en inventant toutes sortes d’histoires courtes, drôles ou tristes, inspirées ou prétentieuses, avec un unique objectif en tête: me préparer à l’écriture de mon roman. (J’entends par là le roman que l’humanité attend pour enfin se comprendre et régler ses problèmes) J’ai gagné, de 15 à 20 ans, quelques petits prix d’écriture, tant que la concurrence n’était pas trop forte et que mon jeune âge me permettait d’être visible, suffisamment pour me construire quelques rêves de grandeur, avec publication à succès à la clef, s’il vous plaît, ça serait encore mieux.

Bon, s’il n’est pas difficile de dire pourquoi je n’y suis jamais arrivée, il est plus intéressant de réfléchir à pourquoi j’ai arrêté d’y croire.

Ce qui s’est passé concrètement, c’est qu’un jour, une chape de pudeur s’est abattue sur mon écriture, et que j’ai commencé à me dire: «C’est pas possible, je ne peux pas écrire cela. Je ne peux pas faire lire cela». Et là, c’était foutu. Quand j’ai commencé à me poser des questions, ça a été la fin de mon inventivité narrative. Terminé. Plus aucune histoire n’est sortie de mes mots, plus aucun personnage m’a pris vie sous mes doigts.

Ca m’a beaucoup attristée, même si je me suis promis de ne pas renoncer à l’idée d’écrire mon roman un jour avant de mourir, promis, c’est ça qui est bien avec l’écriture, c’est qu’on peut faire cela à 90 ans, c’est pas comme le saut périlleux en gymnastique où si après 15 ans, on ne sait pas le faire, on ne saura plus jamais.

Bon, jusque là, je pense, rien de très original, ni de très grave. Si ce n’est que ce n’est jamais totalement anodin, les rêves qu’on abandonne aux portes de l’âge adulte.

Entre temps, j’ai passé les concours de l’enseignement, sans rancune ni frustration. Quand on aime les mots et qu’on n’arrive pas à devenir écrivain avant 20 ans, on peut toujours faire prof de lettres et on étudie avec les élèves les histoires que les autres ont réussi à écrire.

Et je me suis mise à aimer mon métier. J’ai quitté Paris pour rentrer à Lille, pas comme une défaite, mais quand même...

Et un jour, j’ai écrit un article pour les Cahiers Pédagogiques, pour y relater, sur les conseils d’une tiers personne, un travail mené dans mon établissement. Peu de temps après, j’ai écrit un autre article. Puis un autre et encore un autre.

Sans pudeur, pour des lecteurs bien réels. Et surtout sans me poser de questions, sur le pourquoi je faisais cela, sur ce que les autres en penseraient, ni même si ce que j’écrivais avait une quelconque valeur ou non, ou avait peut-être déjà été écrit. Ce qui importait, c’est que j’écrivais de nouveau, sur mon métier certes, mais mon métier, finalement, c’est quand même une grande partie de ma vie. J’avais sous les doigts une multitude de personnages, élèves et collègues, pour lesquels je ne me faisais aucun souci d’une quelconque épaisseur, ou réalité. C’était des récits qui permettaient l’expression des sentiments, l’humour, la tension narrative et même, si on s’y prenait bien, quelques rebondissements, avec une part énorme d’humanité et d’émotions.

J’avais retrouvé toutes les sensations liées à l’écriture que j’aimais depuis toujours, la maturation lente d’un texte dans ma tête, le sentiment d’urgence absolue le jour où il était enfin prêt, l’angoisse avant de se mettre face au clavier, le soulagement une fois les 1000O signes du jour posés sur le papier, la douceur de la réécriture et de l’ajustement des mots, l’envie de le faire lire, le léger (pas si léger que cela en fait) stress en attendant le retour du lecteur.

Un jour, je suis arrivée au local des Cahiers Pédagogiques avant le début d’une session de travail et comme il n’y avait encore personne, je suis allée prendre un petit déjeuner au bistrot du coin. Ca tombait bien car j’avais encore un article à finir. Je me suis installée près de la fenêtre, pour regarder dans la rue en même temps et j’ai commencé à écrire. Et au bout d’un moment, j’ai relevé la tête et j’ai réalisé que, d’une certaine façon, j’étais entrain de faire ce que j’avais toujours voulu faire quand j’avais 20 ans et que j’étais venue à Paris faire mes études, en baratinant mes parents qu’il n’y avait qu’à Paris de toute façon qu’on pouvait devenir écrivain, et que j’avais débarqué à l’époque dans la Capitale enivrée d’images romantiques sur l’acte de création, beaucoup plus dans l’attitude que dans l’acte, d’ailleurs, en y repensant.

Il m’avait fallu grandir pendant 20 ans, pour comprendre que la matière de mes écrits se trouvait devant moi au quotidien, dans mes classes et que les récits incarnés que je faisais de mes pratiques étaient construits comme ceux que j’aurais pu faire d’autres facettes de ma vie. Il m’avait fallu suivre une formation organisée par les Cahiers Pédagogiques sur l’écriture professionnelle, pour me rendre compte que, lire à haute voix devant le reste du groupe un récit professionnel était aussi difficile émotionnellement pour moi que de lire le plus intime des récits que j’aurais pu faire de ma vie la plus secrète.

Pour finir cette espèce de confession, je pourrais dire aussi que la plupart des articles que j’écris sont co-signés, et cette co-signature raconte l’histoire d’une rencontre et d’une indéfectible amitié.

Que chaque texte que j’écris, c’est une partie de moi, et que je pourrais peut-être un jour, avant l’âge de 90 ans, en mettant bout à bout tous mes récits professionnels, faire le fameux roman de ma vie.