En rendant l’école inclusive, la loi de Refondation demande aux enseignants d’adapter leurs pratiques éducatives et pédagogiques pour faire réussir des élèves différents. Les handicaps qui interrogent et bousculent la norme vont peut-être conduire l’école à se modifier en profondeur, ce qui peut générer inquiétudes et résistances.  Ce sont ces préoccupations légitimes que nous vous invitons à partager ici  ainsi que des difficultés rencontrées dans le quotidien de la classe. Le dialogue avec les parents des élèves concernés est peut-être un moyen de trouver des solutions satisfaisantes pour tous et de rendre l’inclusion effective.

Rebond 1

L’école inclusive, il y a la théorie et la pratique.

En théorie, c’est clair et simple, aucune raison de ne pas accueillir dans les classes tous les jeunes comme ils sont pour les faire vivre ensemble, évoluer, grandir et partager l’extraordinaire aventure de devenir adultes avec leurs différences et donc la richesse d’expériences. On trouvera peu de contradicteurs, quelques enseignants hyper élitistes peut-être, et encore n’oseront-ils pas souvent donner les véritables raisons de leurs principes d’exclusion. On en trouve quand même : « Vous comprenez, notre établissement scolarise des jeunes qui se préparent un avenir brillant de cadres responsables dans notre société, on ne peut pas les retarder avec des enfants qui souffrent de handicaps et puis ils ne comprendraient pas pourquoi lui a droit à un ordinateur », disait un chef d’établissement à l’une de mes amies qui venait inscrire son fils, dyspraxique avec troubles de l’attention.

Dans la pratique c’est une autre affaire. Pour appliquer correctement la loi de 2005, il faudrait que les enseignants soient formés. Tous les ans, en octobre, lors de la journée des dys, j’entends le responsable académique de l’enseignement adapté expliquer au parterre de parents d’enfants dys que tous les professeurs reçoivent une solide formation initiale et une formation continue conséquente pour s’occuper des jeunes à besoins éducatifs particuliers. Je balaye alors la salle du regard et j’entends les mimiques des collègues qui se disent « On ne doit pas vivre sur la même planète. » et le désappointement des  parents qui se disent « Mais si ils sont si bien formés pourquoi a-t-on encore autant de mal à leur faire comprendre le handicap invisible de leurs élèves. ». Un professeur des écoles répondait à ma sœur qui lui demandait si elle avait eu le temps de parcourir le dossier médico-psycho-neurologique de Garance : « Ce n’est pas la peine il y a longtemps que j’ai compris que la dyslexie est un truc utilisé par les fainéants pour en faire moins que les autres. » Même des pédagogues de renom tiennent parfois des propos qui me scandalisent. Un responsable d’une association pédagogique réputée me disait récemment « Je suis contre les dys, en fait, ça n’existe pas, c’est un trouble inventé par les mauvais enseignants pour justifier leur échec. » Jusqu’à Philippe Meirieu qui écrit « la pédagogie de la Ritaline, qui, par la chimie, exonère tous les citoyens de leurs responsabilités sociales à l’égard des générations nouvelles ». Mais quiconque enseigne au quotidien à des enfants souffrant de troubles de l’attention (diagnostiqués par un service compétent) sait que sans Ritaline beaucoup de ces enfants seraient déscolarisés et désocialisés. Accuser ces parents de recourir à la chimie pour se débarrasser de leurs enfants est totalement injuste.

Engagée dans l’association 123 dys, je peux témoigner de la souffrance au quotidien des jeunes et des familles que j’y rencontre, de l’extraordinaire investissement des parents au service de leurs enfants. Tout est si ardu, les dossiers administratifs, la recherche du meilleur traitement, les rendez-vous avec les spécialistes les plus pointus, le dialogue avec les enseignants, les loisirs adaptés, les gestes quotidiens, l’aide aux devoirs, la rééducation... Il faut observer leur combat pour savoir qu’ils ne recourent pas aux médicaments par plaisir ou facilité. Ils essaient d’ailleurs des produits naturels de substitution, diminuent les doses à la moindre occasion, mais dès que les enseignants alertent sur la baisse des résultats, voire sur le risque d’exclusion parce que le jeune devient ingérable, ils reviennent à la chimie qui évite à leur enfant d’être rejeté, isolé et descolarisé.

Écrire « Il suffit, d’ailleurs, de décréter qu’il existe un “dys” et qu’il faut le traiter pour que la prophétie se réalise », c’est ignorer délibérément toutes les avancées récentes qui permettent de repérer les dysfonctionnements par imagerie médicale et les équipes qui produisent des évaluations scientifiques qui s’appuient sur des marqueurs incontestables. Le responsable pédagogique que j’évoquais plus haut affirme : « Quand les professeurs n’utilisent pas la bonne méthode d’apprentissage de la lecture, ça entraine des dyslexies sur leurs élèves. » Formez-vous ! Formons-nous ! Nous leur devons cet effort pour les respecter, eux et leurs parents, comme ils le méritent. Arrêtons d’écrire et de dire n’importe quoi sans avoir la compétence d’évoquer la question. Les conséquences pour ces jeunes sont trop graves, ils en bavent déjà assez comme ça.

Pour revenir à la difficulté des enseignants de bonne volonté sur le terrain, quand vous vous retrouvez dans une classe de CAP vente de 30 élèves dont 7 élèves porteurs de handicaps différents, de dys sévères avec troubles de l’attention, à la surdité en passant par une maladie dégénérative invalidante, un bégaiement et une déficience intellectuelle légère... c’est un combat de tous les instants pour individualiser l’enseignement, veiller au respect de chacun, réguler les conflits, répondre aux appels en temps réel, gérer l’orientation et les stages, rassurer les parents, organiser les CCF... Je n’ai pas eu de formation initiale, je ne cesse de me former par moi-même, sur mon temps personnel et à mes frais, et malgré cela il y avait des moments où je ne m’en sortais pas, des jours où je quittais la classe épuisée et découragée, où je me sentais impuissante à gérer la complexité de la situation. Je n’ose pas imaginer un collègue débutant à ma place. Il y en a pourtant et plus qu’on ne le pense.

C’est la raison pour laquelle je dis : la loi de 2005, oui, à condition que tout soit mis en œuvre pour former réellement les enseignants, pour adapter les locaux, les emplois du temps, les conditions matérielles, pour engager et former des assistants de vie scolaire. Dans le cas contraire, c’est une escroquerie. Pour l’instant cela fonctionne à peu près, là où cela fonctionne, sur la bonne volonté, le dévouement et l’investissement de certains collègues, mais la professionnalisation des enseignants passe aussi par cette formation-là. Et on en est encore très loin actuellement dans les ESPE.

Par ailleurs, mais cela c’est un autre débat, je pense que les bénéfices et les contraintes, voire les souffrances occasionnées, doivent être soigneusement pesés pour chaque jeune porteur de handicap lourd, afin d’être certain que l’intégration en milieu ordinaire est la meilleure solution pour lui.

 

Comme chacune de ces lignes me parlent....tout y est, rien d'autre à ajouter, mais de l'espoir toutefois.

Je forme de plus en plus de professeurs de collège, le plus dur c'est de faire tomber les représentations pour que chacun arrête de "pécher à l'insu de son plein gré". Il y a beaucoup à faire pour faire accepter ces différences invisibles, troublantes, si singulières qu'elles n'ont pas les mêmes symptômes d'un individu à l'autre. Comment apprendre à distinguer le trouble de la mauvaises volonté et, pour beaucoup d'entre nous quel que soit notre poste et nos responsabilités, comment apprendre à douter avant de sanctionner.

Un ami dysgraphique, professeur certifié, m'a confié récemment qu'il a échoué à l'agreg interne. Deux épreuves de 5 heures qui au bout de la 3ème heure doivent être parfaitement illisibles pour les correcteurs( je le connais assez pour le savoir). Je lui ai demandé s'il avait fait les démarches pour pouvoir composer sur un traitement de texte. Je lui ai expliqué le parcours du combattant auprès de la MDPH mais, pour l'anonymat de la copie, je suis en panne. A vrai dire, il est convaincu que mettre sa difficulté en valeur va le desservir, tant il est important d'écrire avec un stylo dans notre belle institution, qui, au demeurant, ne communique plus  avec une plume sergent major quand il s'agit des circulaires et autres cadrages.

Comment former les professeurs à la différence quand nous ne les acceptons pas différents(ou si peu) ? Alors, pour commencer, à quand le choix du mode de rédaction pour nos concours ? Le modèle ne passe-t-il pas par l'exemple donné par l'institution ? A quand la congruence entre la loi de 2005 et notre façon de concevoir les modes d'écriture, de lecture....??? Nous dépenserions moins d'énergie à convaincre....

catherine Barresi chargée de mission educ nat, le 1 Avril 2014 à 10:56

Comme chacune de ces lignes me parlent....tout y est, rien d'autre à ajouter, mais de l'espoir toutefois.

Je forme de plus en plus de professeurs de collège, le plus dur c'est de faire tomber les représentations pour que chacun arrête de "pécher à l'insu de son plein gré". Il y a beaucoup à faire pour faire accepter ces différences invisibles, troublantes, si singulières qu'elles n'ont pas les mêmes symptômes d'un individu à l'autre. Comment apprendre à distinguer le trouble de la mauvaises volonté et, pour beaucoup d'entre nous quel que soit notre poste et nos responsabilités, comment apprendre à douter avant de sanctionner.

Un ami dysgraphique, professeur certifié, m'a confié récemment qu'il a échoué à l'agreg interne. Deux épreuves de 5 heures qui au bout de la 3ème heure doivent être parfaitement illisibles pour les correcteurs( je le connais assez pour le savoir). Je lui ai demandé s'il avait fait les démarches pour pouvoir composer sur un traitement de texte. Je lui ai expliqué le parcours du combattant auprès de la MDPH mais, pour l'anonymat de la copie, je suis en panne. A vrai dire, il est convaincu que mettre sa difficulté en valeur va le desservir, tant il est important d'écrire avec un stylo dans notre belle institution, qui, au demeurant, ne communique plus  avec une plume sergent major quand il s'agit des circulaires et autres cadrages.

Comment former les professeurs à la différence quand nous ne les acceptons pas différents(ou si peu) ? Alors, pour commencer, à quand le choix du mode de rédaction pour nos concours ? Le modèle ne passe-t-il pas par l'exemple donné par l'institution ? A quand la congruence entre la loi de 2005 et notre façon de concevoir les modes d'écriture, de lecture....??? Nous dépenserions moins d'énergie à convaincre....

catherine Barresi chargée de mission educ nat, le 1 Avril 2014 à 10:57
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